L’Espagne s’est montrée lundi prête à débloquer une livraison d’armes controversée à l’Arabie saoudite pour préserver sa relation stratégique avec la puissance pétrolière et éviter une crise ouverte comme celle qui oppose Ryad au Canada.
Madrid et Ryad, alliés de longue date, ont frôlé la crise diplomatique la semaine dernière quand le ministère de la Défense espagnol a annoncé qu’il annulait une vente à l’Arabie de 400 bombes à guidage laser pour 9,2 millions d’euros.
L’annonce intervenait après des bombardements au Yémen, en août, de la coalition pro-gouvernementale menée par l’Arabie saoudite, ayant tué des dizaines d’enfants.
Mais elle a mis en danger un contrat nettement plus important: la commande de cinq corvettes, pour 1,8 milliard d’euros, qui doit redonner de l’oxygène à Navantia, l’entreprise publique espagnole de chantiers navals.
Lundi, la ministre de la Défense Margarita Robles a tenté d’éteindre l’incendie, ouvrant la porte à un déblocage de la livraison de ces 400 bombes.
Le contrat sera étudié de manière bilatérale, “dans une optique de rigueur, de bonne relation entre les deux pays”, a-t-elle dit, en assurant que le différend allait “se résoudre de manière amicale”.
L’Espagne et l’Arabie sont “deux pays partenaires, qui ont signé un contrat”, a-t-elle affirmé devant une commission parlementaire.
La vente des cinq navires de guerre n’est pas en danger, a-t-elle assuré, le contrat n’étant “pas subordonné ni lié à quelque autre contrat que ce soit”.
L’Espagne, dont Ryad est le cinquième acheteur d’armes, éviterait ainsi une crise comme celle ayant opposé cet été l’Arabie au Canada.
Début août, l’ambassade canadienne à Ryad s’est dite “gravement préoccupée” par une nouvelle vague d’arrestations de militants des droits de l’Homme dans le royaume.
L’Arabie saoudite avait répliqué en dénonçant un geste “inacceptable”, en expulsant l’ambassadeur canadien et en gelant les relations commerciales.
– Intérêts multiples –
L’annulation de la vente des 400 bombes “pouvait mettre en danger la politique de contrats espagnols en Arabie saoudite de ces dernières années”, a déclaré à l’AFP Eduard Soler, analyste au cercle de réflexion en relations internationales Cidob.
Madrid et Ryad avaient conclu le marché en avril, lors de la visite en Espagne du prince héritier Mohamed ben Salmane.
Une victoire pour l’Espagne et ses entreprises qui a déjà obtenu ces dernières années de nombreux contrats d’ingénierie en Arabie saoudite: le train à grande vitesse entre Médine et la Mecque, et le métro de Ryad.
La grande proximité entre les familles royales des deux pays, les Bourbon et les Saoud, avait contribué à l’obtention de ces contrats.
Mais un facteur de politique interne a également motivé le rétropédalage du gouvernement espagnol: les cinq corvettes doivent permettre le maintien de près de 6.000 emplois, en particulier en Andalousie, bastion socialiste où des élections régionales doivent avoir lieu dans les prochains mois.
“C’est un cas d’école où l’on voit que les facteurs de politique intérieure influent sur la politique étrangère et de défense”, analyse Eduard Soler.
– Les ONG, contrariées –
Mais les défenseurs des droits de l’homme, opposés à toute vente d’armes à l’Arabie saoudite, protestent vigoureusement.
Ils craignent que ces armes ne soient utilisées pour bombarder les civils, invoquant une loi espagnole de 2007 qui permet de révoquer des contrats d’armement s’il existe des “indices rationnels” indiquant que les armes vont être employées “à des fins de répression interne” ou de “violation des droits de l’homme”.
Lundi, Amnesty International est revenu à la charge, demandant dans un communiqué que Madrid annule les livraisons tant que perdure le risque de voir les armes utilisées pour “commettre ou faciliter de graves violations du droit international”.
“Des bombes comme celles-ci sont utilisées dans des dizaines de crimes de guerre au Yémen”, a déclaré à l’AFP Alberto Estévez, porte-parole de la campagne d’Amnesty contre la vente d’armes à l’Arabie.
“Qu’ils reculent, on peut s’y attendre, malheureusement”, a ajouté Jordi Calvo, enquêteur au centre de recherche Delas. “Les gouvernements socialistes et du Parti populaire (droite, NDLR) ont favorisé de manière similaire les exportations d’armes, et n’ont pas remis en question (les ventes) à des régimes comme le régime saoudien”.