Dans cet entretien, la politologue Louisa Dris-Aït Hamadouche fait une évaluation de la situation des droits humains et des libertés en Algérie, évoque le Hirak et l’affaire Walid Nekiche.
À quelques jours du 2e anniversaire du soulèvement populaire du 22 février 2019, quel est l’état de la situation des droits humains et des libertés en Algérie?
L’évaluation de la situation des droits humains et des libertés est faite par les organisations algériennes de défense des droits humains, les avocats, les instances internationales, les collectifs, les médias, les partis politiques et les victimes elles-mêmes.
Ils recensent régulièrement les arrestations, les convocations, les procédures non conformes aux lois, les dépassements, les censures… L’opposition n’a pas le droit de se réunir. Les médias publics sont restreints dans un discours uniforme plus proche de la propagande que de l’information.
Des appels à la reprise des marches ont été lancés sur les réseaux sociaux. Est-ce qu’elles vont reprendre ?
Il m’est difficile de répondre à cette question. Et pourtant le moyen d’avoir des éléments de réponse est simple. Il suffirait d’autoriser des sondages d’opinion qui, comme partout au monde, permettent de tâter le pouls de l’opinion publique.
De savoir quelles sont les tendances lourdes qui traversent la société et donc de prévoir ce qui peut arriver. Or, les acteurs intermédiaires sont mis à l’écart, réprimés ou marginalisés.
En agissant ainsi, les pouvoirs publics se privent de moyens de rétablir le contact avec la base, s’isolent davantage et creusent le fossé déjà béant avec la population.
Ce n’est certainement pas en agissant ainsi qu’ils arrêteront le soulèvement populaire ou empêcheront les marches de reprendre. Les manifestations de rue mises à part, le Hirak ne s’est pas arrêté car l’essentiel de ses revendications n’ont non seulement pas été réalisées, et leur légitimité s’est renforcée.
Le fait que le Hirak n’ait pas de représentants, est-ce une force ou une faiblesse ?
Un peu des deux, même si je considère que c’est plus une faiblesse qu’une force. C’est une force dans la mesure où il ne peut pas être décapité, malgré les arrestations, les condamnations, les emprisonnements et les cooptations.
C’est une faiblesse car l’action collective a besoin d’être encadrée. Les mouvements de contestation, qui ont été menés en Équateur en 2019 ou en Inde récemment, ont parfaitement illustré la force de frappe des syndicats et des organisations ayant un véritable ancrage.
Il ne s’agit pas d’avoir une organisation seule et unique qui rassemble tout le Hirak. Cela s’appellera un parti unique. Il s’agit plutôt de créer des forces organisées sur des bases géographiques, corporatistes ou même politiques pour décupler l’impact du Hirak et transformer sa force en puissance.
Les sévices subis par Walid Nekiche lors de son arrestation ont choqué l’opinion. Que vous inspire cet épisode ?
Le témoignage de Walid Nekiche a choqué l’opinion publique nationale et internationale. Il n’existe pas mille et une façons de tenter d’atténuer l’ampleur de ce drame: faire en sorte que cela ne puisse plus jamais arriver.
Pour que plus jamais un détenu professe de telles accusations, l’enquête actuelle doit être menée jusqu’au bout. Il est impératif que le dossier ne soit ni classé, ni bâclé, pour éviter l’éternelle stratégie du bouc-émissaire.
Toute cette affaire doit avoir comme but ultime la mise en œuvre des mécanismes de prévention et de sanction à toutes atteintes à la dignité humaine. La torture, rappelons-le, est un crime contre l’humanité. Il est imprescriptible. Il engage la responsabilité pénale de celui qui l’a commis, qui l’a laissé faire, qui l’a autorisé et qui l’a commandité.
On assiste à une rhétorique gouvernementale sur les menaces extérieures. Pourquoi ce recours systématique à ce type de discours ?
Il s’agit d’une rhétorique classique et redondante. Chaque fois que les régimes en déficit de légitimité interne sont en proie à des tensions internes impossibles à gérer avec les instruments classiques, ils ont recours au complot ourdi de l’extérieur.
C’est une façon de déresponsabiliser les détenteurs du pouvoir de décider, de faire diversion vers une cible autre que les responsables politiques, de créer un sentiment de peur et de doutes qui suscitent des comportements conservateurs et le statu quo. Le problème avec cette stratégie de communication est que plus on en abuse, moins elle est efficace.
Comment qualifiez-vous la situation politique et l’impact de l’absence du président de la République qui était en Allemagne pour des soins ?
La gestion politique et médiatique des longues absences du chef de l’État sont symptomatiques du fait que c’est tout le système institutionnel qui est malade, et pas seulement la personne du président.
Elles suggèrent également que les leçons de l’expérience vécue il y a encore peu de temps avec la fin du 3ᵉ mandat et tout le 4ᵉ mandat du président déchu n’ont pas été retenues. Or, les erreurs ne font que se répéter. Elles aggravent les dysfonctionnements, aiguisent les contradictions et approfondissent la crise. Cette récidive rend la crise beaucoup plus dangereuse.