Politique

Libye : pourquoi l’Égypte vole au secours du maréchal Haftar

Les forces armées du gouvernement d’union nationale (GNA) libyen ont entamé ce samedi une opération pour reprendre la ville stratégique de Syrte des mains des forces de l’Armée nationale libyenne (ANL) dirigées par le maréchal Khalifa Haftar, signalant définitivement l’échec de l’offensive à l’ouest des forces de l’ANL et la reprise de l’initiative militaire du GNA dans le conflit, rapportent plusieurs médias.

Le maréchal Haftar avait lancé en avril 2019 une offensive pour s’emparer de la capitale libyenne Tripoli, bastion contrôlé par le GNA présidé par Fayez el-Sarraj et reconnu par la communauté internationale. L’offensive a conduit à l’implication de nombreuses puissances étrangères, notamment des mercenaires en soutien aux forces de l’ANL.

La situation a cependant changé depuis le début de l’année 2020 suite à l’intervention officielle de la Turquie en soutien des forces du gouvernement d’union nationale. Le soutien militaire actif turc, notamment par le biais de drones armés bombardant les positions stratégiques de l’ANL, a permis aux forces du GNA d’infliger une série de défaites aux forces de Khalifa Haftar, avec comme apothéose la reprise à la mi-mai de la base aérienne stratégique d’Al Watiya.

Sentant le vent tourner, le maréchal Haftar s’est dit ce samedi favorable à un cessez-le-feu entre les deux parties en conflit. La proposition de trêve est portée par l’Égypte, allié de Haftar. Baptisée la « Déclaration du Caire », l’initiative comporte aussi un appel à des négociations à Genève et réclame le retrait des « mercenaires étrangers de tout le territoire libyen », le « démantèlement des milices et la remise des armes », a indiqué le président égyptien, Abdelfattah Al-Sissi.

L’Algérie a réagi avec prudence à la nouvelle initiative égyptienne et à l’appel au cessez-le-feu lancé par Haftar. Le ministère des Affaires étrangères a déclaré avoir pris acte de cette initiative et rappelé la position de neutralité de l’Algérie dans ce conflit. L’Algérie “appelle les différents acteurs régionaux et internationaux à coordonner leurs efforts pour trouver un règlement politique durable à la crise dans ce pays frère”, a déclaré le ministère des Affaires étrangères.

“L’initiative égyptienne est dictée par l’inversion du rapport de forces sur le terrain et la déconfiture des forces du maréchal Haftar. Elle contient en outre des conditionnalités qui seront difficiles à accepter par le GNA. Telles que le démantèlement des milices, et le départ des supplétifs et des forces étrangères dont les troupes turques et les mercenaires syriens”, explique une source algérienne.

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a « salué le résultat obtenu » par l’Égypte visant à « la cessation immédiate des hostilités, à la reprise des négociations dans le cadre du comité militaire mixte 5+5 et à la conclusion rapide d’un cessez-le-feu prévoyant le départ de Libye des mercenaires étrangers ».

L’ambassade des États-Unis en Libye a également salué l’initiative de l’Égypte. « Les États-Unis observent avec intérêt que des voix politiques dans l’est de la Libye s’expriment. Nous attendons avec impatience de voir ces voix incorporées dans un véritable dialogue politique à l’échelle nationale immédiatement après la reprise des pourparlers 5 + 5 organisés par la Mission d’appui des Nations Unies en Libye sur les modalités d’un cessez-le-feu », a déclaré l’ambassade dans un communiqué.

« Nous saluons les efforts de l’Égypte et d’autres pays pour soutenir un retour aux négociations politiques dirigées par l’ONU et la déclaration d’un cessez-le-feu », ajoute l’ambassade américaine.

Les Émirats arabes unis, alliés de Haftar, ont aussi annoncé leur soutien aux efforts de l’Égypte appelant à un cessez-le-feu immédiat en Libye et à un retour au processus politique, saluant « les efforts diplomatiques sincères et persistants de l’Égypte à cet égard », indique un communiqué du ministère des Affaires étrangères émirati.

Le ministère des Affaires étrangères émirati a également « appelé les autorités libyennes, dirigées par le gouvernement d’accord national (Al-Wefaq) et l’armée nationale libyenne, à répondre immédiatement à cette initiative afin d’éviter les effusions de sang, à s’engager dans le renforcement des institutions, et mettre fin à ce conflit, qui menace la souveraineté et l’intégrité de l’État libyen ».

La Russie a apporté quant à elle un soutien en demi-teinte à l’initiative égyptienne. « Nous avons lu le contenu de l’offre du président égyptien, bien sûr, nous soutenons toutes les offres qui visent à cesser les conflits en Libye dès que possible », a déclaré Mikhail Bogdanov, le représentant spécial de la Russie au Moyen-Orient et dans les pays africains

Allié du gouvernement d’union nationale, la Turquie n’a pour sa part pas mâché ses mots contre l’Égypte et le maréchal Haftar. « Le putschiste et pirate Haftar, qui tente de créer un autre régime autoritaire dans la région en renversant le gouvernement légitime, ainsi que ses partisans, dont l’administration égyptienne, constituent le principal obstacle à l’établissement de la paix et de la stabilité en Libye », a estimé pour sa part le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères, Hami Aksoy.

« Il n’est pas surprenant que ceux qui ont pris le contrôle de leur administration par un coup d’État soutiennent un putschiste. Le soutien militaire que l’Égypte fournit depuis des années au putschiste Haftar constitue une violation flagrante des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le peuple libyen tiendra toujours pour responsable du chaos et de l’instabilité en Libye, ceux soutenant le putschiste Haftar, qui ne voit même pas de mal à opprimer son propre peuple et menace l’unité et l’avenir de son pays », a ajouté le responsable turc.

Sans surprise, le gouvernement d’union nationale s’est de son côté montré peu enclin pour l’heure à accepter la proposition peu de temps après avoir repris l’initiative militaire. « Nous n’avons pas commencé cette guerre, mais nous sommes ceux qui décident où et quand elle se termine », a notamment déclaré le porte-parole des forces du GNA, Mohamad Gnounou.

Malgré l’enthousiasme du GNA, il demeure cependant incertain jusqu’où les forces soutenues par la Turquie puissent progresser vers l’est. Soutien du maréchal Haftar, la Russie demeure en effet présente en Libye par le biais de mercenaires du groupe Wagner, réputé proche du Kremlin. Selon les États-Unis, la Russie a même déployé des avions de guerre en Libye.

Après s’être repliés de l’ouest, les mercenaires russes se sont redéployés sur la base aérienne d’Al-Jura, à la frontière entre l’ouest libyen (la Tripolitaine) et l’est (la Cyrénaïque). C’est également dans cette même base que les chasseurs russes de type MiG-29 et Sukhoï-24 auraient été déployés. Une manière on ne peut plus claire d’indiquer à la Turquie et au GNA où se trouvaient les limites dans leur éventuelle progression militaire.

Les plus lus