Économie

L’inflation, le chômage et la croissance économique : quel discours au finish pour les « Présidentielles » ?

TRIBUNE. Nous tenterons, ci-après, de mettre à la disposition de l’électeur des outils de lecture, d’évaluation et de jugement à un moment de grandes décisions pour l’avenir de notre pays. Nous avons choisi de le faire au travers d’un prisme à trois facettes : l’inflation, le chômage et la croissance économique.

a- L’inflation

Subissant les foudres inflationnistes du Covid-19, les pouvoirs financiers du pays, précisément depuis janvier 2021 et jusqu’à septembre 2022, en semblaient impuissants d’accompagner, aux premiers coups, l’explosion du mouvement haussier de l’inflation qui n’avait épargné aucun pays ou région dans le monde. Ceci, en dépit du lourd impact  sur le pouvoir d’achat des citoyens algériens.

Le réalisme avec lequel ce phénomène inflationniste mondial fut traité, excluait toute couverture ou atténuation de l’ardeur de ce drame ; tranchant fondamentalement, avec le mouvement inflationniste, présenté  de manière ‘’soft,’’ qui était devenu habituel depuis le début des années 2000 et dont on s’accommodait, tant que l’inflation était contenue à un niveau ‘’ingurgitable’’ aux alentours de 4 %.

En effet, celle-ci, ayant, brutalement, fait mouvement  haussier en raison de la consistance des intrants (inputs) importés, fortement renchéris par les effets du Coronavirus ‘’Covid-19’’ et de la guerre d’Ukraine et dont la prise en charge demande une haute et fine dextérité pour être contenue dans des proportions ‘’vendables,’’ les hautes autorités du pays durent énergiquement réagir.

Fut alors, l’anticipation de ces phénomènes sociaux qui semble avoir été concomitamment et diversement engagée par les Pouvoirs publics.

Ils la matérialisèrent, contre toute attente, par des décisions surprises du président de la République même faisant partie de son programme politique : allocation de chômage historiquement inédite car instaurée pour la première fois en Algérie, augmentation à quatre reprises des salaires totalisant 47 % en attendant le bouclage des 100 % des augmentations promises pour 2027 et revalorisation des retraites et diverses aides sociales.

Ceci allant, nécessairement, de pair  avec une meilleure utilisation du déficit budgétaire ; en deçà même des limites orthodoxes des largesses financières débridées des orthodoxes censeurs de l’Occident, y compris ceux des Institutions financières internationales (IFI). (1)

Alors qu’ à la fin de 1998, on paraissait avoir maitrisé l’inflation jusqu’à la fin de l’année 2020 par le biais de l’allocation facile, aux importateurs, des devises de la Banque d’Algérie, administrativement sous cotées, indistinctement pour tout bien importé, de manière débridée avant 2020, sans grande pondération idoine et opposable à toute contestation le cas échéant, la surprise fut déroutante par le Tsunami inflationniste de l’année 2021.

En effet, après avoir chuté de 29,00 % en 1998 à 2,60 % en 2018, en raison d’un meilleur approvisionnement du marché en biens, rendu possible par une production agricole diversifiée et sans cesse croissante et par des importations abondantes voire excessives financées sur crédits fournisseurs ayant accompagné obligatoirement le rééchelonnement de la dette extérieure du pays en 1990 (2), l’inflation repartit à la hausse en atteignant, déjà à la fin de l’année 2020, un taux de 5,60 %, suivi des emballements des prix enregistrés depuis l’été 2021 et portant le taux d’inflation à 10,14 % en mai 2023. (3)

Y participèrent, objectivement, le début du resserrement des crédits en devises à l’importation et du recours conséquent, plus massif, par les importateurs, au marché informel des devises (l’euro essentiellement et le dollar) et, aussi, la spéculation, pendant les périodes de ‘’soudures saisonnières,’’ qu’on n’arrive encore pas à maitriser par une meilleure régulation qu’on n’a pas encore su efficacement mettre en place.

Ce dont on subit les retombées au moindre dérèglement dans la production et/ou dans les approvisionnements et que seul le recours aux importations, décidé précipitamment avec ou sans paiement, rétablirent à des niveaux acceptables.

Les difficultés à résoudre l’équation ‘’économie de marché et  subventionnement des prix aux niveaux de la production et de la consommation,’’ expliquent, également, beaucoup de situations objectives ou fomentées par les différents intervenants au niveau de la production et/ou de la distribution.

C’est un intérêt majeur qui semble préoccuper les Pouvoirs publics  depuis 2020/2021 à aujourd’hui en 2024 et, inévitablement, pour les années à venir ; même si les cours du pétrole venaient longuement à s’améliorer. C’est, cependant, ce que le management politique qui est moins rigoureux que la gestion monétaire, n’accepterait pas  d’admettre ; même si, la gestion du Pouvoir a bien ses propres lettres de souplesse dans des limites virtuosement  maniables.

Car, tout prendre ou tout laisser ne tient pas compte de la nature malléable des faits économiques, financiers et du comportement des acteurs qui, eux, sont exclusivement déterminés par leurs étroits intérêts matériels et, à titre très accessoire, par certaines motivations morales collectives, tenant compte du poids pondérateur du citoyen.

Tortueuse quelle est, l’inflation traduit bien le grand désordre qui a caractérisé l’économie nationale. Elle semble, depuis 2020, refléter presque la succession des faits économiques du pays ponctués par les caprices immoraux et incorrigibles des spéculateurs, en dépit de la grande sévérité que consacrent la législation et la réglementation prises pour les réprimer.(4)

Les actions conjuguées de ces mesures coercitives, la revalorisation des salaires et des pensions de retraite, l’instauration de l’allocation de chômage, le desserrage mesuré des flux d’importations ayant mieux achalandé les étals de la distribution et la poursuite plus fournie de l’affectation de logements plus nombreux, à formules plus diversifiées et fortement soutenus par l’État, à côté d’une production agricole variée et abondante, ont eu raison de la conjoncture défavorable et des séquelles profondes qu’a laissées la pandémie Covid-19.

Ainsi, une dynamique de décélération de l’inflation est-elle observée dès le début du second semestre de 2023. L’inflation y est passée de 10,14 % en mai 2023 à 7,84 % en décembre 2023 contre 9,45 % à fin 2022.

Durant le premier semestre de 2024 le rythme d’inflation annuel a commencé à décélérer pour s’établir au mois de mai 2024 à 6,8 %, selon le dernier bulletin de l’Office national des statistiques (ONS). L’inflation devrait poursuivre sa décélération durant l’année 2024 et en 2025.

Les Pouvoirs publics algériens  veulent ramener le taux d’inflation à 4 %, tandis que les Institutions financières internationales (Banque mondiale et Fonds monétaire international) tablent sur un taux d’inflation entre 6 % et 7 % pour la même période.(5)

Avec l’entrée en production en 2024, des grands projets industriels d’huiles végétales et du sucre, avec un fort taux d’intégration d’inputs nationaux, il sera encore permis de mieux maitriser les coûts de production et, par conséquent, des prix à la consommation.

Au-delà des effets négatifs sur le pouvoir d’achat des citoyens, l’inflation prive l’économie du pays de ressources qui auraient dû aller vers les investissements qui sont, entre autres, créateurs de richesses, de croissance, d’emplois et absorbeurs de chômage de nature à réduire le nombre des chômeurs qui émargent à l’allocation chômage.

b – Le chômage

Dans la logique du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) adopté en 1996 dans le prolongement du Mémorandum de rééchelonnement de la dette extérieure d’Algérie conclu, lui, le 30 mars 1995 avec les Institutions Financières Internationales dans le cadre du rééchelonnement de la dette extérieure du pays, le « phénomène chômage » est « camouflé » par la mise en retraite anticipée de milliers de travailleurs du secteur public, qui était encore, largement en âge de travailler.

Un phénomène qui sera, plus tard, difficilement gérable, au regard des nécessaires redressements de la gestion des finances publiques à compter de juin 2014, sous l’effondrement désastreux des cours de pétrole.

La chute du taux d’inflation qui s’en ensuivit, ne put « maquiller » une chute de l’ordre de 50 % de la masse salariale enregistrée entre 1980 et 1998.

Après une chute du niveau de 29,2 % en 1999 à 9,8 % en 2013, le taux de chômage repart à la hausse. Il remonte à quelque 14,24 % en 2019, quelque 14,54 % en 2020 et était projeté à quelque 15 % en 2025 si, toutefois, les données de 2019 devaient persister au vu du nombre de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur de presque 300.000 diplômés par an ; venant grossir, selon l’approche classique et largement statique, les rangs des chômeurs dans le pays. Mais, depuis, les données ont changé dans le sens d’une dynamique encourageant ces diplômés universitaires à créer leurs propres entreprises « start up » par la valorisation des résultats de leurs recherches diplomates, et ce, à côté de la mesure d’attente instaurant l’allocation chômage rendue effective depuis le mois de mars 2022.

Cette allocation couvre déjà quelque 1,9 million de chômeurs assimilable à un taux de chômage de 7,48 % calculé sur la base d’une population active évaluée, selon le même recensement, à 25,4 millions (en âge de travailler) pour une population totale de 46,7 millions d’habitants au premier janvier 2024, projetée à 47,4 millions au premier janvier 2025.

Ce taux du chômage de 7,48 % ci-dessus simulé, contraste à presque 50 % dans le sens opposé du taux de 15 % projeté en 2019 à l’horizon 2025 ; même si de légers correctifs sont admissibles dans un sens ou dans l’autre, mais sans s’en écarter outre mesure.

Ce qui autorise un démenti raisonnable aux spéculations excessives sur les dimensions du phénomène de chômage en Algérie à l’heure actuelle (en 2024) ; tout en admettant, en général, la complexité de la détermination précise du taux de chômage.

Au-delà des effets d’annonce qui sont très prometteurs et déjà honnêtement apaisants dans les milieux des jeunes oisifs, il est toutefois encore trop tôt pour en apprécier tous les effets directs et induits sur les plans économiques et sociaux à moyen et long termes, notamment sur le plan de la croissance économique ; sachant, tel que précédemment déjà souligné, que l’inflation et le chômage sont source de gaspillage des ressources.

c- La croissance économique

De la veille de la plus grande crise économique que l’Algérie ait connue en 1986, où le taux de croissance a été de 5,03 % en 1985, la croissance économique a été soit négative, soit très faiblement positive. Le taux de croissance économique, en dépit de projections spéculatives, frôla, par le bas ou par le haut, le plancher tel que retracé par le tableau suivant.

                   Évolution de la croissance économique de l’Algérie (1985-2024)

Intitulés/Années 1985 1989 1998 2013 2019
Taux de croissance + 5,03 (- 1,10) (- 1,10)  +2,80 +1,55
Intitulés/Années 2020 2021 2022 2023 2024
Taux de croissance (- 5,1) + 4,9 + 5,5 + 4,2 + 5,0

À des taux fantaisistes dus probablement au désordre qui caractérisait, encore très profondément, les données statistiques de l’Algérie entre 1961 et 1963 (-19,69 ; +34,31) le lendemain de l’indépendance du pays, succéda une longue période qui va de 1964 jusqu’à 1987 où les taux sont confortablement positifs, variant entre (+10,80 %) en 1968 et (+3,00 %) en 1981 avec, toutefois, des taux exceptionnels qui échappent à ce constat : (-4,80 %) en 1986 ; (-11,33 %) en 1971 ; (+27, 42 %) en 1972 et (+0,79 %) en 1980.

Le taux moyen de croissance de la PIB (la production intérieure brute) durant la période faste du développement industriel (1968-1981) et malgré le taux national moyen annuel d’inflation de 8,96 % observé durant la même période, il (le taux de croissance moyen de la PIB) demeurait à 9,86 % durant cette période.

Suivit une série de six taux négatifs et un taux nul (+0,80 %) couvrant les années de 1988 à 1994 ou les années de l’effondrement de l’économie algérienne à la suite de crises économiques, politiques et institutionnelles.

Intervint ensuite une série de taux de croissance homogènes d’une moyenne annuelle sur cinq ans, de l’ordre de (+2,80 %), mais ils sont trompeurs parce qu’ils sont le fait d’un dopage par crédits fournisseurs interposés ayant obligatoirement accompagné le rééchelonnement de la dette extérieure du pays.

Suivit, enfin, une longue série de 19 observations couvrant la période des années 2000 à 2018 où tous les taux annuels sont positifs, se situant entre un plancher de (+1,30 %) et un pic unique de (+7,20 %) pour une moyenne annuelle arithmétique de (+3,58 %). (6)

Est loin d’avoir été tenu l’engagement pris par les équipes gouvernementales successives, durant cette période, pour réaliser des taux de croissance voisins de (+7 %.) Celui-ci est présenté comme garant d’un développement qui répond, et à l’accroissement démographique et aux besoins d’investissement pour une croissance auto entretenue.

En effet, seule une fois (en 2003), le taux de croissance a atteint (+7,20 %) et deux fois en 2002 (+5,60 %) et en 2005 (+5,70 %), le taux a, par défaut, tendu vers (+7 %). Cette période fut favorisée, entre 2005 et juin 2014, par une hausse des prix du pétrole, en dépit de la déprime de l’ordre de 50 % du marché pétrolier de la fin de 2007 au début de 2009 et de la chute profonde de ce marché de juin 2014 à fin 2020.

Là, des choix douloureux auraient dû être faits pour favoriser la croissance au lieu de continuer à favoriser les importations de peu d’utilité sociale.

Dans l’histoire économique de l’Algérie indépendante, seule la période 1970 à 1980 a vu se réaliser un taux moyen de croissance économique de 9,86 % que, malheureusement, la synthèse économique et sociale établie par les successeurs de Houari Boumédiène n’a pas été soulignée à sa juste valeur, même si elle y a été timidement relevée.

Les crises du marché pétrolier ne doivent nullement tout endosser pour justifier les contreperformances qui expliquent l’échec de la construction promise d’une économie diversifiée et auto entretenue, durant les vingt années 2000-2019.

À quelques exceptions notables près, mais loin d’être déterminantes, cet échec paraît rappeler, dans ses grands traits, l’échec de la période 1979-1998. Heureusement, les performances agricoles sont venues atténuer les contreperformances des autres secteurs d’activités avec des taux de croissance supérieurs à 6 % avant 2009, et supérieurs à 10 % après avec une valeur de l’équivalent de l’ordre de 26 milliards de dollars du niveau globalement comparable à celui des exportations annuelles du pays en gaz et pétrole en 2019/2020.

Cette valeur de la production agricole nationale continuera sa croissance exceptionnelle pour atteindre en 2023 l’équivalent de 35 milliards de dollars. L’espoir d’aller vers des niveaux encore meilleurs aux horizons 2027 et 2030, s’appuie sur des données largement tangibles.

 Sans atteindre le niveau de (+7 %) jugé indispensable pour un développement normatif intensif pour l’économie algérienne, la période 2020-2024, verra à compter de 2021, un taux de croissance régulier, stable et constamment supérieur à 4,0 % après avoir mis de l’ordre dans les facteurs qui y concourent. Pour 2024, seule l’Algérie, parmi les pays du bassin méditerranéen, réussit à réaliser un taux de croissance de son PIB supérieur à 4 %.

D’une descente effrénée aux enfers socio-économiques à 2019, l’Algérie, péniblement, arpente, depuis 2020/2021, l’échelle de la croissance économique diversifiée et structurante.

Le boom de son PIB connu en 2023 et 2024 autorise sûrement ses ambitions dans le futur proche. Le changement structurel de ses exportations, en faveur de produits de plus en plus à fort contenu de capital, de technologies et de travail qualifié, autorise les ambitions, les plus folles possibles, à l’horizon 2027.

 Les projets désormais tangibles en matière de sidérurgie autour du minerai de fer de Tindouf, du phosphate de Tébessa, du zinc et plomb de Béjaïa, du feldspath d’Annaba et d’autres minéraux et terres rares, dont l’Algérie détient 20 % des réserves mondiales, les gigantesques projets agro-alimentaires dans le lait et ses dérivés, les viandes, les semences agricoles, les cultures de blés et autres céréales, bien engagés en réalisation, etc., en sont grands témoins.(7)

L’exportation, durant ce mois d’août 2024, de la première cargaison de fer plat brut du complexe sidérurgique d’Arzew (Oran) en attendant, avant la fin de la présente année, l’exportation du fer plat laminé à chaud rentrant dans la fabrication des industries mécaniques de l’automobile, du camion, des gros engins de travaux publics, etc., marque déjà cette nouvelle étape de l’économie algérienne qui traduira, dans les faits, le Boom attendu du PIB, sa diversification et sa profonde restructuration.

La campagne électorale des présidentielles du 7 septembre 2024, actuellement en cours, doit légitimement bien s’en vanter comme grands acquis de l’Algérie.


*Amar TOU, économiste, ancien ministre

Alger le 23 août 2024

Notes,

(1) Discours du Président de la République A. Tebboune à l’occasion de la fête du travail du 1er mai 2024.

(2) Mémorandum du 30 mars 1995 conclu entre l’Algérie et les Institutions Financières Internationales (IFI).

(3) Mémorandum du 30 mars 1995 conclu entre l’Algérie et les Institutions Financières Internationales (IFI).

 (4) Loi du 29 décembre 2021 prévoyant des peines d’emprisonnement allant de 3 à 30 ans de prison et des amendes financières pouvant atteindre les deux millions de dinars.

(5) Mémorandum du 30 mars 1995 conclu entre l’Algérie et les Institutions Financières Internationales (IFI).

(6) Ahmed Bouyacoub. Croissance économique et développement.1962-2012. Quel bilab? INSANYAT n°57-58. Juillet-décembre 2012.

(7) –  Amar Tou. Quotidien d’Oran et Ech chrouk quotidian: Les minerais industriels, pour une thésaurisation ou exploitation immediate.

     – Amar Tou, Le Boom du PIB à l’horizon 2026. Quotidien d’Oran et Ech chourouk Quotidian


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