En soulevant devant le wali le problème de la vétusté du mobilier de l‘école où elle exerce depuis 32 ans, l’enseignante d’Oran a fait braquer les projecteurs sur les insuffisances du secteur de l’éducation et la précarité dans laquelle baignent certains établissements scolaires en Algérie.
Un mérite qu’elle « partage » avec le responsable qui, par son geste irrévérencieux, a fait réagir les réseaux sociaux et par ricochet les hautes autorités du pays.
Le Premier ministre Abdelaziz Djerad a apporté son soutien à l’enseignante et promis d’agir pour renouveler le mobilier scolaire non seulement à l’école Benzerdjeb d’Oran, mais à travers tous les établissements aux quatre coins du pays.
Mieux vaut tard que jamais, mais il reste incompréhensible qu’il ait fallu un incident et un tapage sur les réseaux sociaux pour qu’une telle situation parvienne aux oreilles des responsables algériens.
Les pupitres montrés par l’enseignante au wali étaient dans un état indescriptible, presque hors d’usage. Où est le rôle de la chaîne de responsables, du directeur d’école au premier responsable du secteur ?
Pour les walis, on sait au moins que celui d’Oran n’a pas pris la bonne décision lorsqu’il a appris les insuffisances devant les caméras. C’est-à-dire qu’il n’a pas promis d’y remédier, préférant afficher son aversion de tout ce qui peut rappeler le colonialisme.
Croyant avoir marqué un point, il en a encaissé plusieurs, d’un coup. L’incident est presque clôt avec le soutien unanime exprimé à l’égard de l’enseignante et la décision du gouvernement d’agir.
Les établissements scolaires algériens auront bientôt de nouveau pupitres et certains, comme cette désormais célèbre école d’Oran, ont déjà reçu leur mobilier flambant neuf.
Ce qui ne signifie pas, loin s’en faut, que tous les problèmes de l’école algérienne sont réglés d’un coup. Pour la simple raison que la vétusté du mobilier n’est qu’une facette de la précarité qui caractérise de nombreux établissements scolaires en Algérie, en sus d’autres insuffisances d’ordre pédagogique presque unanimement admises.
Au cours du même échange entre l’enseignante et le wali, les Algériens avaient découvert, incrédules, qu’il arrive encore aux enseignants d’effectuer des tâches supplémentaires à leur mission d’éducation.
Faute d’agents d’entretien par exemple, ils font eux-mêmes le ménage après les cours. On ne sait pas dans quelles proportions le phénomène est répandu, mais il demeure inconcevable qu’on en parle, fut-il un cas isolé, dans un pays qui sort de deux décennies d’opulence financière et qui consacre chaque année une part importante de son budget au secteur de l’éducation.
Des disparités à éliminer et une gestion à revoir
Dommage que le wali s’est retourné sur ses talons et n’a pas laissé l’enseignante finir d’égrener ses doléances.
Beaucoup d’efforts ont été consentis en faveur du secteur et certaines de nos écoles disposent de tout ou presque, c’est indéniable. Le jour de la rentrée scolaire, mercredi dernier, le Premier ministre était dans une école de Batna où les pupitres n’étaient pas seulement neufs, mais munis de tablettes électroniques ultramodernes.
Il est néanmoins tout aussi vrai que des insuffisances persistent, ainsi que des disparités entre les régions, parfois entre les établissements d’une même région. Le contraste entre les tablettes de Batna et les pupitres d’Oran est frappant.
À longueur d’année, on entend et lit des doléances liées au transport scolaire, la restauration, le chauffage ou la climatisation, le matériel didactique, le mobilier, le niveau des salaires, la qualité de l’enseignement…
Les pupitres « datant de la période coloniale » ne constituent qu’une infime partie du problème et leur remplacement ne doit pas constituer l’arbre qui cache la forêt des insuffisances de l’école algérienne, et de la détérioration de son niveau général.
Dans le classement Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), de 2015 qui a établi les performances de 15 ans dans 72 pays, qui a été publié en décembre 2016, l’Algérie occupe l’avant dernière place. L’Algérie s’est classée 69e sur 70, après le Kosovo et avant la République dominicaine. Depuis la publication de ce classement, peu d’actions ont été menées pour améliorer la qualité de l’enseignement dans l’école algérienne. Les promesses de réformes sont restées en l’état.
Il serait salutaire de mettre à profit le coup de gueule de l’enseignante et les réactions qu’il a suscitées pour se pencher sur les problèmes du secteur et ouvrir un débat profond et exhaustif sur la situation de l’école. En commençant par exemple par cette gestion des établissements du primaire confiée incompréhensiblement à des mairies qui, pour la plupart, ont déjà du mal à prendre en charge leur propre logistique.
Et surtout de lancer, sans délai, un véritable chantier de réforme de l’école algérienne, pour élever le niveau pédagogique des élèves et améliorer les conditions socioprofessionnelles des enseignants.