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L’impressionnant flux du vent de sable du Sahara algérien vers la France

L’impressionnant flux du vent de sable du Sahara algérien vers la France

Avant d’arriver en France, les vents de sable du Sahara algérien ont recouvert plusieurs villes d’Algérie cette semaine. À Alger, un voile de vent de sable a enveloppé la ville mardi 18 juin, alors que le sirocco, ce vent chaud qui a accompagné cette fois le vent de ce sable a rendu l’air irrespirable et créé une atmosphère d’apocalypse dans de nombreuses villes du nord de l’Algérie.

Une simulation de l’Institut fédéral autrichien de géologie, géophysique, climatologie et météorologie montre l’impressionnante du flux du vent de sable du Sahara algérien vers la France et les pays européens dont l’Autriche.

Nombreuses sont les personnes qui voient dans cet événement l’effet de la sécheresse, un raisonnement que récusent des agronomes. La cause serait anthropique, c’est à dire liée au surpâturage. Et si les moutons étaient la cause des vents de sable qui déferlent sur le nord de l’Algérie et une grande partie de l’Europe dont la France ?

Ces « vents de sable » correspondent en fait à une mise en suspension par un air chaud ascendant de particules de limon. Des particules très fines qui correspondent à la partie la plus fertile des sols. Quant aux grains de sable, leur poids ne leur permet que de s’accumuler sous l’effet des rafales de vent contre le premier obstacle rencontré.

Vent de sable  du Sahara algérien vers la France : de quoi s’agit-il ?

 Il suffit aujourd’hui d’aller à 200 km au sud d’Alger pour voir les prémisses d’un ensablement. A 50 km plus loin, les premières dunes sont déjà là.

C’est également le cas autour de Mecheria et Naâma, ces villes de la steppe algérienne sujettes à des vents de sable de plus en plus fréquents.

Comme lors d’une éclipse en milieu de journée à Djelfa, le ciel a brusquement pris une teinte rougeâtre et s’est soudainement obscurci. On n’y voit pas à moins de 20 mètres.

Sur le chantier d’une maison en construction, un ouvrier a filmé la scène. Face à l’obscurité environnante, sidéré il s’exclame : « il n’est même pas encore 15h de l’après midi ». Au loin, seules les lumières des lampadaires permettaient d’apercevoir les contours de la ville.

Pour Nedjraoui Dalila et Bédrani Slimane, deux universitaires qui se sont penchés en 2008 sur la désertification, la responsabilité de l’homme ne fait pas de doute dans ce phénomène : les vents de sable sont bien dus à l’élevage ovin, notamment aux méthodes actuelles d’élevage et leur environnement économique.

S’ils ne contestent pas une diminution des précipitations de l’ordre de  27% et une saison sèche qui a augmenté de 2 mois durant le siècle dernier, ils rappellent qu’une brebis a besoin de deux hectares de parcours steppiques, or sur ce type de surface on en trouve dix.

Des parcours qui n’ont cessé de se dégrader au fil des années. Sur les 4 millions d’hectares d’alfa répertoriés en 1950 en Algérie, on dénombrait seulement 2 millions en 1989. Près de 50% des nappes alfatières ont donc disparu en l’espace d’un siècle. La télédétection permet aujourd’hui de cerner avec précision l’état du processus de désertification en cours.

En cause, une demande soutenue et croissante de viande ovine en relation avec une croissance démographique et une amélioration du niveau de vie.

Dans des régions sans industries pourvoyeuses d’emplois, cette demande a favorisé l’apparition de nouveaux éleveurs et la croissance du cheptel détenu par d’autres.

L’élevage du mouton, une activité rentable

L’élevage du mouton est une activité rentable en Algérie. Sur les 20 millions d’hectares de la steppe, l’accès aux parcours est resté longtemps gratuit, les éleveurs ne payent aucun droit de pacage.

Certes la situation change progressivement, les services agricoles ont instauré un droit d’accès aux parcours. Des parcelles sont suivies à l’année par des gardiens puis louées quelques mois au printemps et à l’automne : « les mahmiyates » que gèrent aujourd’hui les communes steppiques et qu’acceptent les éleveurs.

Depuis les années 1970, la disponibilité en camions a permis aux éleveurs disposant de moyens le déplacement plus rapide de leurs troupeaux vers les parcours les plus fournis.

Co-auteur d’une étude sur la région de Djelfa, Kanon Mohamed indique qu’il existe une catégorie de « gros éleveurs et d’investisseurs (commerçants, entrepreneurs…) détenteurs de moyens de production (motorisation, bergeries, superficie agricoles) ».

À Djelfa les troupeaux comprennent en général 200 brebis et un éleveur peut en posséder 10 et plus. En 2023, lors d’un entretien avec le wali de Tiaret, un éleveur témoignait disposer de 6.000 moutons.

Le chiffre d’affaires de la filière viande rouge est estimé à 700 milliards de DA soit 5 milliards de dollars et les éleveurs ne sont soumis à aucune imposition en Algérie.

L’analyste financier Chabane Asad faisait récemment remarquer sur les réseaux sociaux que ces 700 milliards DA « alimentent la sphère informelle. Plus de 9% de la monnaie en circulation » et que « le préjudice financier subi par le trésor est estimé à 100 milliards de dinars ». 

Enfin, il concluait sur l’absence de comptabilité analytique ce qui permettait « une spéculation sur les prix ».

À plusieurs reprises dans ses interventions, le président Abdelmadjid Tebboune a souligné l’importance de généraliser la numérisation des différents secteurs de l’économie.  

Le manque de transparence, les petits éleveurs sont les premiers à en souffrir. C’est le cas avec la vente de l’orge au prix réglementé de 1.800 DA le quintal alors qu’il se retrouve deux fois plus cher sur le marché noir. En cause, de fausses déclarations de cheptel qui permettent à de pseudos éleveurs d’acquérir des quotas d’orge.

Cependant, cette vente d’orge lors des périodes de soudure a eu pour effet le maintien artificiel d’un cheptel plus important que ne peuvent supporter les parcours steppiques.

Le consentement à l’impôt est faible, voire inexistant face à une activité ancestrale sur ces terres Arch soumises à un droit d’usage communautaire.

Les impôts font office de repoussoir. La situation est telle que les agents chargés de l’actuel recensement agricole prennent d’infinies précautions avec les éleveurs en leur expliquant qu’il s’agit avant tout de connaître les effectifs du cheptel afin que les services agricoles puissent planifier de futurs plans de développement ou assurer les ventes d’orge avec plus d’équité.

Défrichements, la charrue à l’assaut de la steppe

Jusqu’à présent dans ces régions aux sols peu profonds et à la faible pluviométrie, seul le pastoralisme associé au nomadisme permettait une utilisation durable du milieu.

Aujourd’hui, avec un cheptel de 19 millions de têtes, la demande en orge augmente. Des éleveurs ont entrepris de défricher la steppe pour semer de l’orge. Menée de façon extensive, cette culture procure des rendements de 3 à 5 quintaux qui « sont loin de compenser la dégradation des sols induite », notent Bedrani et Nedjraoui.

En bonne année, après la récolte les moutons profitent des chaumes. Si l’année est mauvaise, dès le printemps les parcelles sinistrées servent de pâture.

Dans tous les cas, l’éleveur sort gagnant d’autant plus que selon le droit coutumier lorsqu’une parcelle est semée, les troupeaux voisins n’ont pas droit d’accès. Il suffit parfois d’un simple trait de labour pour empêcher le passage des bêtes. Un droit coutumier que certains détournent à leur profit pour une appropriation rampante de la terre.

Depuis, la loi de 1983 sur l’Accès à la propriété foncière agricole (APFA) vise à structurer la mise en valeur de cet immense territoire.

Comme lors du mouvement des enclosures au XVI siècle en Angleterre, on assiste à une ruée vers la terre et au développement des opérations de défrichement bien que celles-ci soient à priori interdites.

Ces dernières années, les conflits se multiplient entre éleveurs et bénéficiaires de concessions agricoles. En témoigne le cas de ces éleveurs brandissant devant les caméras d’Ennahar TV des touffes d’armoise desséchées pour dénoncer les labours anarchiques.

Après défrichement, le couvert d’alfa et d’armoise n’est plus là pour retenir les particules de limon qui sont ensuite emportées par le sable jusqu’en Europe.

« Le défrichage inconsidéré de sols fragiles pour la culture des céréales livre les sols dénudés par les labours à l’action décapante des vents. Des micro-dunes se forment à ces niveaux, donnant lieu à des paysages pré-désertiques », alertent les deux experts.

Dans la plaine de Brézina (Naama) sur des sols profonds aux limons fertiles, des forages ont permis d’irriguer des centaines d’hectares de céréales, de maïs ou de pomme de terre mais sans qu’aucun brise-vent n’ait été planté. Face à la faiblesse des ressources, partout la production de fourrages irrigués se développe.

Pour les deux universitaires, le surpâturage et le défrichement résultent « de la demande soutenue et croissante de la viande ovine en relation avec la croissance démographique et la haute rentabilité de l’élevage en zones steppiques du fait de la gratuité des fourrages ».

La situation nécessite un changement de paradigme, mais comment faire ? Le mythe d’une Algérie ancien grenier de Rome reste vivace alors que la réalité est tout autre, l’environnement semi-aride du pays est fragile.

En ce mois de juin, le ciel jaunâtre  qui remplace le beau ciel bleu de la capitale pourrait contribuer à une prise de conscience car à lui seul le barrage vert ne suffira pas.

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