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« L’exil heureux existe aussi »

« L’exil heureux existe aussi »

Née le 13 septembre 1969 à Alger, Tassadit Hariz est ingénieur en Travaux  publics. En 1995 elle quitte l’Algérie pour la France. Après un doctorat à l’Université de Metz, elle s’installe à Paris où elle vit et travaille.

Elle prend des cours de musique, apprend à jouer du oud, et fonde en 2019, une troupe musicale et théâtrale baptisée « Divva ».

Tassadit Hariz vient de publier un premier roman intitulé « L’amour de Soi » paru aux éditions Edilivre, en France. Une autofiction qui ouvre de larges fenêtres sur sa vie en Algérie, son exil, les sujets liés à l’identité et sa nouvelle vie en France. Entretien.

Vous avez quitté l’Algérie en 1995. Vous aviez alors 25 ans. Comment avez-vous vécu cet exil ?

Tassadit Hariz : J’ai dû quitter Alger pour des raisons sécuritaires, et je l’ai fait la mort dans l’âme. C’était une déchirure, un déracinement. J’ai vécu mon enfance, mon adolescence et une partie de ma vie d’adulte en Algérie et  j’y étais très heureuse. J’y avais ma vie, mes amis…

En Lorraine, dans l’est de la France, tout était différent, le climat, les gens… J’ai dû me faire violence pour terminer ma thèse, tellement l’exil me pesait. Mais une fois à Paris, je me suis sentie comme un poisson dans l’eau.

J’ai eu un coup de foudre pour cette ville qui me faisait beaucoup penser à Alger avec ses immeubles haussmanniens. Dans mon roman, je parle de l’exil heureux qu’on omet souvent d’évoquer. On peut aimer le pays qui nous accueille sans renier sa vie d’avant.

Vous avez cristallisé toutes vos envies, toutes vos ambitions dans le domaine musical et littéraire

J’avais 36 ans, quand j’ai assisté à un concert de musique arabo-andalouse donné par El Mossilia à l’Institut du monde arabe, à Paris. Ce fut comme une révélation.

Je voulais appartenir à cet univers et être en quelque sorte une ambassadrice de notre culture en France. Une forme de militantisme culturel a bourgeonné en moi ce jour-là.

Je me suis donc inscrite dans une association de musique andalouse : El Mossili. C’est là où j’ai appris à jouer du oud. Je suis fière d’avoir réalisé mon rêve. C’est aussi un autre aspect positif de l’exil dont je parle dans mon roman. En 2019, J’ai créé une troupe de musique et de théâtre. Elle est composée d’une vingtaine de musiciens de toutes nationalités et de toutes couleurs musicales dont le chaâbi, l’andalou, le celtique…

Divva, c’est son nom, va faire revivre la mémoire des artistes maghrébines à l’exemple de Na Cherifa, Fadela Djaria, Zoulika, Cheika Tetma… Nous remonterons le fil du temps pour exhumer de l’oubli des musiciennes  méconnues comme la comtesse de Die (1140-1212) par exemple.

On sent un côté féministe chez vous ?

C’est juste. J’habitais Kouba et j’ai fréquenté le lycée Hassiba Ben Bouali, du nom d’une  grande héroïne de la guerre de libération nationale, tombée au champ d’honneur à la fleur de l’âge.

En plus, cet établissement était exclusivement réservé aux filles. J’ai baigné dans cet univers féminin. C’est certainement à partir de là qu’une conscience féminine s’est développée en moi.

Vous venez de commettre un roman « L’amour de Soi ». Exil, identité, et amour sont au cœur de votre ouvrage. Devenir autrice était-il inscrit dans votre liste de projets ?

Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours caressé le rêve d’écrire. D’ailleurs, petite quand quelqu’un me demandait  quel métier je voulais faire plus tard, je répondais invariablement « Écrivain ».

J’ai attendu 51 ans pour réaliser mon rêve. L’héroïne, qui est aussi la narratrice cherche l’amour idéal. Elle finit par le trouver mais au bout de quelque temps, elle finit par le quitter, car elle réalise qu’il l’étouffe et représente une entrave à sa liberté.

Mon roman interroge sur les sentiments : « Est-ce qu’on peut vivre une histoire d’amour sans se perdre soi-même ? ». Il y a des parties de ma vie, mais beaucoup de fiction dans mon premier roman.

Votre roman sera-t-il publié en Algérie ?

Pour le moment, « L’amour de Soi » est uniquement disponible en France, mais j’espère que les lecteurs algériens pourront bientôt le lire, si un accord est trouvé entre Edilivre et une maison d’édition algérienne !

Extraits de « L’amour de Soi »

Puis, il y a mon être qui se fraie un chemin dans la foule du quartier de Barbès, qui remonte la rue Myrha, et s’installe dans l’une des gargotes algériennes. Mon être algérien qui passe sa commande en algérien : « Une chorba et une Slata Machouïya ». Je parle en arabe. Je lis en attendant qu’on me serve. Je pose le livre pour me saisir de la cuillère à soupe. À l’instant où ma main est suspendue au-dessus du bol de soupe, juste avant de l’introduire avec le breuvage dans ma bouche, je prononce silencieusement dans mon cœur : « BesmAllah ».

Je me suis levée comme un automate. Alors que je progresse dans le couloir, ce sont des images et des phrases qui me viennent de loin : de mon enfance et de mon adolescence heureuses à Alger. Ne jamais pleurer dans une pièce d’eau. Les canalisations sont les lieux d’habitation des Djnouns. Je rentre dans les toilettes et referme la porte derrière moi. Là, j’éclate en sanglots. Je pleure en criant doucement. Je ne pense plus aux Djnouns, mais seulement à cela : sortir ce chagrin, cette amertume de moi.

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