Si l’information circulait depuis plusieurs jours dans la presse, l’Élysée a confirmé lundi matin, par communiqué, que les protagonistes des deux camps rivaux libyens, Fayez al-Sarraj, le chef du Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU, et le maréchal Khalifa Haftar dont les troupes contrôlent l’est du pays, se rencontreront mardi 25 juillet au château de La Celle Saint-Cloud, en région parisienne.
« La France entend, par cette initiative, faciliter une entente politique entre le président du Conseil libyen et le commandant de l’Armée nationale libyenne, au moment où le nouveau représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Ghassan Salamé (le 6e en six ans NDLR), qui participe aux échanges, prend ses fonctions de médiateur des Nations unies », détaille l’Élysée.
Paris assure ne pas faire « cavalier seul »
Alors que la médiation des pays voisins (Algérie, Libye, Tunisie) est au point mort, le président français cherche à devenir un médiateur de premier plan dans la résolution du conflit, avec l’initiative ambitieuse (au cœur des discussions depuis des mois) de former une armée libyenne unifiée : « L’enjeu est de bâtir un État capable de répondre aux besoins fondamentaux des Libyens et doté d’une armée régulière unifiée sous l’autorité du pouvoir civil », précise l’Exécutif français.
Sur ce dossier, la France assure néanmoins ne pas faire cavalier seul. La rencontre de mardi « s’inscrit dans une dynamique collective » assure l’Élysée, selon des propos rapportés par Reuters. « Nous avons tenu à informer les pays qui sont soit frontaliers soit engagés en Libye depuis des années, c’est le cas de l’Algérie, c’est le cas du Maroc », souligne l’Élysée, et de l’Italie avec qui Paris indique avoir eu des « consultations très étroites » ces derniers jours.
Officiellement, Paris se range derrière la communauté internationale et soutient al-Sarraj. Mais cette initiative française conduit à s’interroger sur le rôle que pourrait jouer le maréchal Haftar (ancien officier de Kadhafi exilé aux États-Unis en 1983) dont les troupes sont soupçonnées d’exactions sommaires, notamment à Benghazi.
Paris espère une déclaration conjointe
« Nous souhaitons que demain une déclaration conjointe soit agréée entre les deux protagonistes », souligne l’Élysée auprès Reuters. « Ça serait la première fois que les deux acceptent sur un document simple mais constructif de se mettre d’accord sur cette période de transition politique ».
Si L’Élysée reconnait que « la déclaration conjointe est toujours en cours de discussion » et que « ce n’est pas simple », Paris espère notamment voir inscrire dans la déclaration le rejet de toute solution militaire à la crise libyenne, ce qui pourrait passer par une mention « de la cessation des hostilités au moins pour tout ce qui ne relève pas de la lutte contre le terrorisme ».
Il est toutefois peu probable que cette entrevue débouche sur une avancée concrète du fait des antagonismes entre les deux parties. Le Gouvernement d’union nationale (GNA), installé à Tripoli, reste contesté par le Parlement de Tobrouk, à l’Est, et peine à unifier les différentes forces politiques derrière lui.
Début mai, à l’initiative des Émirats arabes unis, et après une rencontre avortée en février organisée par l’Égypte, les deux protagonistes du conflit s’étaient vus à Abu Dhabi. Une première depuis janvier 2016. Ils n’avaient toutefois annoncé aucune mesure concrète.
Macron très critique de l’opération française en Libye en 2011
À travers cette action, Paris cherche manifestement à faire oublier les erreurs diplomatiques du passé. Dans une interview au quotidien Le Monde fin juin, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait affirmé que « la Libye (était) une priorité du chef de l’État » français. Dans le même temps, Emmanuel Macron avait laissé entendre que l’intervention militaire française de 2011 en Libye avait été une erreur.
« Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans. La démocratie ne se fait pas depuis l’extérieur à l’insu des peuples. La France n’a pas participé à la guerre en Irak et elle a eu raison. Et elle a eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye. Quel fut le résultat de ces interventions ? Des États faillis dans lesquels prospèrent les groupes terroristes », expliquait le chef de l’État dans un entretien commun accordé à huit journaux européens.
Les propos du président Macron, au cours de cet entretien, visent directement la présidence de Nicolas Sarkozy. En mars 2011, il engage la France dans une opération militaire en Libye visant à restaurer l’image diplomatique de l’Hexagone ternie au début des printemps arabes et à accroître l’influence française en Afrique du nord en période préélectorale. Mais rien ne se passe comme prévu : l’opération est mal préparée, pour ne pas dire improvisée, et sera un échec. La chute de Kadhafi met un terme à la très fragile unité nationale existante et le pays bascule dans la guerre civile, puis devient par la suite un bastion de l’État islamique.
L’indécision manifestée sous la présidence de François Hollande et l’abandon du dossier pendant cette période sont aussi dans le viseur d’Emmanuel Macron. « 2011 a laissé des traces (…) Nous voyons toutes les conséquences dramatiques, et malheureusement, les faits parlent. Il y a eu une intervention par des frappes aériennes, mais il n’y a pas eu de suites politiques, et on est [aujourd’hui] dans une situation de chaos », avait déclaré Jean-Marc Ayrault en mars 2016, en guise d’aveu d’impuissance.