Le rapporteur spécial des Nations-Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Clément Nyaletsossi Voule a terminé ce mardi sa mission de 10 jours en Algérie.
Au cours d’une conférence de presse, il a dévoilé ses observations préliminaires, et certains échanges qu’il a eus avec les autorités et les acteurs politiques en Algérie.
« Dans le cadre de la construction de l’Algérie nouvelle, j’exhorte le gouvernement à abandonner les poursuites et à gracier les personnes condamnées pour leur implication dans le Hirak. Cela traduira également la reconnaissance du Hirak comme un tournant dans l’engagement de l’Algérie à aller de l’avant », a déclaré Clément Voule lors d’une conférence de presse animée à la maison des Nations Unies à Alger, au terme d’une mission de dix jours qui l’a conduit à Oran, Alger et Bejaia.
Une mission au cours de laquelle, il a rencontré des représentants du gouvernement, mais également des acteurs politiques et de la société civile algériens.
« Je remercie le Gouvernement pour cette invitation qui dénote une volonté de solliciter l’expertise internationale pour améliorer la situation des droits de l’Homme. J’ai bénéficié de toute la coopération (…) », s’est félicité le rapporteur onusien dont la visite, initialement prévue l’an passé.
Selon lui, le mouvement populaire de 2019 « qui a fait preuve d’un esprit civique remarquable, donnant l’exemple au monde sur la conduite de manifestations pacifiques » auquel la police « a répondu largement de façon mesurée et professionnelle » doit constituer une « opportunité » pour créer un espace de libertés et aller vers un État de droit en Algérie.
Reste qu’après trois ans depuis l’adoption de la nouvelle constitution, il relève que des « décisions sont prises sous l’empire d’anciennes lois » et qu’il y’a un « problème de conformité de certaines lois avec la constitution et les conventions internationales ratifiées par l’Algérie ».
« Le gouvernement doit maintenant s’attaquer au climat de peur provoqué par une série d’inculpations pénales à l’encontre des individus, des associations, des syndicats et des partis politiques en vertu de lois excessivement restrictives, y compris une loi antiterroriste contraires aux obligations internationales de l’Algérie en matière de droits humains », a-t-il observé.
Dans ce contexte, l’expert onusien a rappelé au Gouvernement, dit-il, la nécessité d’amender ou d’abroger l’article 87 bis du code pénal en vertu duquel beaucoup d’activistes ont été condamnés.
Cet article dispose, entre autres, qu’est «considéré comme acte terroriste ou sabotage, tout acte visant la sûreté de l’État, l’unité nationale, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions par toute action ayant pour objet d’œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels; porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit ».
« Je comprends le contexte du pays qui revient de loin avec la guerre contre le terrorisme, mais il ne faut pas se laisser emprisonner dans le passé », a dit M. Voule.
L’expert onusien a confié avoir « senti une écoute de la part du gouvernement » algérien.
Autres recommandations du rapporteur onusien : « le gouvernement doit assouplir les restrictions strictes imposées aux rassemblements et aux associations afin de mettre les lois et les pratiques en conformité avec la constitution et le droit international relatif aux droits humains ».
Il a ajouté que « pour tenir les promesses de la constitution et du Hirak, remplir ses obligations en vertu des traités internationaux relatifs aux droits humains, l’Algérie doit garantir, en droit et en pratique, les droits de sa population de se réunir et de s’assoir librement, d’échanger des points de vue et des idées et de défendre des intérêts spécifiques, y compris en collaboration avec des partenaires à l’intérieur et à l’extérieur du pays ».
Relevant des « réserves » chez les autorités par rapport à certains aspects évoqués, et qui semblent privilégier d’abord le développement économique, le rapporteur onusien estime qu’un « équilibre » est possible entre la prospérité économique et la création d’espaces de liberté.
« Il faut un équilibre entre la sécurité publique et l’espace des libertés », soutient-il. « Beaucoup d’efforts ont été faits sur le plan économique, mais le problème reste l’espace de la société civile qui a le droit de critiquer les politiques publiques », a estimé le rapporteur onusien.
Le rapporteur a estimé qu’un « espace civique qui inclut également les voix critiques est essentiel pour améliorer le gouvernance et l’élaboration des politiques publiques et pour construire une démocratie participative durable et inclusive », assure Clément Voule qui a pu noter une certaine « crise de confiance » entre les acteurs rencontrés et les autorités.
Dans le même ordre d’idées, il a plaidé pour la réhabilitation de la LAADH et de RAJ, dissoutes par les autorités.
Interrogé si une liste de détenus « d’opinions » a été remise aux autorités, le rapporteur onusien a indiqué que certaines questions restent du domaine de la confidence.
Ayant trouvé les autorités algériennes à « l’écoute » et « disponibles pour que les observateurs les aident à améliorer la situation», Clément Voule a précisé que sa conférence ne dévoile que des observations préliminaires. Un rapport sur sa mission est prévu pour juin 2024. « Il y a une volonté de la part des autorités, mais on doit surveiller la mise en œuvre », a-t-il conclu.