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« L’histoire des camps de regroupement est encore méconnue en Algérie »

« L’histoire des camps de regroupement est encore méconnue en Algérie »

L’algérien Said Oulmi est présent au 11ème Festival international d’Oran du film arabe avec son nouveau documentaire « Sur les traces de camps de regroupement », en compétition officielle. Ce documentaire détaille les conditions de déplacement de presque trois millions d’algériens vers des camps de regroupement par l’armée coloniale françaises à partir de 1957. Des algériens forcés à abandonner leurs maisons et leurs terres. Le but était de séparer la population de l’ALN. Ces camps étaient soumis à une surveillance militaire permanente.

Said Oulmi

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux camps de regroupement en Algérie ?

Depuis 2000, je travaille sur la mémoire. Après avoir réalisé une série sur les déportés algériens en Nouvelle Calédonie, j’ai fait un documentaire sur le Camp de Bossuet (Sidi Bel Abbes). En travaillant sur les archives, on découvre beaucoup de choses. J’ai puisé dans les archives de Vincennes, de la Croix Rouge à Genève et d’Aix en Province. Les archives nous dévoilent des vécus terribles et nous poussent à faire encore plus de recherches. Au fur et à mesure, j’ai décidé de faire des documentaires sur les différents types de camps : les camps de regroupement, les camps de transit et de tri pour les politiques, les civils et les syndicalistes, et les camps militaires. A l’époque, la France coloniale a crée, en 1958, des camps pour empêcher les soldats de l’ALN de bénéficier des Conventions de Genève (prisonniers de guerre). J’ai donc travaillé sur les Camps de Ksar Tir, de Bossuet, d’Oran, d’Annaba ainsi que sur les fermes Lucas (Batna) et Ameziane (Constantine). En cours de route, j’ai découvert un aspect quelque peu oublié par les algériens, les camps de regroupement. De 1954 à 1962, la France coloniale a ouvert Ces camps dans le but de séparer les combattants de l’ALN de la population et de créer des zones interdites. Je voulais dévoiler cette page noire de l’Histoire du colonialisme français en faisant un travail pédagogique avec des regards croisés de part et d’autre. Il était important de donner une assise scientifique au travail documentaire. Un travail qui doit être vu par les algériens et les étrangers. J’ai pris contact avec des chercheurs et des historiens qui ont planché sur le sujet. Des historiens français ont consacré des thèses d’Etat aux camps de regroupement.

Mais, il n’y a pas de thèses en Algérie sur le sujet…

Je n’ai presque rien trouvé sauf le le livre du Professeur Mustapha Khiati. J’ai fait le tour des universités. Il n’y a aucune trace de travaux sur les camps de regroupement. En France, j’ai contacté Michel Cornaton (auteur du livre « Les camps de regroupement de la guerre d’Algérie », sorti en 1967). Grâce au journaliste Jean Daniel, j’ai pu rencontrer Michel Rocard qui a mené la première enquête sur les camps de regroupement en 1958. La fuite de son rapport, en 1959, a provoqué un tapage médiatique en France sur la situation catastrophique vécu par près de 40 % de la population algérienne surtout en zones rurales.

La fuite du rapport de Michel Rocard( en 1959) a-t-elle été organisée ?

Michel Rocard a fait preuve d’un grand courage. Il a été révoqué par le Premier ministre de l’époque, un partisan de l’Algérie française, à cause de ce travail. Le rapport Rocard n’a été publié qu’en 2003 en France sous forme de livre. Je me suis appuyé sur les témoignages des enfants des camps de regroupement et des appelés du contingent qui étaient en Algérie. Dans le documentaire, j’ai montré, pour la première fois, des archives personnelles de certains témoins.

Vous avez travaillé sur quatre régions

Effectivement. Il y a plus de 2300 camps de regroupement à travers l’Algérie. Ils ont été repéré par Michel Cornaton. Les premiers camps ont été crées dans les Aurès, à Mchounech, Bouhmama et Tkout. Dans cette région, Marc Garanger, qui était appelé, avait pris des photos sur les femmes qui étaient dans les camps. Il y a eu aussi des camps à Sidi Bel Abbes et El Bayadh.

Etait-il facile pour vous de retrouver les témoins ?

Il fallait mener un travail de fonds pour les retrouver. Un travail qui m’a pris plus de deux ans. Prendre des rendez vous avec les chercheurs m’a pris aussi beaucoup de temps. J’ai d’abord consulter les ouvrages écrits par différents chercheurs. Dans les archives et les écrits, j’ai trouvé des noms. Je me suis déplacé dans les lieux où certains témoins y étaient. A Khenchela, j’ai trouvé le nom du vieil homme que vous voyez au début du film dans les archives (Mohamed Chehati). Des personnes m’ont orienté vers lui.

Des témoins d’un camp de regroupement en Algérie

Comment étaient les conditions de vie dans les camps?

Les témoins ont décrit des conditions inhumaines avec les maladie. Selon l’infirmier Xavier Jacquie, quatre décès étaient enregistrés chaque jour dans un camp. Les algériens subissaient plusieurs formes d’humiliation. Par exemple, on dévoilait les femmes pour les photographier. L’intimité des gens étaiet violée. Michel Rocard a détaillé dans son rapport ces mauvaises conditions de vie. Il a évoqué le manque de médicaments et de nourritures et écrit sur l’hygiène de vie. Les gens souffraient de l’action psychologique de la SAS (Section administrative spécialisée). Les populations étaient soumises à pression pour se détourner de l’ALN vers l’armée française. Jusqu’à nos jours, les gens se souviennent de l’action de la SAS. Le mot est resté ancré dans la mémoire collective.

Comment appelle-t-on ces camps avec exactitude : camps de regroupement, camps d’internement, camps de concentration ?

Les chercheurs français, comme Michel Cornaton, parlent de camps de concentration. Il existait des camps d’internement pour les militants, les syndicalistes, les journalistes et les avocats. Comme le camp de Bossuet. Les camps de regroupement étaient destinés à la population civile. Des femmes, des enfants, des personnes âgées étaient déplacés et regroupés. Chaque famille était installée dans un gourbi de 1m 20 sur 12 entouré de barbelets. Les gens n’avaient le droit ni d’entrer ni de sortir. Ils étaient mal traités. Les femmes étaient profondément fouillées. Les gens sont encore marquées par ces images. Un officier français nous a confié en pleurant dans le documentaire qu’il n’était pas de fier par ce qu’il fausait.

L’Histoire des camps de regroupement est-elle connue en Algérie ?

Malheureusement, l’histoire des camps de regroupement est encore méconnue en Algérie. J’ai projeté le documentaire dernièrement à Tiaret, à El Bayadh, à Batna et Khenchela. J’ai découvert que les algériens ne connaissent pas cette période de l’Histoire. Mon souhait est que ce film soit projeté dans les universités et les écoles. Il faut que nos enfants connaissent cette vérité et cette tranche de l’Histoire

Comment expliquez vous que cet épisode de l’Histoire de l’Algérie soit méconnu. Est-ce à la faute aux historiens algériens? A l’université?

Je pense que la responsabilité est partagée. La famille, l’université et l’école doivent jouer leurs rôles. La société, d’une manière générale. La société doit se mobiliser pour écrire cette histoire et la transmettre aux générations futures. Il y a une crainte que cette mémoire soit effacée par la disparition des témoins. Il faut faire vite donc. J’ai sillonné l’Algérie pour faire un travail sur les camps. Ce travail sortira sous forme d’une série de décocumentaires. J’ai récolté plus de 360 témoignages avec un regard croisé.J’ai travaillé aussi sur des documents inédits. Pour moi, les archives sont un trésor. Il suffit de bien les consulter. J’ai même trouvé des lettres censurées.

Une femme témoigne de sa présence dans un camp de regroupement

Vous avez également travaillé sur les algériens déportés en Nouvelle Calédonie

Des algériens déportés à partir de 1864 et jusqu’à 1897. Plus de 2000 algériens ont été déportés vers la Nouvelle Calédonie. Et plus de 20.000 algériens ont été déportés vers Cayenne (à partir de 1852). La mémoire collective évoque à ce jour le bagne de Cayenne. J’y étais. Je suis resté un mois pour un faire un traval sur les algériens de la Guyane. Une histoire peu connue aussi. Beaucoup d’algériens sont morts à Cayenne parce que les conditions de vie étaient désastreuses. Les algériens étaient même abandonnés dans de petits îles et devaient se débrouiller pour vivre. J’ai travaillé avec des chercheurs. Je viens de reçevoir un livre, édité en France, qui s’est appuyé sur mon documentaire sur la déportation des algériens.

Allez vous rester dans ce registre de l’Histoire pour vos documentaires ?

Le sujet de l’Histoire est passionnant. Je vous ai parlé par exemple des lettres censurées. Des lettres envoyées par des déportés à leurs familles ou par les familles aux déportées. L’administration coloniale a censuré ces lettres. Ces missives, qui sont toujours conservées dans les archives, racontent des vécus terribles. On ne peut pas rester indifférent en les lisant. Elles interpellent le lecteur. Ces détails m’intéressent.

Pourquoi le documentaire n’est pas très développé en Algérie ?

Il n’y a pas d’encouragement. Il faut beaucoup de temps et de moyens. Le documentariste doit être motivé, doit sentir qu’il est soutenu pour continuer de travailler. La volonté ne suffit pas. Je peux vous dire que nos travaux contribuent d’une manière ou d’une autre à l’écriture de l’Histoire, à immortaliser tous les sacrifices de notre peuple et à les transmettre aux futures générations. L’indépendance de l’Algérie n’est pas venue du néant. Il faut le rappeler à chaque fois.

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