Jusqu’à une date récente l’Algérie avait la réputation, justifiée, d’être un pays très peu endetté. Cette particularité était régulièrement mise en avant par les autorités, la présentant comme un gage de bonne gestion.
C’est toujours vrai pour la dette extérieure, qui reste l’une des plus faibles du monde et représente moins de 3% du PIB. En revanche, les choses sont en train de changer très vite pour la dette interne, qu’on appelle aussi dette publique, et qui est constituée par l’ensemble des dettes et emprunts contractés par l’État auprès des institutions financières, des ménages et des entreprises.
Selon le Fond Monétaire International (FMI), la dette publique algérienne ne dépassait 8,8% du PIB en 2015, ce qui permettait à notre pays de figurer, dans ce domaine, à une place très flatteuse dans le classement des pays les moins endettés au monde. Très loin des pays voisins ou la dette domestique représente couramment plus de 50 % du PIB. Sans parler des pays développés ou elle frôle souvent les 100 %.
Une hausse accélérée depuis 2015
Malheureusement, dès la fin 2016, ce ratio bondissait déjà à 21 % en raison principalement, précise le FMI dans son dernier rapport sur l’Algérie, « des dettes contractées vis-à-vis de deux entreprises publiques ». Il s’agit de Sonelgaz et Sonatrach.
La même tendance s’est poursuivie en 2017, avec un chiffre de 27 %, à cause toujours du rachat par l’État de créances bancaires sur les entreprises publiques mais également, pour la première fois depuis longtemps, du financement du déficit budgétaire.
Les choses se compliquent encore si on tient compte de la fâcheuse tendance du gouvernement à imposer aux banques publiques nationales des « crédits garantis » aux grandes entreprises maintenues dans le giron de l’État. Dans ce cas, toujours selon le FMI, le niveau de la dette publique grimperait à 48 % du PIB en 2017.
A partir du dernier trimestre 2017 et au cours de l’année 2018, l’État a ajouté un nouveau segment à la dette publique. Il s’agit d’une « dette non conventionnelle », produit de la mise en œuvre de la planche à billets et contractée auprès de la Banque d’Algérie. Elle vient s’ajouter à la dette interne classique. Au mois de juin 2018 cette nouvelle catégorie de dette avait déjà atteint à elle seule un peu plus de 20 % du PIB.
Cette croissance accélérée de la dette de l’État est toujours en cours et on s’attend à des chiffres encore en hausse dès la fin de l’année 2018.
Explications
Qu’est-ce qui a donc changé au cours des dernières années pour transformer un État réputé vertueux en champion de la dette ? La première explication se trouve dans l’apparition de très importants déficits budgétaires depuis la chute des prix du pétrole intervenus en 2014. Face à la baisse considérable de ses recettes de fiscalité pétrolière, l’État n’a pas fait rapidement l’effort de réduire dans les mêmes proportions ses dépenses budgétaires.
Il en a résulté un déficit colossal estimé à plus de 20 % du PIB en 2015. Les choses dans ce domaine vont un peu mieux depuis 2016 mais les déficits restent à des niveaux élevés. Selon les chiffres fournis récemment par le FMI « l’assainissement des finances publiques et la hausse des cours pétroliers ont contribué à ramener le déficit budgétaire à 13,5 % du PIB en 2016 et 8,8 % en 2017 ».
Dans une première étape, le financement de ces déficits, successifs et d’un niveau considérable, a été assuré grâce à l’épargne budgétaire constituée pendant plus d’une décennie de prix pétroliers élevés et accumulée dans le Fonds de régulation des recettes (FRR).
C’est encore le FMI qui le note : « Jusqu’il y a peu, le niveau d’endettement restait faible parce que le solde budgétaire était positif (jusqu’en 2013) ou que les déficits étaient principalement financés par des tirages sur l’épargne budgétaire abritée dans le FRR. Mais en 2017, la dette publique est passée à 27 % du PIB, en nette augmentation, parce que l’épargne du FRR n’a pas suffi à couvrir le déficit budgétaire ».
Le rachat de la dette des entreprises publiques
La deuxième cause de hausse de la dette de l’État est constituée par les aides apportées aux entreprises publiques. La mécanique en est relativement simple mais elle est redoutable. Dans une première étape, elle se traduit par des « crédits garantis » imposés aux banques publiques. Ces derniers sont en augmentation constante et ont atteint, à eux seuls, 21 % du PIB à fin 2017.
Ces crédits sont ensuite rachetés aux banques par L’État. Entre 2009 et 2016, ce sont ainsi plus de 1900 milliards de dinars correspondant à des opérations réalisées par L’État pour venir en aide à des entreprises publiques qui se sont accumulés et ont fait décoller le montant de la dette interne (hors garanties bancaires).
Le poids des dettes de Sonelgaz
Le cas de Sonelgaz est emblématique de cette situation. Il permet de comprendre l’importance particulière prise récemment par la restructuration de la dette des entreprises publiques dans la dette de l’état.
Le PDG de l’entreprise, Mohamed Arkab, a indiqué voici quelques jours que le montant des dettes de Sonelgaz vis-à-vis des banques algériennes a atteint le montant considérable de 1400 milliards de dinars (environ 12 milliards de dollars) à fin 2017. M. Arkab a précisé que « Sonelgaz bénéficie de la garantie et de l’appui de l’État pour ses crédits à long terme et à des conditions très favorables pour financer ses investissements », ajoutant qu’un montant de 300 milliards de dinars de crédits lui a été accordé rien que pour l’année 2017.
Ces dettes contractées par Sonelgaz, que l’entreprise est bien incapable de rembourser en raison de sa faible rentabilité et du blocage administratif de ses tarifs, constituent aujourd’hui un sujet de préoccupation majeur pour une grande partie du secteur bancaire algérien. Elles sont régulièrement rachetées par l’État dans le but de soulager les banques publiques. La dernière opération en date a été réalisée en 2017 et a permis selon les propos tenus par le Premier ministre Ahmed Ouyahia lui-même de « sauver la BNA ».
De la dette classique à la dette « non conventionnelle »
Aux différents montants qui composent la dette de l’État s’ajoute celui de l’emprunt national lancé en avril 2016 qui a rapporté 569 milliards de dinars. Au total, en Algérie, selon le FMI, « la dette intérieure comprend principalement des titres du Trésor pour 30% environ de la dette, 54% de la dette correspondant aux aides aux entreprises publiques et le reste à l’emprunt national pour la croissance économique ».
En ajoutant les crédits garantis, on arrive à un niveau d’endettement de l’État qui est désormais proche de la barre des 50 % du PIB à fin 2017, contre un peu moins de 40% en 2016.
Cette barre devrait être franchie en 2018 si on tient compte non pas seulement de la dette classique mais également de la « dette non conventionnelle » contractée vis-à-vis de la Banque d’Algérie.
Vers de nouveaux records en 2018 et 2019
Quelles sont les perspectives d’évolution de la dette de l’État pour les années à venir ? Dans sa dernière publication sur l’Algérie le FMI se montre relativement optimiste. Il note : « en supposant la poursuite de l’assainissement des finances publiques à compter de 2019, conformément au plan des autorités, les niveaux d’endettement devraient rester gérables ».
Pour expliquer leur optimisme, les experts du Fonds indiquent que « le programme budgétaire à moyen terme pour 2018-20 prévoit une expansion budgétaire en 2018, suivie d’un ambitieux assainissement des finances publiques à partir de 2019 qui prévoit de combler le déficit à l’horizon 2022 ».
L’expansion des dépenses publiques en 2018 est bien au rendez-vous ainsi que le précisait récemment la dernière note de conjoncture de la Banque d’Algérie. Elle devrait faire franchir un nouveau pallier à la dette publique à la fin de l’année en cours.
En revanche, l’« ambitieux assainissement des finances publiques » attendu pour 2019 a été reporté à plus tard par le projet de Loi de finances adopté récemment par le Conseil des ministres qui ne prévoit pas de diminution des dépenses publiques l’année prochaine.
Comme la réforme des subventions a, elle aussi, été renvoyée à des jours meilleurs, ce sont les principales causes de l’augmentation de la dette de l’Etat qui vont donc perdurer au moins jusqu’à la fin de l’année prochaine en risquant de conduire la dette de l’État vers de nouveaux sommets.