Économie

L’extrême vulnérabilité des patrons du public en Algérie

Le limogeage surprise du PDG du Crédit populaire d’Algérie (CPA), l’une des principales banques publiques, repose encore une fois la question du statut précaire des cadres gestionnaires de l’État. Selon nos informations, Omar Boudieb a été démis de ses fonctions de PDG du CPA par un coup de téléphone alors qu’il était en réunion avec ses collaborateurs.

Pourquoi a-t-il été écarté, trois ans après avoir été nommé ? « Dans le cadre de ses attributions statutaires, l’Assemblée générale du Crédit populaire d’Algérie, réunie ce lundi 9 juillet 2018, a adopté une résolution mettant fin au mandat de membre du Conseil d’administration du CPA, exercé par M. Omar Boudieb », a annoncé le ministère des Finances dans un bref communiqué.

Cela s’appelle communiquer sans informer. Le ministère, qui est la tutelle du CPA, n’a pas expliqué les raisons du départ de M. Boudieb. A-t-il échoué dans sa mission ? A-t-il commis des erreurs de gestion ? Son départ est-il lié à la gestion des prêts bancaires ? Plus grave : le même Conseil aurait, selon nos sources, renouvelé la confiance à Omar Boudieb pour un mandat de trois ans, il y a seulement quelques jours.

Absence d’explications

Omar Boudieb a remplacé Achoud Aboud, en mars 2015. Achour Aboud a été ensuite nommé à la tête de la Banque nationale d’Algérie (BNA) puis élu, en mai 2018, président de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers (ABEF), en remplacement de Boualem Djebbar. Il est également président du Conseil d’administration d’Air Algérie.

Le mouvement à l’intérieur des postes de commandements des banques publiques n’est jamais expliqué. Le ministère des Finances ne prend pas le soin de détailler les raisons alors qu’il s’agit de la gestion de l’argent public. Un intérimaire dirige actuellement le CPA. Ne fallait-il pas attendre de désigner un remplaçant avant de procéder au changement du PDG ? Où était l’urgence dans cette mise à l’écart ?

Omar Boudieb ne peut pas s’adresser aux médias puisqu’il a l’obligation de réserve imposée aux cadres de l’État pendant au moins deux ans. Il n’a aucun moyen d’introduire un recours ni de contester la décision puisque les cadres de l’État n’ont pas d’organisation de type syndical ou patronal qui peut les défendre ou les représenter en cas de contentieux.

Instabilité chronique des dirigeants

En plus des banques publiques, des entreprises étatiques comme Air Algérie, Sonatrach, Algérie Télécom, Algérie Post, Mobilis et Sonelgaz ont connu plusieurs changements de PDG ces dernières années. Depuis février 2017, Bekkouche Allèche dirige Air Algérie. En douze ans, la compagnie aérienne nationale a connu cinq PDG (Tayeb Benouis, Abdelwahid Bouabdallah, Mohamed Salah Boultif, Mohamed Bouderbala et Bekhouche Alleche), soit un PDG tous les deux ans en moyenne.

Sonatrach, premiere entreprise du pays, n’est pas en reste. Depuis 2000, le groupe pétrolier a enregistré le passage de neuf PDG contre sept en 35 ans (entre 1963 et 1998). Said Sahnoune n’est resté qu’une année à la tête de Sonatrach (entre 2014 et 2015) alors qu’Amine Mazouzi n’a dirigé le groupe que pendant deux ans, entre 2015 et 2017.

Le départ des dirigeants de Sonatrach n’est jamais suivi d’explication ni par le groupe pétrolier ni par le ministère de l’Énergie. Et personne ne sait si le PDG est tenu de présenter un bilan de ses activités avant de partir ou pas. Les PDG désignés viennent-ils avec des programmes ? Là aussi, on n’en sait rien.

La valse des PDG intérimaires à Algérie Télécom

À Algérie Télécom (AT), autre groupe étatique où le poste de PDG est en permanence sur un siège éjectable, la valse des dirigeants ne s’arrête pas. En avril 2016, Azouaou Mehmel a été démis de ses fonctions par le Conseil d’administration alors qu’il était en mission à l’étranger. Le ministère de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication a publié alors un communiqué pour souligner que la mise à l’écart de M. Mehmel avait pour but « d’insuffler une nouvelle dynamique managériale au groupe ».

Mohamed Sbaâ, chef de la division des opérations et du développement, a été nommé à titre d’intérimaire à la place de Azouaou Mehmel. Mohamed Sbaâ n’a dirigé AT que durant un mois et demi pour être remplacé, en juin 2016, par un autre PDG…intérimaire, Tayeb Kebbal, président du comité d’audit de l’entreprise.

Le Conseil d’administration de AT a expliqué ce changement d’un dirigeant intérimaire par un autre par la volonté « d’améliorer la gouvernance d’Algérie Télécom » et de « garantir le pilotage coordonné avec les organes de gestion ». Tayeb Kebbal n’est resté qu’une année à la tête du groupe. En avril 2017, il a été admis à la retraite. Un autre intérimaire a pris sa place, Adel Kheman.

Un PDG par an pour Algérie Télécom

Une année après, en mars 2018, Adel Kheman est débarqué pour être remplacé par Ahmed Choudar. Enfin, pas totalement, puisque M. Choudar est en fait désigné à la tête du Groupe Télécom Algérie (GTA) alors que M. Kheman a gardé la direction de la filiale Algérie Télécom.

Algérie Télécom a été dirigée, depuis 2010, par sept PDG, une moyenne d’un PDG par an. Cette situation est-elle normale ? Le dirigeant est à peine installé dans ses fonctions qu’il est déjà invité à céder sa place ? Il n’a ni le temps ni la concentration nécessaire pour gérer l’entreprise ou lui tracer des projets d’avenir. Cette situation d’instabilité chronique est démobilisante et décourageante à tous les niveaux.

Sans autonomie, les organes de gestion seront inutiles

Chaque PDG craint qu’on le somme à tout moment de faire ses cartons sans qu’on lui dise, parfois, pourquoi ni même « Au revoir, merci ». Les cadres intermédiaires sont encore plus vulnérables puisqu’ils sont, eux-aussi, à la merci du « nouveau patron » qui peut leur changer des postes n’ayant pas de rapport avec leurs qualifications. Et il arrive que leurs compétences et leurs savoir-faire soient effacés d’un trait de plume par un PDG soucieux de s’imposer par des décisions à la hussarde.

L’instabilité aux postes perturbe la cohésion de l’entreprise, impérative pour un bon management, et a des retombées négatives durables sur la gestion des entreprises publiques. Le gouvernement demande souvent aux dirigeants des entreprises et groupes publics de la performance et des résultats positifs. Cette demande est impossible à réaliser si les dirigeants n’ont pas la garantie d’être maintenu à leurs postes au moins le temps de mettre en pratique des plans de relance, de redressement ou de gestion, bref, de prouver ce qu’ils peuvent faire.

Sans une réelle autonomie de décision, les organes internes de gestion des groupes et entreprises publics ne seront d’aucune utilité. Changer chaque saison un PDG ne fera qu’aggraver la situation du secteur public et poussera des cadres compétents à fuir vers le privé ou vers l’étranger. Ils sont déjà des milliers à avoir quitté le pays.

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