Des bas nylon aux téléphones portables en passant par les imprimantes, l’obsolescence dite « programmée » de certains produits, désormais à l’origine d’une enquête de la justice française, fait débat depuis des années.
Un concept encore controversé
Le terme d’ « obsolescence programmée » voit le jour en 1932, en pleine crise économique aux États-Unis : le promoteur immobilier Bernard London défend une obsolescence imposée légalement pour les biens de consommation afin de stimuler l’industrie et la croissance.
Aujourd’hui, certains fabricants sont soupçonnés d’accélérer le renouvellement de leurs produits en programmant prématurément leur fin de vie ou en organisant un défaut de qualité de certains composants. Ce qui provoquerait gaspillage et accumulation de déchets.
Mais certains experts font valoir qu’aucune donnée scientifique ne prouve l’existence de telles stratégies industrielles.
Dans un rapport publié en juin en France, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), sans se prononcer sur l’existence de l’obsolescence programmée proprement dite, s’interroge plutôt sur « l’obsolescence perçue ».
Elle constate une « obsolescence choisie, et non pas subie » des consommateurs qui « se déclarent opposés à l’obsolescence programmée mais remplacent leurs téléphones portables encore en état de marche sans que cela leur pose de problème moral ».
En Allemagne, une étude réalisée par l’Université de Bonn en 2013 en partenariat avec l’Agence fédérale pour l’environnement sur une douzaine d’appareils electroménagers (téléviseurs, bouilloires électriques, aspirateurs) n’a pas pu prouver de « stratégie de vulnérabilité délibérée ».
Exemples emblématiques
– Certaines imprimantes à jet d’encre sont critiquées pour leur puces qui limiteraient le fonctionnement à partir d’un certain nombre d’impressions et inciteraient l’utilisateur à remplacer des cartouches qui contiennent encore de l’encre.
Jeudi, le parquet de Nanterre (région parisienne) a annoncé l’ouverture pour la première fois en France d’une enquête préliminaire pour « obsolescence programmée » et « tromperie » visant le fabricant japonais Epson.
– La marque à la pomme : Apple a admis avant Noël ralentir volontairement ses anciens modèles d’iPhone, dans le but « de prolonger (leur) durée de vie ». Cet aveu lui a valu des poursuites judiciaires aux États-Unis et en Israël, et le dépôt d’une plainte auprès du procureur de la République à Paris par l’association Halte à l’obsolescence programmée (Hop).
Le géant américain est régulièrement attaqué par des associations de consommateurs et des défenseurs de l’environnement pour ses produits jugés trop difficiles à démonter et réparer.
En 2005, Apple avait accepté de payer jusqu’à 100 millions de dollars pour solder des poursuites intentées par des usagers du baladeur musical iPod qui s’estimaient lésés sur la durée d’autonomie de la batterie.
– Les bas nylon : afin de réduire la résistance des bas mis sur le marché dans les années 1940, beaucoup moins fragiles que les anciens modèles en soie, le fabricant américain Dupont de Nemours aurait modifié la formule originale du bas nylon.
– Les ampoules à incandescence: en 1925, le «Cartel Phoëbus» regroupant les principaux fabricants d’ampoules dans le monde aurait en quelque sorte imposé que la durée de vie du filament de tungstène ne dépasse pas 1.000 heures.
Peu de ripostes législatives spécifiques
Le Parlement européen a demandé à la Commission européenne de légiférer spécifiquement sur l’obsolescence programmée, via le vote mi-juillet en session plénière d’une résolution non-contraignante.
La France fait figure d’exception : elle sanctionne théoriquement depuis l’été 2015 « l’obsolescence programmée », à savoir « l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement ».
L’enquête ouverte à Nanterre contre Epson est la première du genre depuis cette réforme. Elle fait suite à une plainte de l’association Hop, la même qui attaque également Apple en justice.
La pratique d' »obsolescence programmée » est punie d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende, cette somme pouvant être portée à 5% du chiffre d’affaires moyen annuel.
En Allemagne au contraire, le quotidien populaire Bild notait en octobre que les critiques françaises contre Epson ne risquaient pas de faire d’émules dans un pays qui « manque de lois et de sensibilisation au sujet ».
A l’exception de la France, le soupçon d’obsolescence programmée donne moins souvent lieu à des ripostes législatives qu’à des initiatives associatives. Ainsi le projet de « Repair Cafe » lancé en 2009 au Pays-Bas pour encourager les consommateurs à réparer plutôt que jeter, qui a essaimé dans de nombreux pays.