Des milliers de personnes se sont rassemblées, dimanche, pour un cinquième jour consécutif de protestation un peu partout en Iran. Ces derniers jours, plusieurs villes ont été le théâtre de manifestations sporadiques et de grèves, fruits de l’inquiétude grandissante et d’un sentiment de colère envers le système politique.
La population manifeste contre la montée en flèche du chômage et la chute spectaculaire de la monnaie nationale, le rial iranien, alors que le pays se prépare au retour des sanctions américaines dès ce lundi 06 août. Des sanctions qui font partie d’une stratégie américaine de déstabilisation, comprenant des volets économique, militaire et de propagande.
Face à cela, le régime iranien, qui peine à contenir la contestation, est de plus en plus divisé entre d’un côté, un Hassan Rohani fragilisé et un gouvernement réformateur dont la ligne conciliatrice avec l’Occident a échoué, et de l’autre, les ailes conservatrices et l’armée partisanes d’une ligne dure aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Des protestations de plus en plus étendues
La police aurait tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour tenter de réprimer les manifestations qui se déroulent depuis lundi 30 juillet, mais sans succès jusqu’à présent, puisque les troubles se sont répandus dans au moins 10 villes du pays.
Des images et vidéos non-authentifiées publiées sur les réseaux sociaux ont montré des centaines de personnes furieuses se rassemblant à Ispahan, la troisième ville iranienne, avec des pneus enflammés et des véhicules de police incendiés en réponse aux gaz lacrymogènes de la police. Des médias iraniens ont également fait état de manifestations dans les villes de Chiraz et Ahvaz, au sud du pays ainsi que dans les villes de Mashhad, Sari et Karaj, à l’ouest de Téhéran.
Selon les observateurs, ces manifestations inattendues qui semblaient avoir été lancées sur les réseaux sociaux sans planification apparente, constituent une menace majeure pour le régime du fait qu’elles aient rassemblé les classes à revenu faible et intermédiaire dans un même élan de protestation.
Une situation économique difficile
Avant même l’annonce des sanctions américaines, des manifestations plus importantes avaient eu lieu en Iran dans plus de 80 villes en décembre et en janvier derniers lors desquelles 25 personnes avaient été tuées et des milliers d’autres arrêtées. La raison de ces troubles était déjà les difficultés économiques dans lesquelles se débat le pays depuis les sanctions occidentales de 2012 accentuées par la chute des cours du pétrole de 2014.
Les Iraniens font face à une très forte inflation des prix des produits de première nécessité et des denrées alimentaires qui ont augmenté de plus de 60%. Le chômage frappe 12% de la population selon l’Organisation internationale du travail (OIT) et 26% de la jeunesse qui représente 30% de la population.
Le système bancaire iranien quant à lui, étranglé par la dette, n’arrive pas à financer une économie très bureaucratisée alors que les investissements directs étrangers ne dépassent pas les 3,4 milliards de dollars en raison de la frilosité des entreprises et banques étrangères à commercer avec l’Iran en raison de la menace des sanctions américaines.
La monnaie nationale, le rial, a perdu près de 80% de sa valeur depuis 2015. Il a perdu près des deux tiers de sa valeur en six mois.
La mauvaise gestion de l’économie et la corruption sont aussi des fléaux qui gangrènent l’économie iranienne. Les classes populaires iraniennes qui portent les mouvements de protestations sont excédées par les conditions de la vie quotidienne qu’elles imputent aux passe-droits et détournements de fonds publics dont se rendraient coupables les proches des élites dirigeantes.
À cette situation économique tendue, se sont ajoutées les tensions internationales avec les États-Unis et l’annonce de ces derniers d’établir un régime renforcé de sanctions, que le président américain Donald Trump a souhaité qu’elles soient « les plus dures de l’histoire ».
Volonté américaine de déstabiliser l’Iran
Dans la foulée du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, l’administration Trump a mis en place une stratégie de déstabilisation de l’Iran comprenant des volets économique, militaire et de propagande anti-iranienne.
Au plan économique, l’administration Trump a annoncé l’imposition de sanctions sur l’Iran en deux phases, l’une pour le 6 août et l’autre pour le 04 novembre prochain.
La première phase comprendra des blocages sur les transactions financières, les importations de matières premières et les achats dans les secteurs de l’automobile et de l’aviation. La seconde phase des sanctions économiques touchera le secteur des hydrocarbures et les capacités de paiement de la banque centrale iranienne.
L’administration Trump a même pressé ses alliés de mettre fin à toute importation de pétrole iranien avant le 4 novembre sous peine de sanctions. Cela pourrait faire tomber les exportations iraniennes de pétrole de 2,4 millions de barils par jour à 700.000 d’ici la fin de l’année.
Sur le plan militaire, l’administration Trump est en train de déployer des efforts pour la création d’une alliance militaire anti-iranienne avec les pays du Golfe, l’Égypte et la Jordanie. Cette alliance consistera en une coopération plus étroite avec ces pays sur la défense antimissile, l’entraînement militaire et le contre-terrorisme.
L’administration Trump espère que cette initiative, officieusement appelée « OTAN arabe » mais qui prendrait le nom officielle d’Alliance stratégique pour le Moyen-Orient (ASMO), pourrait être discutée lors d’un sommet prévu à Washington les 12 et 13 octobre prochains.
Trump souffle le chaud et le froid
L’administration Trump a lancé une campagne de désinformation et de déstabilisation en ligne destinée à fomenter des troubles en Iran et retourner la population iranienne contre ses dirigeants. Les observateurs estiment que les objectifs à minima de cette campagne sont de « faire pression sur l’Iran pour qu’il mette un terme à son programme nucléaire et à son soutien aux milices dans la région » ou au mieux qu’elle réussisse à faire tomber le régime de Téhéran.
Dans le même temps, une semaine après avoir lancé des menaces dans un Tweet d’une rare violence à l’encontre du président iranien, Hassah Rohani, Donald Trump a déclaré le 30 juillet, être disposé à rencontrer les dirigeants iraniens « sans préconditions » et « quand ils veulent ».
Le président américain est en train de s’essayer à la même stratégie qui a été appliquée aux Nord-Coréens – et aux Européens – à savoir, l’intimidation et la pression pour amener les adversaires à faire des concessions tout en laissant la porte ouverte aux négociations.
Mais il n’est pas sûr que cela puisse marcher avec les Iraniens, car Hassan Rohani n’a pas la même marge de manœuvre qu’un Kim Jong-il. Hassan Rohani doit composer avec le guide suprême, Ali Khamenei, l’armée et surtout les Gardiens de la révolution qui sont les partisans de la ligne dure au sein du régime iranien.
Il se pourrait bien que cette stratégie de déstabilisation américaine y soit pour quelque chose dans la montée en puissance de ces manifestations qui prennent pour cible un régime de plus en plus divisé.
Un président esseulé et un régime divisé
Le président Iranien, Hassan Rohani, est d’autant plus fragilisé par ces troubles internes qu’il était déjà contesté par les ailes les plus dures du régime sur sa ligne avec les Occidentaux jugée trop conciliante.
Arrivé au pouvoir en 2013 grâce à une ligne réformatrice, Hassah Rohani est réélu confortablement en 2017 malgré un bilan économique jugé problématique.
L’accord sur le nucléaire de 2015 était sa principale réussite jusqu’à l’arrivée de Donald Trump qui lui a enlevé ce sur quoi Hassan Rohani misait pour redresser la situation économique du pays, c’est-à-dire une normalisation des relations économiques avec l’Occident.
De fait, Rohani n’a pu ni réduire le chômage ni lutter contre la corruption et encore moins relancer l’économie en l’absence d’investissements étrangers. Il prévoyait que ces derniers atteindraient un niveau de 50 milliards de dollars après l’entrée en vigueur de l’accord mais ils n’ont été que de 3,4 milliards de dollars.
Le président iranien avait cependant réussi à baisser l’inflation durant son premier mandat mais celle-ci est récemment repartie à la hausse. Il avait aussi réussi à améliorer le réseau internet mais sans pour autant obtenir d’avancée sur la censure frappant les réseaux sociaux en Iran, notamment la messagerie Telegram, très populaire au sein de la jeunesse.
Sur les droits civils, le bilan de Rohani est aussi peu éloquent. Mis-à-part un assouplissement des lois concernant le port du voile pour les femmes, il n’a rien pu obtenir des franges les plus dures du régime concernant le sort des prisonniers politiques.
Avec un taux de réalisation des promesses électorales de 20%, Hassan Rohani a perdu le soutien d’une large partie de la population.
Le retrait américain de l’accord sur le nucléaire a fini par lui aliéner le peu de sympathie qu’il avait au sein de l’armée, surtout parmi les Gardiens de la révolution qui sont les partisans de la ligne dure vis-à-vis de l’Occident au sein du régime iranien.
D’ailleurs ces derniers, détenant un vaste empire économique qui pourrait bénéficier de la fin de l’accord sur le nucléaire iranien, ont instamment demandé au président de freiner la chute du rial et la montée de l’inflation.
Face aux troubles secouant le pays, les conservateurs au sein du régime, dont Ali Khameinei, Guide suprême de la révolution islamique, est le chef de file, ont quant-à-eux appelé à soutenir le président au nom de l’unité nationale, malgré le peu d’estime qu’ils ont pour lui.