Vous parlez d’intérêts partisans qui auraient supplanté les intérêts nationaux des Palestiniens. De qui parlez-vous ?
Nous essayons à chaque fois de fermer les yeux sur certaines questions pour raisons diverses. Il n’existe aucune victoire en Palestine sans unité nationale et sans sauvegarde de l’OLP surtout qu’autour de nous se passent des choses pour liquider la cause palestinienne.
Nos frères de Hamas, après le coup d’État de 2007 (en juin 2007, Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza après des affrontements meurtriers avec Fatah) ont malheureusement continué à recourir à des méthodes qui sont loin de l’action nationale commune. Nous en sommes arrivés à la création d’un véritable État à Gaza avec sa propre armée, ses lois et sa sécurité. Ils ont amendé leur règlement intérieur pour que le monde les reconnaisse ( Les États-Unis et l’Union européenne considèrent le Hamas comme « une organisation terroriste »). Hamas veut être l’alternatif de l’OLP.
De quelle manière ?
À travers deux voies. La première est de faire partie de « l’Accord du siècle » (un accord que le président américain Donald Trump entend proposer aux Palestiniens et aux Israéliens comme un plan de paix durable). Cet Accord liquide la cause palestinienne puisque Gaza deviendra un État (séparé de la Cisjordanie).
La deuxième voie est d’engager des négociations directes avec Israël pour établir une trêve. Hamas agit comme un État. Nous avons mis en garde contre cette situation. En Palestine, nous ne sommes pas des partis.
En Palestine, notre cause est militante, nationale, arabe, islamique et humaine. Nous sommes en confrontation avec un ennemi qui est l’entité sioniste. Ceux qui agissent en dehors de ce cadre tombent dans le piège, font mal à eux-mêmes et font mal aux autres. Hamas est un mouvement palestinien qui existe et qui jouit d’une popularité, c’est vrai. Mais, le fait qu’il ne respecte pas les accords et qu’il perturbe le travail du gouvernement à Gaza peut avoir de graves répercussions. Nous ne sommes pas contre le fait que Hamas gouverne toute la Palestine, pas uniquement Gaza, mais dans un cadre national dans lequel l’opposition peut jouer un rôle plus important que l’Autorité.
Vous semblez très inquiet par la rapport à la situation actuelle…
Oui. Nous élevons la voix pour dire attention, attention. Nous ne pouvons plus garder le silence. La situation est devenue dangereuse. Notre existence même est menacée. Certains pays commencent à négocier sur notre dos, au détriment de notre cause.
Lesquels ?
Nous ne les citons pas. Ils nous demandent de faire des concessions sur Al Qods (Jérusalem). Cela dit, la Nation arabe a fait beaucoup de sacrifices avec des hommes et des fonds pour nous, pour nous aider.
La situation actuelle est marquée par des pressions pour faire chuter des régimes et diviser nos pays. Certains pensent que faire plus de concessions aux Américains aura des résultats positifs. Faux. Les États-Unis ont une vision stratégique qu’ils veulent concrétiser sur le terrain aujourd’hui ou demain. Ils font tout pour atteindre leurs objectifs en s’alliant notamment avec le mouvement sioniste. Ils commencent d’ailleurs à réaliser Sykes-Picot 2 pour diviser la région (les accords secrets de Sykes-Picots ont été établis en 1916 entre le Royaume-Unis et la France, avec l’aval de la Russie, pour partager le Moyen-Orient après l’effondrement de l’Empire Ottoman).
Dans cet environnement, il est périlleux de travailler pour concrétiser un projet partisan à place d’un projet national, arabe ou islamique. Certains partis arabes pensent que c’est possible. C’est une erreur.
Quels partis ?
Tous ceux qui veulent établir des alliances partisanes et passer sous silence ce qui se passe actuellement font partie de la crise et travaillent contre la Palestine. Celui qui établit une relation directe avec Hamas, à la faveur de son projet, est contre le projet national palestinien. Nous sommes donc en danger. Et il n’est plus question de se taire.
Nous voulons que toutes les factions palestiniennes soient unies, agissent à l’unisson, doivent affronter le plan américain qui veut imposer Israël comme une puissance régionale et en finir avec la cause palestinienne en imposant certains projets comme ceux de la confédération.
Mais, le président Mahmoud Abbas a déclaré qu’il était favorable à un projet de confédération avec la Jordanie avec la participation d’Israël (selon des propos rapportés par le quotidien palestinien Haaretz)…
Ces propos sont anciens. Nous avons dit que nous pouvions travailler avec les Jordaniens dans des projets communs. Mais, nous avons aussi dit que cette Confédération ne serait créée qu’ à la condition que l’État palestinien indépendant existe avec El Qods comme capitale. La création de cette Confédération serait avalisée par des élections en Jordanie et en Palestine. Or, le projet américain de la Confédération vise à vider toute revendication palestinienne, à en finir avec la cause palestinienne et avec la Jordanie. Nous refusons ce projet.
Certains pensent que nous sommes affaiblis, ce n’est pas vrai. Sur le terrain, nous sommes forts. Les sionistes ont promulgué la loi patriotique (la loi sur l’État-nation votée par la Knesset en juillet 2019 définissant Israël comme « foyer national du peuple juif », Jérusalem comme « capitale complète et unie d’Israël » et dégradant le statut de la langue arabe). Les sionistes pensent que la Palestine est une terre juive. Ils se trompent puisqu’ils ne peuvent pas écraser 50% des habitants de la Palestine historique. Nous sommes plantés dans notre terre. La loi a permis de dévoiler le projet sioniste dans toutes ses dimensions. Les gens doivent l’affronter parce qu’il constitue un danger pour toute l’humanité. L’administration américaine est impliquée. Elle ne peut plus jouer le rôle d’intermédiaire (dans d’éventuelles négociations de paix). El Qods restera la capitale de la Palestine. Notre but est la Palestine en tant qu’État indépendant.
Vous refusez donc définitivement l’Accord du siècle ?
Et tout autre accord ! De plus, nous ne voyons aucun trait de cet Accord du siècle, mais nous constatons ses conséquences sur le terrain sous plusieurs titres.
Cela a commencé par « le chaos créatif » et par la tentative de diviser les Palestiniens et la région. Nous refusons cette stratégie. Nous ne sommes pas en train de parler à partir d’hôtels, ou de tracer des objectifs irréalisables ou encore faire en sorte de plaire à des États, à des partis ou aux gens. Nous sommes porteurs d’un projet d’une Nation et travaillons avec des mécanismes opérationnels dans un but clair que nous voulons réaliser.
Nous disons au monde : ça suffit ! Certains veulent jouer avec notre cohésion interne. L’OLP est le représentant unique du peuple palestinien. Hamas est une menace pour l’OLP.
Hamas est-il un danger pour l’unité des Palestiniens ?
Et comment qualifier l’existence d’un État à Gaza? Comment expliquer l’existence d’une justice, d’une armée, d’une fiscalité et des ministères autonomes (par rapport à l’Autorité de Ramallah) ? Hamas a ouvert un dialogue direct avec Israël pour une trêve de dix ou quinze ans en contrepartie d’un aéroport et d’un port, l’un à Chypre et l’autre Eilat. Tout ce qui a été fait depuis 2006 (victoire de Hamas aux élections législatives) est donc d’obtenir un aéroport et un port ? Avant même que Hamas émerge (le mouvement a été créé en 1987), nous avions un aéroport, un port et sept passages.
Qu’avons-nous dit dès le début ? Hamas a gagné aux élections. Nous avons respecté cela. Nous nous sommes dits pourquoi pas, puisque nous sommes tous des frères. Mais qu’un autre projet existe, que celui national, nous sommes contre. Contre un projet des Ikhwan (Frères Musulmans) qui installe le Califat ou qui soit une partie d’une alliance extérieure avec la Palestine à l’intérieur. Nous disons non. Nous allons lutter contre. On peut y arriver, comme on peut ne pas y arriver. Mais il faut qu’on appelle les choses par leurs noms. Nous ne sommes pas en confrontation, nous voulons accomplir notre unité nationale et renforcer notre unité arabe pour faire face aux menaces extérieures.
Qu’en est-il de la médiation égyptienne dans les négociations entre Hamas et Israël ?
Les Égyptiens ont levé leur main. Nous apprécions le rôle des Arabes et particulièrement les Égyptiens. Cependant, nous refusons une trêve de dix ans contre un aéroport et un port. Combattons-nous pour cela depuis 70 ans ? Faisons-nous une trêve pour avoir en contrepartie le droit de manger et de boire et pour avoir de l’électricité ? Aucune trêve ne peut exister sans achever l’unité nationale.
C’est au représentant national (des Palestiniens) d’engager les initiatives qu’il faut. Il n’appartient pas à Hamas de le faire, car cela va consacrer la division de Gaza et mettre en pratique l’Accord du siècle.
Êtes-vous prêt à discuter avec Hamas ?
Nous n’avons pas besoin de négocier. Ils sont nos frères et nos enfants au même titre que le FDLP ou le FPLP. En fait, plusieurs accords ont été signés au Caire, à Sana’a, à Doha et à Ankara. Que s’est-il passé ? Il y a l’accord du Caire de 2011 et de 2014, qu’ils le mettent en pratique ! Où est-donc le problème ? Après tout, avons-nous besoin d’accord ? Que des élections se tiennent, que Hamas gagne et qu’il dirige la Palestine. Nous sommes tous sous occupation. Nous avertissons contre les projets des Américains et des sionistes. La loi de l’État-nation israélienne est devenue une réalité (la moitié du Knesset a voté contre), personne n’a bougé, tout le monde a gardé le silence (mise à part les organisations humanitaires). Cette loi nous réduit aux statuts d’esclaves. Il y a aussi la muraille, les divisions, les colonies, l’annulation du droit de retour (aux réfugiés palestiniens), El Qods, que reste-t-il donc ? Nous sommes confinés à parler de détails insignifiants.
Mahmoud Darwich a bien dit que « nous invoquons El Andalus (Territoires musulmans dans la presqu’île ibérique entre 711 et 1492) au moment où Alep est encerclée ! ». Alors, ça suffit.