On en parle rarement ou si peu. Hormis peut-être dans des milieux initiés. Combien sont-ils ces Algériens qui ont marqué de leur empreinte et leur engagement l’histoire de la révolution, mais qui, aujourd’hui, sont oubliés et sans nulle trace dans les manuels scolaires ?
Nombreux sans doute. Et parmi eux : Ahmed Akkache, militant communiste, ami de Maurice Audin, disparu il y a une quinzaine d’années dans presque l’anonymat le plus total.
Pourtant, cet intellectuel engagé, né à Alger en 1926, petit-fils de paysans expropriés pour leur participation à la révolte de 1871 en Kabylie, a défrayé la chronique au début de l’hiver en 1961 après une évasion spectaculaire de la prison d’Angers en France.
Une évasion qui a fait la Une de la presse de l’époque et qui aurait pu bien inspirer un projet de film. Il est dix-huit heures passés ce 14 décembre 1961 lorsque Ahmed Akkache, en compagnie de quatre de ses compagnons de cellule, Benakli Ahmed, Ali Stambouli, Sadek Keramane et Cheurfi Salah, condamnés quelques mois plutôt à de lourdes peines par le tribunal militaire d’Alger, décident de faire la belle.
Grâce à un morceau de scie qui leur est parvenu de complicités extérieures dans un tube de dentifrice, ils réussissent à scier un barreau protégeant la fenêtre de leur cellule située au Rez-de-Chaussée de la prison, selon des documents déclassifiés consultés par TSA.
Par ce passage, les susnommés, qui avaient encore le droit de se trouver réunis, ont sauté dans une cour dite « latérale ».
« Là, ils ont escaladé un premier mur de 2m70 de haut et se sont trouvés dans le chemin de ronde. Ils ont parcouru environ 150 m et, arrivés face au mur « Est », ils ont jeté un lien de 16m30, formé de draps torsadés, sur le faîte du mur, haut de 4m50 », note le rapport de police.
Faute de pouvoir accrocher leur corde de fortune, les fuyards tentent une pyramide humaine. Ahmed Akkache réussit le premier à escalader le mur et à s’agripper au faitage scellé par des tessons de verre avant de sauter dans une ruelle de l’autre côté du mur.
Ses compagnons restés sur le chemin de ronde, au pied du mur, vont être appréhendés peu après l’alerte donnée par une femme habitant un immeuble en face de la prison. C’est alors que commence à travers toute la ville la traque du fugitif pour lequel tous les moyens seront mobilisés.
On raconte qu’Ahmed Akkache devait être récupéré par des complices à son point de chute, mais personne n’était au rendez-vous. Dans son livre publié en 1973 sous le titre « évasion », Ahmed Akkache raconte les péripéties de cette opération en brouillant les pistes cependant, en raison du contexte de l’époque marqué encore par les stigmates de la guerre.
Dans une ville qu’il ne connaissait pas, Ahmed Akkache vole un plan dans un bar et se rend ensuite chez un médecin qui répond au nom de Lucie Cannone dont il avait entendu parler qu’elle avait fréquenté durant ses études, des étudiants nord-africains.
Il faut dire qu’il s’était blessé en sautant du haut du mur de la prison et avait les mains tachées de sang. Une fois dans son cabinet et mis en confiance, il avoue sa situation d’évadé, recherché par la police, à la bonne dame qui aussitôt contacte une de ses connaissances.
De contact en contact, un grand réseau de solidarité, constitué d’anciens résistants et de militants communistes, se met en place pour prendre en charge Ahmed Akkache.
Ahmed Akkache : retour sur une évasion spectaculaire
Un réseau que la police ne réussira jamais à découvrir. Un de ses principaux anges gardiens : Emile Dufois, ancien résistant, responsable de la fédération du Maire et Loire du parti communiste français. C’est lui qui le transporte et lui trouve l’hébergement auprès de ses connaissances.
C’est lui aussi qui décide de lui faire quitter la ville où le risque d’une appréhension était grand. Fils d’un militant communiste, Jean Claude Plassard témoignait il y’a quelques années dans les colonnes de Ouest France sur Ahmed Akkache qui a occupé sa chambre du temps où il était absent de la maison et qui créchait dans le grenier quand il était de retour.
« Je me souviens de quelqu’un d’impressionnant, d’une grande gentillesse, il m’a parlé de son combat, de ses tortures. Cette rencontre a marqué ma vie ».
Il faut dire que, selon plusieurs récits, Ahmed Akkache, qui fut instituteur à Alger, en imposait à ses interlocuteurs par son autorité et sa force de conviction. Comme lors de son procès en février 1961 à Alger, avant d’être transféré à la prison d’Angers, en présence d’Henri Alleg, six autres militants et deux…fantômes : Maurice Audin et Omar Djegri, morts de tortures quelques années plutôt.
« La terre d’Algérie est couverte de sang », avait-il crié dans ce procès, qui malgré le black-out imposé, a eu un retentissement mondial.
Ahmed Akkache avait même assumé la responsabilité de son parti dans le combat national. Celui qui était condamné à 20 ans de réclusion pour « atteinte à la sureté extérieure de l’État, association de malfaiteurs et reconstitution d’une ligue dissoute » regagne l’Algérie peu avant les accords d’Evian du 18 mars 1962.
Engagé et malgré quelques démêlés avec le régime de Boumediene, Ahmed Akkache va occuper plusieurs postes dont les fonctions de directeur général des salaires au ministère algérien du travail et de directeur de l’Institut national du travail.
En 1992-1993, il devient même conseiller du chef du gouvernement de l’époque, Belaid Abdesslam. De retour pour quelques jours à Angers en 2000 pour revoir ses amis, il écrit une lettre émouvante à tous ceux qui lui avaient apporté assistance et qui l’avaient hébergé durant son évasion.
« Si tant de liens amicaux subsistent aujourd’hui entre nos deux pays malgré les crimes de la colonisation, c’est pour beaucoup grâce à tous les Lemaitre, tous les Plassard, tous les Bouttier et à tant d’autres qui, modestement, mais avec tant de courage, ont fait passer leur idéaux de solidarité et de justice au-dessus de toute considération ».
Ahmed Akkache meurt en 2010 en laissant derrière lui plusieurs publications dont « Les guerres paysannes de Numidie », « la révolte des saints » et « Evasion ».