Un site de propagande policière a diffusé une vidéo non datée et non sourcée, montrant le leader du Hirak forcé de se dénuder face caméra afin de démontrer qu’il n’a pas été victime de violences. Le parquet de Casablanca a ouvert une enquête sur les conditions de son tournage sans faire cas de la responsabilité du « média » récidiviste qui jouit d’une étonnante impunité.
Quelques heures avant la comparution de Nasser Zafzafi devant le juge d’instruction à la Cour d’appel de Casablanca lundi 10 juillet, une vidéo attentatoire à sa dignité a été mise en ligne par Barlamane.com, un site de propagande réputé proche des sécuritaires.
Celle-ci montre le leader du Hirak adossé à un mur et filmé en plan serré. Le détenu commence par exposer ses avant-bras, remonte ses habits pour montrer son torse, serre les jambes dénudées en posture de garde à vous, se retourne et donne à voir son dos à une caméra qui scrute chaque centimètre de son épiderme. Le reste est à l’avenant.
La scène n’est ni datée, ni sourcée, mais il est aisé de comprendre que son enregistrement a été fait après l’interpellation de Zafzafi, son but étant manifestement de prouver que l’homme n’a pas été violenté, alors que des actes de torture et de brimades à son encontre ont été évoquées par sa défense.
La vidéo, très partagée sur les réseaux sociaux, constitue un nouvel épisode du climat délétère que traverse le pays avec son chapelet de barbouzeries continuelles qui renseigne sur le mal profond qui gangrène nos institutions.
Deux pistes à priori : la prison ou la police
Il n’y a à priori que deux possibilités, soit cette séquence a été tournée au pénitencier de Oukacha où il est incarcéré avant son jugement, soit précédemment dans les locaux de la police à Al Hoceima ou à Casablanca où il a transité. L’administration en charge des prisons a assuré que cela ne s’est pas produit dans ses murs. « La vidéo diffusée de Nasser Zafzafi, détenu sur fond des événements d’Al Hoceima à la prison locale Ain Sebaa 1, n’a pas été enregistrée dans cet établissement pénitentiaire », a ainsi affirmé lundi par voie de communiqué, la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR). De son côté, la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) n’a pas, à ce stade, réagi.
Fait notoire, le procureur du roi près la Cour d’appel de Casablanca a décidé l’ouverture d’une information judiciaire : « Le parquet général a ordonné l’ouverture d’une enquête minutieuse pour élucider les circonstances de l’enregistrement de cette vidéo et la finalité de sa publication, afin de prendre les mesures légales nécessaires à la lumière des résultats de l’enquête, a indiqué la Cour d’appel de Casablanca dans un communiqué », selon une dépêche MAP.
Le site Barlamane.com a retiré la vidéo sans aucune forme d’explication. Le procureur n’indique pas s’il est à l’origine de ce retrait, ne parlant que de « la finalité de sa publication », mais pas de la responsabilité du « média » en cause. Une injonction du parquet aurait pourtant attesté que ce site est légalement identifié. Or, ce canal, reconnu pour être la créature de Mohamed Khabachi, ancien directeur de l’agence officielle MAP ayant fait carrière dans le Renseignement, n’affiche pas ses mentions légales, mais exerce pourtant en toute quiétude. En clair, si une des victimes de ses diffamations décide de le poursuivre en justice, aucune procédure ne pourra aboutir pour défaut d’identité. L’enquête va-t-elle alors établir le lien du site avec ses promoteurs ?
Cette question mérite d’être posée s’agissant d’un « média » qui foule régulièrement des pieds droit et éthique. Le Desk avait rapporté il y a peu la calomnie dont il s’est rendu coupable envers El Mortada Iamrachen dans une synchronisation avec son arrestation révélatrice des accointances des animateurs de ce site avec des milieux policiers.
Barlamane.com n’est pas le seul vecteur de ces campagnes haineuses. La jungle d’internet en foisonne : Telexpresse, Scoop, La Relève, Agora, MaarifPress et bien d’autres forment le triste bataillon de cette « presse jaune » numérique.
Assabah, quotidien arabophone du groupe Eco-Medias (L’Economiste, Atlantic radio) en a fait aussi sa spécialité. Ce journal jouit d’ailleurs de la même impunité, alors qu’il a pignon sur rue. Dernier exemple en date, il accusait le Hirak d’être financé par le Polisario, sans en apporter bien évidemment la moindre preuve. Pourtant, il affirmait qu’il avait eu accès aux PV d’audition pour étayer son accusation. Là, la justice n’a pas diligenté d’enquête pour violation potentielle du secret de l’instruction.
Pas de motif légal à une telle mise en scène
Dans le cas de la vidéo de Zafzafi, pas loin d’y être traité comme un captif d’Abu Ghraib, des indices confirmeraient qu’elle a été filmée avant sa mise sous écrou.
Sa blessure à l’arcade sourcilière, encore très marquée à l’image, pourrait être consécutive à son interpellation particulièrement musclée. Un premier point qui informerait sur la datation de l’enregistrement et sur les motifs de cette mise en scène dont on ne sait si elle était destinée à la procédure judiciaire (auquel cas le Parquet en aurait été informé), ou à un éventuel usage propagandiste qui s’est révélé désastreux. Dans les deux cas, la méthode est condamnable. Seule une expertise médicale instruite sous l’autorité du juge peut servir légalement dans la première hypothèse. La deuxième option suggérant ainsi l’interférence d’une quelconque officine extra-judiciaire, traduirait ainsi la tentative d’une manipulation médiatique avortée au moment même où le détenu devait comparaître au tribunal.
L’Administration pénitentiaire va dans le même sens, évoquant d’ailleurs dans son communiqué, ses vêtements qu’il n’aurait jamais portés en cellule et le décor du tournage qui ne correspondrait pas à celui de ses locaux. « Les caractéristiques matérielles du lieu où la vidéo a été enregistrée ne figurent dans aucune des salles de la prison locale Ain Sebaa 1 », a insisté la même source. La DGPAR s’indigne de « la diffusion, sur des sites payés par des parties prétendant la défense des droits de l’Homme, de l’idée que la vidéo a fait l’objet d’une fuite de l’intérieur de l’établissement », mais se garde toutefois de qualifier cette mise en scène d’atteinte à la dignité de la personne dont elle a pourtant la charge.
Le 6 juillet, dans l’affaire de la lettre de Zafzafi, la DGPAR avait rapporté qu’il avait « nié catégoriquement dans une déclaration écrite toutes les allégations de l’avocat Mohamed Ziane », notamment celle de lui avoir remis des documents que ce dernier a publié sur des sites électroniques et des réseaux sociaux. Pourquoi n’a-t-elle pas recueilli et rendu public cette fois-ci le témoignage de Zafzafi à propos de la vidéo ayant toujours le même accès privilégié au détenu ? Etait-ce seulement pour ne pas empiéter sur l’enquête promise par le Parquet ?
La DGPAR se borne étrangement à rejeter ainsi la patate chaude à la Préfecture de police d’Al Hoceima et à la Brigade nationale de la police judicaire (BNPJ) entre les mains desquelles Zafzafi est passé avant d’arriver à la case prison.
Quelles que soient les conclusions de l’enquête ouverte par le Parquet dont on peut jauger dès à présent les risques d’enlisement, les dérives qui se sont accumulées depuis la vague d’arrestations des militants et sympathisants du mouvement populaire rifain, ont déjà un constat : une guerre larvée entre institutions qui a jeté une lumière crue sur l’incohérence et sur les failles béantes de l’Etat, révélées au grand jour à l’aune de cette crise.