L’Algérie s’achemine vers ce qui ressemble à une nouvelle transition politique. C’est du moins ce qui se dégage des déclarations des responsables de partis, ces derniers jours, évoquant le report de l’élection présidentielle prévue en avril 2019 et la prolongation du quatrième mandat du président Bouteflika d’un ou de deux ans. Une prolongation qui ne se fera qu’après un amendement constitutionnel devant passer par le Parlement réuni en congrès.
Abderrazak Makri, président du MSP, et Amar Ghoul, président de TAJ, ont fourni un aperçu de ce que pourrait être la nouvelle feuille de route qui se construira autour de l’idée d’un « consensus national ».
« Nous avons contacté tout le monde. Nous avons été patients et avons évité de répondre aux provocations. Pour nous, il faut renouveler la confiance. Ainsi, nous avons changé les expressions qui peuvent gêner les uns ou les autres. Par exemple, le terme « transition démocratique ». Nous voulons trouver des solutions, pas provoquer », a confié Abderrazak Makri, invité de TSA direct dimanche 9 décembre.
Makri a expliqué que l’initiative politique, lancée par son parti en été 2018, a été modifiée. Une modification qui semble avoir bien été enregistrée par les partis du pouvoir ou proches du pouvoir. « Nous sommes prêts à étudier toute initiative politique qui approfondit et complète les réformes entamées par le président Bouteflika. Nous sommes prêts à étudier toutes les initiatives surtout celles qui viennent de l’opposition. Nous discuterons avec tous les partenaires de opposition ou Alliance présidentielle », a déclaré Amara Benyounes, président du MPA, le mardi 11 décembre, après un meeting à Alger.
« Pluralisme », « consensus » et « urne »
Benyounes a annoncé que les partis de l’Instance de coordination de l’Alliance présidentielle se réuniront bientôt en sommet (préalablement au siège de TAJ, un symbole très fort vu que le parti de Ghoul a appelé à une conférence nationale) pour étudier les nouvelles propositions politiques.
Par le passé, Amara Benyounes reprochait à l’opposition de ne rien proposer et rejetait toute idée de « transition démocratique ». Idem pour Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND, qui se montre, à chaque fois, allergique à cette idée.
« Le RND est disposé à débattre de toutes les questions à caractère économique, sécuritaire et politique exceptée celle touchant au choix du peuple à travers l’urne comme la question de la période de transition. Il n’y a qu’une seule voie dans le pluralisme en matière d’alternance au pouvoir à savoir le peuple et non le consensus national ni la période de transition », a déclaré Ahmed Ouyahia, en juin 2015.
En juillet 2018, le chef du RND et Premier ministre maintenait sa position et rejetait d’une seule main la proposition faite par le MSP en disant qu’il n’y a pas de place « pour une transition politique en Algérie dans un pays qui retourne régulièrement aux urnes ». « Ce serait là un déni de la souveraineté populaire », a-t-il appuyé.
Le consensus est, pour lui, une négation du pluralisme démocratique. Le seul « consensus » qu’Ouyahia accepte est celui autour des choix économiques.
Le FLN de Djamel Ould Abbes, ex-secrétaire général, diffusait sur la même longueur d’ondes que le RND en juillet 2018. « Le pays a besoin d’un consensus pour sortir de la crise économique », avait proclamé le SG du vieux parti.
« L’ère des périodes de transition est révolue »
Ould Abbes, qui recevait Makri, avait rejeté en termes diplomatiques l’initiative sur « le consensus national » proposée par le MSP en plaidant pour un 5e mandat pour le président Bouteflika.
Bouteflika lui-même avait refusé l’idée de « transition politique » en novembre 2017 lors d’un message à l’occasion du 63e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale. « L’ère des périodes de transition est révolue en Algérie dont les institutions politiques ont été sauvegardées au prix de dizaines de milliers de martyrs du devoir national. Le pouvoir se conquiert désormais aux échéances prévues par la Constitution, auprès du peuple souverain qui l’attribue par la voie des urnes, à la lumière de programmes concerts qui lui seront proposés », a soutenu le chef de l’Etat.
« Missions constitutionnelles »
Il n’y a pas que les politiques qui n’aiment pas « la transition politique » ou « la transition démocratique ». Même les militaires montrent leur aversion à l’égard de cette idée qui souvent se développe dans les sociétés en crise.
Le général de corps d’armée, Ahmed Gaid Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état major de l’ANP, a lui aussi dit « non » à la demande Abderrazak Makri de contribuer au contrôle de « la transition politique » en Algérie.
« L’Armée nationale populaire est une armée qui connait les limites de ses missions constitutionnelles et il est hors de question de l’impliquer dans les enjeux partisans et politiques », a-t-il déclaré à l’Académie de Cherchell, le 26 juillet 2018.
En décembre 2018, à moins de quatre mois de l’élection présidentielle, les choses semblent avoir changé. Et les rejets publics des propositions à « la transition politique » ne s’expriment plus, du moins de la part des cercles de la prise de décision.
New deal
Les partis de l’Alliance présidentielle disent être prêts pour étudier toutes les initiatives dont le but est « l’approfondissement des réformes politiques » en Algérie.
C’est justement ce que dit le MSP à travers son initiative qui sous-entend une révision de la Constitution pour donner plus de pouvoir au Parlement et limiter les prérogatives du président de la République ainsi qu’une refonte de la loi électorale pour rendre les scrutins « transparents et réguliers ».
Et puisque le projet du 5e mandat pour Bouteflika n’est plus un point rouge clignotant dans le radar politique algérien, toutes les hypothèses sont désormais sur la table. L’une d’elles peut prendre la forme d’un new deal qui se résume ainsi : le pouvoir politique, qui ne veut plus faire face seul aux difficultés socio-économiques, accepte « la transition politique » proposée par l’opposition à condition que l’opposition, invitée à adoucir sa sémantique, tolère le report de l’élection présidentielle et donc le prolongement du mandat du chef d’Etat actuel.