Du fond d’une pièce sombre et humide, Ahlam Fathi observe son fils penché sur ses livres à la lueur d’une bougie, pour réviser une épreuve de rattrapage en sciences mécaniques. Dans son petit appartement du centre de Tripoli, l’air est suffocant, même la nuit avec les fenêtres grandes ouvertes.
« Je ne peux même pas lui en vouloir d’avoir échoué dans une ou deux matières du tawjihi », confie à voix basse cette mère quadragénaire de deux adolescents, évoquant l’examen de fin d’études secondaires en Libye. De jour comme de nuit, les Tripolitains envahissent plages et espaces publics ombragés, à la recherche d’un peu de fraîcheur.
« Comme d’habitude, l’été est difficile en Libye mais la chaleur est encore plus insupportable à cause des coupures d’électricité, qui durent souvent plus de 10 heures par jour », explique-t-elle. Ces coupures de courant imprévisibles, y compris dans leur durée, rythment le quotidien des Libyens depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. A cela s’ajoutent les pénuries de carburant et d’argent liquide, en plus d’une hausse vertigineuse des prix.
L’anarchie régnant dans le pays, les trafics de toutes sortes et la contrebande transfrontalière de marchandises subventionnées ont engendré des pénuries qui se répercutent sur le pouvoir d’achat des familles, peinant à joindre les deux bouts. Le prix du pain, aliment de base traditionnellement peu cher, a quadruplé en moins d’un mois.
Et c’est la capitale Tripoli, la ville la plus densément peuplée avec près de 2,5 millions d’habitants –auxquels s’ajoutent les populations déplacées des zones de conflit– qui souffre le plus de ces pénuries, même si celles-ci affectent toutes les régions du pays.
Système D
Certaines villes de l’ouest libyen refusent de « partager » le fardeau des coupures de courant, chacune ayant ses propres milices empêchant, souvent manu militari, les centres locaux de la compagnie générale libyenne d’électricité (Gecol) de procéder à des rationnements. Cette semaine, la Gecol a mis en garde contre un black-out total après des combats entre milices dans la banlieue sud de Tripoli qui ont endommagé le réseau de distribution d’électricité.
Pour Amal Khayri, professeur d’université à Tripoli, les pénuries ont contraint les Libyens à recourir au “système D”, en installant des groupes électrogènes ou en forant des puits dans leurs maisons pour se prémunir des coupures d’eau. « De nombreux Libyens achètent des générateurs, souvent très chers, pas assez puissants et de mauvaise qualité (…), puis commencent les aller-retour pour les réparations », dit-elle.
Les malheurs des uns font le bonheur des autres. Ventes et réparations des générateurs sont devenus depuis quelques années des commerces lucratifs. Cette crise a généré des emplois, même précaires, explique Abdallah al-Werfalli, un électrotechnicien qui répare les générateurs. « C’est ainsi que j’ai pu subvenir aux besoins de ma famille », dit-il.
Toutes ces pénuries illustrent l’échec des autorités de transition successives, dont l’actuel gouvernement d’union nationale (GNA) appuyé par l’ONU, à améliorer le quotidien de la population dans ce pays plongé dans l’insécurité et l’instabilité depuis plus de sept ans. Pour beaucoup de Libyens, il serait « illusoire maintenant de parler d’élections », auxquelles appelle la communauté internationale, avant l’amélioration des services publics et des conditions de vie.
Vandalisme et insécurité
« J’ai envie de rire lorsqu’on me parle d’élections, de Constitution ou de référendum », grince Ramadan al-Bouni. Ce marchand d’électroménagers de 53 ans, père de trois enfants, « ne trouve pas le temps ou l’énergie pour penser à autre chose qu’aux heures gâchées dans la journée pour faire la queue devant la banque ou la station d’essence », où le temps s’arrête pendant les coupures d’électricité.
« Le système (informatique) s’est arrêté », cette expression est devenue courante dans les administrations et les services publics ou privés, à tel point que les Libyens l’utilisent désormais avec dérision dans la vie quotidienne pour dire « non ».
Pourtant riche en hydrocarbures, la Libye produit actuellement au maximum 5.500 mégawatts (MW) alors que la consommation journalière dépasse 7.500 MW. Les raisons de ce déficit « sont multiples », explique Mohamad al-Tekouri, du bureau de la communication de la Gecol. « Nous rencontrons des difficultés, surtout pendant le pic (de consommation) estival (…), mais c’est aussi une conséquence de l’insécurité », déclare M. Tekouri à l’AFP.
Le directeur exécutif de la compagnie, Ali Sassi, a déploré de son côté l’arrêt de plusieurs projets en raison du départ des compagnies étrangères après des violences. Depuis 2011, ” »50 véhicules ont été volés » à la Gecol, regrette-t-il. Projets à l’arrêt, vandalisme, vol, gaspillage: la Gecol ne sait plus où donner la tête, jure M. Tekouri