Le maréchal Khalifa Haftar a annoncé lundi que les installations pétrolières sous contrôle de ses forces en Libye seraient désormais gérées par les autorités parallèles, basées dans l’Est du pays et hostiles au gouvernement reconnu par la communauté internationale.
Déchirée par des luttes de pouvoir et minée par une insécurité chronique, la Libye est dirigée par deux autorités rivales: le Gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli et un cabinet parallèle installé dans l’Est et soutenu par l'”Armée nationale libyenne” (ANL), force paramilitaire dirigée par le maréchal Haftar, homme fort de l’Est du pays.
Chacun dispose de sa banque centrale, sa “compagnie nationale” de pétrole (NOC) et de son agence de presse officielle.
“Toutes les installations pétrolières sécurisées par l’ANL sont remises à la Compagnie nationale de pétrole issue du gouvernement provisoire (de l’Est) et présidée par Faraj al-Hassi”, a déclaré le général Ahmed al-Mesmari qui lisait une décision du maréchal Haftar.
L’ANL contrôle notamment les quatre terminaux pétroliers du Croissant pétrolier (nord-est), en plus du port de Hariga à Tobrouk, près de la frontière égyptienne, par lesquels l’essentiel du pétrole libyen est acheminé vers l’étranger.
M. Mesmari, porte-parole de l’ANL, a précisé par ailleurs que les revenus du pétrole seraient désormais gérés par le gouvernement parallèle basé dans l’Est.
– Des acheteurs? –
“Aucun pétrolier ne sera autorisé à accoster dans les ports de l’Est sans la permission de la NOC” basée à Benghazi, a-t-il dit.
M. Mesmari n’a pas précisé si les autorités de l’Est avaient trouvé des acheteurs potentiels.
“Les ventes seront très difficiles”, a estimé Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye, en ajoutant cependant que “tout était possible” si des pays qui soutiennent M. Haftar comme les Emirats arabes unis se tiennent à ses côtés.
“En avril 2016, la Cyrénaïque (région Est) avait tenté de court-circuiter Tripoli et vendre 300.000 barils indépendamment — en vain. Le représentant libyen à l’ONU et le Conseil de sécurité avaient fait stopper le cargo”, rappelle-t-il.
Selon M. Mesmari, les “groupes armés rivaux sont financés par les revenus du pétrole”. Il fait allusion aux forces d’Ibrahim Jadhran qui ont attaqué le 14 juin les terminaux de Ras Lanouf et d’al-Sedra.
Ces deux principaux sites pétroliers du nord-est libyen ont été reconquis la semaine dernière par les forces du maréchal Haftar.
M. Jadhran commandait les Gardes des installations pétrolières (GIP) chargés de la sécurité du Croissant pétrolier. Il avait réussi à bloquer les exportations de pétrole de cette région pendant deux ans avant d’en être chassé en 2016 par l’ANL.
Le maréchal Haftar avait remis en 2016 la gestion de ces installations à la NOC basée à Tripoli, après des efforts pour l’unification des deux compagnies.
Jusqu’ici, les installations pétrolières étaient gérées par la NOC basée à Tripoli, dépendante du GNA et présidée par Mustafa Sanallah qui a représenté la Libye la semaine dernière à la réunion de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep).
– “Surprise” –
La NOC avait annoncé le 14 juin la suspension de ses opérations dans le Croissant pétrolier en raison des violences et avait mis en garde contre des milliards de dollars de pertes. La production de pétrole, qui était de plus d’un million de barils par jour, a ainsi été réduite de 450.000 b/j.
Dimanche, la NOC de Tripoli avait indiqué avoir dépêché une mission à Ras Lanouf pour évaluer les dégâts et décider d’une reprise des opérations, selon le site de la compagnie.
Pour M. Harchaoui, la décision de M. Haftar “est une surprise”.
“Il y a quelques jours seulement, Haftar tentait de parler comme une figure nationale, soucieuse de respecter son engagement auprès de l’Elysée (à Paris fin mai) en vue d’organiser des élections paisibles d’ici le 10 décembre 2018”.
“Aujourd’hui, nous assistons à l’inverse. Haftar montre le visage d’un leader qui ne parvient pas à s’imposer comme une réalité politique ou militaire en dehors de la Cyrénaïque, en disant explicitement vouloir briser pour la première fois la centralisation des revenus pétroliers à Tripoli”.
Pour Claudia Gazzini de Crisis Group, “la décision de l’ANL de ne pas remettre à la NOC de Tripoli les terminaux pétroliers clé de la Libye est dangereuse”.
“Elle pourrait relancer la guerre et approfondir les divisions entre l’Est et l’Ouest” de la Libye, a-t-elle souligné.