Des acteurs du hirak algérien viennent de lancer une nouvelle initiative politique intitulée Nida-22, et ce à quelques jours du référendum populaire sur la révision constitutionnelle prévu le 1er novembre prochain. Dans cet entretien, la politologue Louisa Ait Hamadouche, qui fait partie des signataires de Nida-22, explique les raisons qui ont poussé des acteurs du hirak à lancer cette initiative.
Une nouvelle initiative, Nida-22, vient d’être lancée par des acteurs du Hirak. S’agit-il d’un premier pas vers une organisation verticale, du moins une structuration du mouvement populaire ?
Une organisation verticale n’est pas synonyme de structurations à l’intérieur du Hirak. Le soulèvement populaire est dans la catégorie des mouvements de contestation de dernière génération qui sont dans l’horizontalité et réfractaires à l’organisation traditionnelle, verticale et hiérarchique. Les textes de Nida 22 insistent bien sur cette action horizontale. En revanche, il s’agit effectivement d’une démarche qui promeut l’organisation, la coordination et la mise en réseaux, afin d’optimiser l’impact de ce soulèvement et ses chances de réaliser ses objectifs.
Parmi les signataires figurent beaucoup d’acteurs actifs et connus du Hirak qui étaient jusque-là réticents à l’idée d’une action organisée et structurée. Ne devaient-ils pas le faire plus tôt ?
Effectivement, l’un des points forts de Nida-22 est d’avoir réussi à rassembler les figures emblématiques du soulèvement populaire au niveau national et dans les wilayas ainsi que dans la diaspora. Le mérite revient aussi bien aux initiateurs de Nida 22, qu’à l’ensemble des signataires qui ont su transcender les égos, les suspicions et les différences idéologiques. Tous ont décidé de réfléchir ensemble et de penser l’avenir commun. Devaient-ils le faire plus tôt ? Le pouvaient-ils ? Je l’ignore. Un soulèvement populaire est une dynamique socio-politique avec ses propres logiques et un déterminisme qu’on ne comprend souvent qu’a postériori.
Dans la déclaration, l’objectif de « renforcer le rapport de force en faveur du peuple » est avancé. Le rapport de force n’est-il plus en faveur du Hirak, du moins pas comme il l’était dans les premiers mois de la contestation ?
Je crois que le rapport de force ne se résume pas à l’action qui consiste à manifester. Les manifestations étaient massives, nombreuses et continues jusqu’en mars 2020. Elles n’ont pas réussi pour autant à imposer un changement politique réel. Je pense que ce dont la déclaration parle, c’est davantage un rapport de force construit, fondé sur la proposition d’alternatives politiques crédibles et opérationnelles. Un rapport de force dont le contenu n’est pas seulement le rejet, mais le projet. Or, cela passe par les débats, l’échange, la réflexion et le travail de groupe. Un processus qui ambitionne d’aboutir à une conférence unitaire du Hirak et une feuille de route consensuelle.
Il y est aussi indiqué qu’il s’agit d’arriver à réaliser une transition démocratique souple qui ne soit pas monopolisée par le pouvoir. Ces nouveaux éléments de langage découlent-ils d’une pondération du discours des acteurs du Hirak et d’une meilleure disposition à discuter ?
Une brève rétrospective des propositions faites depuis février 2019 montre que nombreux sont ceux qui ont évoqué la nécessité d’aller vers une transition pactée. Ces éléments de langage ne sont en vérité pas nouveaux. Ils ont juste été ignorés et inondés par les discours arguant que le Hirak ne faisait pas de propositions et qu’il était nihiliste. En fait, la radicalité du Hirak est dans le projet, à savoir parvenir à un véritable changement de système de gouvernance, et ne l’a jamais été dans les procédures, à savoir la transition démocratique pacifique.
Quelles sont les chances de voir se réaliser un dialogue intra-Hirak d’abord, puis l’acceptation de ses propositions par le pouvoir qui, jusque-là, semble imperturbable dans l’exécution de sa feuille de route ? L’initiative peut-elle contrarier la démarche du pouvoir ?
Il me semble que Nida-22 n’est pas une démarche réactive à quoi que ce soit, mais un processus initié par des acteurs du Hirak dans le but de participer à renforcer le soulèvement populaire. Ce processus vise à tenter de combler ses lacunes et à bâtir une vision commune de ce qui reste à entreprendre dans une logique de co-construction pacifique et horizontale. Or, cette démarche transcende la feuille de route appliquée par les gouvernants dans la mesure où elle investit dans le temps, considérant que le changement politique ne se décrète pas, il se construit.
Le projet de révision constitutionnelle devrait être, sauf grosse surprise, adopté ce 1er novembre. Quelles répercussions cela aura-t-il sur le paysage politique ? Doit-on s’attendre à l’annonce juste après de l’organisation d’élections législatives ?
L’annonce des législatives a déjà été faite. Elles sont donc probables et même logiques d’un point de vue des autorités politiques. L’hypothèse vraisemblable est que l’élection du Parlement soit une continuité du référendum dans la mesure où ceux qui auront participé au référendum joueront les premiers rôles dans la prochaine législature.
Le pouvoir a choisi la date du 1er novembre pour organiser le référendum sur la révision constitutionnelle, l’initiative des acteurs du Hirak est appelée Nida-22, en référence au 22 février. Pourquoi cet attachement à la symbolique des dates ?
Le Hirak est une mobilisation sociale moderne qui a intégré l’importance cruciale de la communication. Depuis le 22 février, on observe l’utilisation massive des symboles historiques et contemporains. Et le 22 est un chiffre symbolique antérieur au 22-02, puisqu’il remonte à la guerre de libération. Dans un cas comme dans l’autre, il symbolise l’espoir et la quête de liberté.