Économie

L’olivier à la conquête de la steppe algérienne

À quelque 300 kilomètres au sud d’Alger commence la steppe. Un territoire de 20 millions d’hectares qui constitue le pays du mouton où les oliviers poussent un peu partout.

Depuis les années 2000, ce paysage change ; des oliviers auparavant cantonnés au nord du pays ont été massivement plantés. Comme en Tunisie, l’olivier part à la conquête de la steppe.

Un programme ambitieux de plantations

C’est à la faveur du Plan national de développement agricole qu’à partir de juin 2000 les services agricoles se sont engagés dans un programme d’aide à la plantation d’espèces fruitières : pistachiers, oliviers, figuiers, amandiers et cerisiers.

Ce sont les oliviers qui ont eu la préférence des investisseurs. A la faveur de généreuses subventions publiques, les plantations se sont multipliées à Laghouat, Msila, Batna, Djelfa, Naâma ou Saïda.

Des plantations parfois effectuées sans les précautions nécessaires, ce qui amènera au dessèchement de milliers de jeunes arbres. Une situation qui a amené en mars 2014 l’expert oléicole Akli Moussouni à ce constat sévère : « Le programme de plantation d’un million d’oliviers est un échec. »

Des milliers d’oliviers plantés à Msila

Malgré ces échecs, l’engouement pour l’olivier ne s’est pas démenti. A M’sila, l’APS notait qu’en 12 ans les surfaces étaient passées de 400 hectares à plus de 6.000 hectares. La demande locale atteint 500 000 plants d’oliviers par an. Et le manque de plants a longtemps été à l’origine d’une hausse locale du prix des jeunes plants.

Cette situation appartient au passé. Aujourd’hui, la pépinière d’une filiale du groupe public Cosider prévoit la production d’un million de plants. Des plants qui rentrent dans la reprise des plantations au niveau du Barrage Vert, cette ceinture d’arbres qui devrait limiter l’avancée du désert.

Une filière créée à partir de rien

A M’sila, comme ailleurs, la mise en place d’une filière oléicole ex nihilo, à partir de rien, s’est heurtée à de nombreux obstacles. Une récente étude de l’École nationale supérieure agronomique et du Centre de recherche en agropastoralisme a permis de dresser un premier bilan. Dans le cas de M’sila, il ressort que la filière « reste à l’heure actuelle sous exploitée, peu organisée et peu encadrée. »

Les auteurs notent pêle-mêle le manque de savoir-faire, l’insuffisance et l’inadaptation des ressources matérielles et humaines. Une situation qui se répercute sur les rendements d’huile d’olive et la régularité des productions.

Insuffisance du nombre d’huileries

Les 10 huileries de M’sila restent insuffisantes. Les délais d’attente atteignent jusqu’à 7 jours et les agriculteurs sont obligés à effectuer des déplacements hors wilaya. Bien que récentes, les huileries sont dépourvues de moyens de mesure de l’acidité et de la température lors du malaxage.

La commercialisation reste dominée par le marché informel sans cahier de charges établi, ce qui laisse le champ libre à toutes les dérives. Récemment, les services de sécurité de Batna ont découvert un atelier clandestin où étaient stockés des dizaines de bidons de 5 litres d’huile de soja. Une huile qui était mélangée à de l’huile d’olive et vendue comme telle.

Les auteurs notent qu’à M’sila, la filière ne doit son existence que grâce à « la résilience des producteurs face aux aléas climatiques. » Cependant, ce programme aurait permis l’émergence d’agriculteurs leaders qui atteignent des rendements élevés et produisent une huile de qualité.

Emploi de techniques modernes

Avec parfois des moyennes annuelles de 150 mm de pluie, l’irrigation reste indispensable. Largement subventionnées, les oliveraies ont pu s’équiper en forages, bassins et irrigation par goutte à goutte.

En steppe, les sols ingrats sont loin de ressembler aux riches terres de la Mitidja. La surcharge des parcours par les moutons a depuis longtemps fait disparaître la couverture d’alfa et d’armoise et a appauvri les sols.

Pour favoriser l’installation des oliviers, il n’est pas rare de devoir réaliser un « défoncement » au bulldozer afin de casser la croûte calcaire du sol. Seul avantage, l’air sec qui réduit les maladies et donc les traitements chimiques.

A côté de petites exploitations sont apparues des plantations de plusieurs milliers d’arbres, dont certaines conduites en super-intensif.

Forte progression des plantations en super-intensif

A Saïda, l’oliveraie de la filiale Orus Agriculture du groupe Sahraoui dispose de 1 200 hectares. Chaque année, ce sont 300 tonnes d’huile d’olive qui sont produites. Une production exportée vers les Pays-Bas, le Qatar, l’Afrique du Sud et la Chine.

Les oliviers ne sont pas plantés à 8 mètres d’intervalle; à peine deux mètres séparent chaque arbre. Ce sont des variétés espagnoles Arbequina et Pecual de petite taille et à haut rendement avec 10 à 15 litres d’huile par arbre contre 5 à 6 pour la variété locale Chemlal. Des variétés qui entrent en production après trois années, contrairement aux huit années requises pour les variétés traditionnelles.

Grâce au système RTK, bien plus précis que le GPS, les plantations s’effectuent mécaniquement avec un alignement au centimètre près qui permet une taille mécanique.

Au pied des arbres courent les tuyaux d’irrigation apportant eau et engrais solubles. L’approvisionnement en eau est assuré par des forages et d’immenses bassins de la taille d’un terrain de football. Quant à la récolte, elle est mécanique. Des engins munis de brosses rotatives arrachent les olives et récoltent jusqu’à 10 hectares par jour.

Des pépinières spécialisées dans les variétés espagnoles

Ce type de plantation nécessite un approvisionnement local en plants. A Batna, Ali Zerrad, le dirigeant de la pépinière Nouvelles forêts du Maghreb, en produit annuellement plusieurs centaines de milliers.

En particulier les fameuses espèces espagnoles. Afin d’être autonome en boutures, le pépiniériste a planté plusieurs de ces arbres dans son verger et y prélève les branches mises à bouturer dans des serres disposant de brumisateurs. L’atmosphère ainsi saturée en vapeur d’eau favorise un enracinement rapide.

En janvier 2019, Ali Zerad confiait à El Watan que la pépinière préparait une commande « personnalisée » de 100 000 plants destinée à un agriculteur.

Comme les plants étaient prévus pour une conduite en super-intensif, une équipe d’ouvrières avaient pour mission de débarrasser les jeunes plants de leurs branches secondaires.

A l’époque, le pépiniériste envisageait la plantation de 2 000 hectares d’oliviers : « Un projet qui est en phase avancée des négociations avec les Chinois qui veulent acheter toute la production pour l’envoyer en Chine. »

Des mutations profondes de la steppe

Ces plantations illustrent les mutations de la steppe algérienne. Elles ne sont pas sans poser des questions : équilibre entre approvisionnement du marché local et l’exportation ou utilisation du foncier agricole.

La steppe compte plusieurs millions d’hectares, principalement des terres de parcours et des ressources en eau utilisées de tout temps par les éleveurs. Des éleveurs qui s’inquiètent de l’arrivée de ces nouveaux investisseurs.

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