Tout est décidément prétexte à un échange d’amabilités entre les dirigeants français et leurs homologues turcs. Après la Libye, ils s’affrontent verbalement sur le théâtre libanais, depuis que ce pays a été endeuillé le 4 août par une très forte explosion qui a détruit une partie de sa capitale, faisant plus de 170 morts et plus de 6500 blessés.
Emmanuel Macron, le président français, a été le premier chef d’État étranger à se rendre à Beyrouth jeudi dernier, 48 heures après le drame, où il a tenu des propos interprétés comme une immixtion dans les affaires internes du Liban.
Une semaine après, le président turc Tayyip Erdogan critique cette visite, la qualifiant de « spectacle » et accusant la France de « vouloir rétablir l’ordre colonial » au Liban, sous mandat français entre 1923 et 1943.
« Ce que Macron et compagnie veulent, c’est rétablir l’ordre colonial », a déclaré Erdogan dans un discours prononcé à Ankara. La Turquie a aussi apporté son aide au Liban après l’explosion et y a même dépêché son vice-président Fuyat Oktay.
Mais pour Erdogan, le dessein des Turcs est à l’opposé de celui des Français. « Nous ne sommes pas au Liban pour faire le show devant les caméras comme certains, nous y sommes en vertu de notre fraternité éternelle. Nos actions pour garantir nos droits et intérêts en Méditerranée orientale jouent littéralement le rôle de « papier de tournesol », tant dans notre pays qu’à l’extérieur », a-t-il soutenu, dans des propos rapportés par le média turc TRT.
L’allusion est aussi aux tensions entre la Grèce et l’UE d’un côté et la Turquie de l’autre, nées de l’ambition de celle-ci d’explorer les ressources gazières en Méditerranée orientale, nouveau théâtre du pugilat turco-européen.
Les initiatives de part et d’autre sont inquiétantes, avec ces menaces d’Erdogan qui a déclaré que « ceux qui attaquent nos frères doivent savoir qu’ils rendront des comptes devant la justice internationale et par d’autres moyens » et du Premier ministre Grec Kyriakos Mitsotakis qui a affirmé que son pays ne laisserait « aucune provocation sans réponse ».
Lundi, la Turquie a déployé un navire de recherche sismique escorté par des bâtiments militaires dans le sud-est de la mer Égée, une zone de la Méditerranée disputée et riche en gisements gaziers. La marine grecque s’est de son côté déployée dans la zone afin de « surveiller » les activités turques.
Des tensions récurrentes
L’UE, la France en particulier, s’y est aussi mêlée. Le gouvernement français a annoncé le déploiement de deux avions de chasse Rafale ainsi que des bâtiments de la marine en Méditerranée orientale. Une démarche visant à apaiser les tensions mais qui pourrait, au contraire, les renforcer, estime-t-on.
En route vers Beyrouth justement pour y apporter de l’aide humanitaire, le porte-hélicoptères « Tonnerre » de la marine française a été rejoint dans la nuit de mercredi à jeudi en Méditerranée par la frégate « La Fayette ». Ce navire avait appareillé de Larnaka (Chypre) et réalisé un exercice avec la marine grecque.
Pour le ministère français des Armées, « cette présence militaire a pour but de renforcer l’appréciation autonome de la situation et d’affirmer l’attachement de la France à la libre circulation, à la sécurité de la navigation maritime en Méditerranée et au respect du droit international ». Mais la Turquie ne l’entend pas de cette oreille et assure par la voix du même Erdogan qu’elle ne « laisserait aucun pays empiéter sur ses droits ».
« La solution en Méditerranée orientale passe par le dialogue et les négociations (…) Personne ne doit avoir des illusions de grandeur. Je le dis ouvertement et clairement, personne ne doit chercher à faire son show », a mis en garde Erdogan, estimant que « ce n’est pas la Turquie qui exacerbe les tensions en Méditerranée, mais la mentalité grecque qui essaie d’ignorer la Turquie et la République turque de Chypre du Nord. Nous ne laisserons aucun pays spolier nos droits ».
Entre l’Europe et la Turquie, les tensions sont récurrentes ces dernières années, les deux parties butant, depuis la fin de l’illusion turque d’intégrer l’Union européenne, sur plusieurs sujets de discorde, dont la question migratoire et la crise en Libye. Ce conflit a donné lieu il y a quelques semaines à des échanges mémorables entre la France et la Turquie au plus haut niveau de responsabilité.
Le 29 juin, Emmanuel Macron dénonçait la « responsabilité historique et criminelle » de la Turquie en Libye, ce à quoi Erdogan avait rétorqué dès le lendemain, déclarant que « la France, que Macron dirige ou plutôt qu’il n’arrive pas à diriger en ce moment, ne se trouve en Libye que pour poursuivre ses intérêts avec une mentalité destructrice ».