Débats et Contributions

Lettre ouverte au général Ahmed Gaid Salah

Mon Général,

Vous avez respecté la lettre et l’esprit de la Constitution

Je n’ai eu de cesse que de vous soutenir, dans ces colonnes, dans votre démarche consistant à ne pas mêler l’institution militaire au processus politique institutionnel, ce qui aurait contrevenu aux dispositions de la Constitution qui précisent les attributions de l’ANP.

Vous avez refusé, originellement, de vous impliquer dans la mise en œuvre de l’article 102 de la Constitution. Mais devant l’impétueuse pression populaire (notamment celle des 15, 22 et 29 mars) et, tout en vous en tenant à l’esprit de la Constitution, vous avez fini par suggérer aux organes constitutionnels habilités, la mise en œuvre de l’article 102.

Il n’y a rien là de contestable, dans la mesure où le Préambule de la Constitution prévoit que l’Armée préserve « le pays contre toute mesure extérieure et contribue à la protection des citoyens, des institutions et des biens ». Quant à l’article 28 de la Constitution, il décide, dans son alinéa 2 que : « l’ANP a eu pour mission permanente la sauvegarde de l’indépendance nationale et la défense de la souveraineté nationale ».

A beaucoup d’égards, l’obstination du Président de la République à ne pas tenir compte de l’ampleur du désaveu populaire, les menaces de grève générale et de désobéissance civile, justifiaient votre parti pris.

A propos d’une réunion inamicale de l’institution militaire

Ceci dit, vous avez évoqué, samedi, une réunion qui se serait tenue le 30 mars au domicile du Colonel Lakhdar Bouregâa, ancien Commandant de la Wilaya IV et à laquelle auraient pris part d’anciens responsables politiques, des représentants de partis politiques et de la société civile et même, semble-t-il un diplomate étranger. L’objectif inavoué de cette rencontre visait, selon vous, à déstabiliser l’institution militaire.

Il est impératif, dans un souci de clarté et de transparence, de communiquer les noms et qualités des participants à ce prétendu conclave, l’objet de cette réunion et les raisons de la présence, pour le moins insolite, de ce diplomate. Pour sa part, Ahmed Benbitour vient d’apporter un démenti catégorique à sa participation à cette réunion, alors qu’il devait soi-disant être désigné (on se demande par quelle instance officielle !) au poste de Premier ministre. D’autres personnalités citées ne lui ont pas encore emboité le pas, mais elles pourraient le faire, à l’instar de l’ancien président de la République Liamine Zeroual, du Colonel Bouregâa, du Dr Taled Ibrahimi, personnalités sans doute faillibles, mais que l’on voit mal essayer d’organiser la déstabilisation d’une institution aussi puissante et aussi forte que l’ANP, qui plus est, en présence d’un diplomate étranger.

De deux choses l’une, ou bien cette réunion ne s’est jamais tenue et dans ce cas, il est étrange que vous éventiez un fait non établi, sans avoir procédé aux vérifications d’usage. Ou bien cette rencontre a réellement eu lieu et dans ce cas, il faudra que la justice soit saisie pour diligenter une enquête et réunisse les éléments nécessaires à la manifestation de la vérité.

Ceci dit, un nouveau gouvernement constitué de personnalités inconnues s’est mis au travail depuis hier, alors que le successeur d’Abdelkader Bensalah (objet d’un rejet radical et massif de la part de la population) à la tête du Conseil de la Nation ne devrait pas tarder à être désigné.

Dans ce cas, le schéma pour lequel ont opté les décideurs est celui de la continuité, dans la mesure où, après mise en œuvre de l’article 102 (à moins que le Président de la République ne démissionne immédiatement après la désignation du Président du Conseil de la Nation), commencera l’intérim du Président de la République dont la durée maximale est fixée par la Constitution à 90 jours, à l’issue duquel sera élu le successeur du Président sortant.

Cette démarche est logique et juridiquement irrécusable, sauf qu’elle fait totalement l’impasse sur le cœur même de la revendication populaire, à savoir l’organisation d’une période de transition, censée permettre le renouvellement complet du personnel politique et la mise en place d’institutions solides et durables garantissant l’effectivité de toutes les libertés fondamentales, l’indépendance de la justice, le contrôle démocratique, le respect de l’Etat de droit.

Opter pour une rupture totale de la constitutionnalité actuelle

Ne considérez- vous pas, mon Général, qu’il sera opportun d’introduire, dès l’élection du successeur du Président sortant, une révision constitutionnelle substantielle destinée à organiser une période de transition, laquelle ferait cohabiter les prérogatives du Parlement élu, en 2017, avec celles d’une Instance dite de la transition.

Il est en effet devenu nécessaire à des fins de préservation de la cohésion nationale, d’opter pour une rupture totale de la constitutionnalité actuelle, sans pour autant que le rôle cardinal de l’Armée en soit le moins du monde affecté. L’exemple tunisien est emblématique, à cet égard, pour l’Algérie. La Tunisie a connu une période de transition assez mouvementée, surtout après le départ précipité du Président Benali, car à l’instar de l’Algérie, la Constitution était lacunaire et en particulier, ne prévoyait aucun viatique en cas de vacance du Président de la République sans qu’il ait délégué ses pouvoirs au Premier ministre. La période de transition a duré trois ans (janvier 2011-Janvier 2014) durant laquelle la population tunisienne tous segments sociaux et culturels confondus a pris une part active à la mise en place progressive des institutions démocratiques entérinées par la Constitution du 26 janvier 2014.

Au départ, il y a eu, « l’Instance supérieure de sauvegarde des objectifs de la Révolution »(ISROR) installée en février 2011(sorte de proto-Parlement, dénommé autorité politique indépendante) constituée des représentants des partis politiques de l’opposition, des groupements et associations de la société civile ainsi que de personnalités politiques indépendantes. C’est ensuite l’ISROR qui a élaboré par un décret-loi, le projet relatif à l’élection d’une Assemblée nationale constituante (mai 2011), après qu’un décret-loi ait mis en place l’Instance Supérieure Indépendante électorale (ISIE), le 18 avril de la même année.

Méditer l’exemple tunisien

Mon Général,

L’exemple tunisien mérite d’être adopté, non pas tel quel, mais dans son esprit. Il ne fait pas de doute que même si la transition démocratique tunisienne ne fut pas une promenade de santé pour ses différents protagonistes, elle assure aujourd’hui à la Tunisie une stabilité politique que lui envient tous les pays arabes.

Pour l’Algérie, la Constitution révisée du 6 mars 2016 semble avoir vécu, dans la mesure où son contenu aussi bien que sa téléologie vont à rebours des exigences et des demandes de la population qui tendent toutes vers l’adoption de normes juridiques efficaces et effectives.

Un constitutionnalisme purement « manipulatif » ne permet pas d’aller vers l’Etat de droit. C’est pour cela que le prochain Président de la République qui sera élu, en vertu de la constitution actuelle, devra prendre des ordonnances portant création d’institutions de la transition(que l’APN devra obligatoirement adopter, sauf à risquer la dissolution), en étroite concertation avec les représentants que le mouvement populaire a intérêt, dès maintenant, à se donner.

Veuillez croire, Mon Général, en l’expression de mes sentiments dévoués et respectueux.


* Ali Mebroukine est universitaire, militant démocrate

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