Société

L’un des derniers maréchaux-ferrants d’Algérie lutte pour la survie du métier

Du feu, il sort entre deux tenailles un fer rougi qu’il martèle sur son enclume. Ancien champion de saut d’obstacles, Meddah Larbi est l’un des derniers maréchaux-ferrants d’Algérie, un métier et une passion qui lui font parcourir son pays pour “parer” et “ferrer” des chevaux qu’il dit “connaître sur le bout des sabots”.

Dans son atelier du Haras national de Chaouchaoua, à Tiaret, cet homme de 39 ans forge encore lui-même, à partir d’une bande de métal brut, des fers de toutes dimensions, perpétuant un art ancestral.

Mailloche, tricoises, brochoir, dégorgeoir, rogne-pied… Au mur, les outils les plus vieux ont l’âge du haras et de sa maréchalerie, ouverts en 1877 sous la colonisation française. Certains ont peu ou pas changé depuis le Moyen Âge et l’apparition de ce métier il y a plus de mille ans.

La vocation de Meddah Larbi lui est venue à 16 ans. Cavalier, il se rend à cette maréchalerie de Chaouchaoua pour y faire ferrer son cheval. “À la vue d’un vieux monsieur maniant un fer au-dessus de la forge à charbon, d’où sortaient des flammes, j’ai eu le coup de foudre. J’ai su que c’était ce que je voulais faire”, raconte-t-il.

“Les chevaux dans la tête” et “rien d’autre”, il abandonne ses études au lycée pour devenir l’apprenti du vieux maréchal-ferrant de Chaouchaoua, dont il prend la suite après quatre ans de formation, à son départ en retraite.

Dix années durant, il continue d’enfiler alternativement la veste impeccable du cavalier de saut d’obstacles et le bleu de travail du maréchal-ferrant. “En Algérie, être cavalier est plus un hobby qu’un métier”, explique-t-il. “Il me fallait un métier pour vivre, avoir une assurance sociale” et “ce travail me permet de joindre l’utile à l’agréable.”

– “La meilleure symphonie” –

“Pour moi, la meilleure symphonie est celle du son du marteau sur le fer chaud”, dit-il.

Pas question d’arrêter de forger lui-même ses propres fers, art traditionnel des maréchaux-ferrants, dit Meddah Larbi, alors que de plus en plus propriétaires se tournent vers les fers “mécaniques”, fabriqués en série en usine et plus légers.

Salarié huit heures par jour à Chaouchaoua, Meddah Larbi passe son temps libre et ses weekends chez des clients privés disséminés à travers l’Algérie, à déferrer, “parer” (retirer le surplus de la corne qui constitue le sabot et aplanir sa surface inférieure pour que le cheval soit “d’aplomb”) et referrer leurs chevaux. L’ensemble du processus peut prendre jusqu’à quatre heures.

Le métier est dur et il faut l’aimer pour l’exercer, souligne M. Larbi. Il nécessite une bonne condition physique pour réussir à tenir le pied du cheval et travailler pendant des heures genoux fléchis et dos courbé.

Discipline, rigueur et patience sont également requises pour manipuler les chevaux et s’en faire respecter. Disponibilité aussi, pour les cas d’urgence, comme les abcès ou les fourbures (une maladie du sabot) qui nécessitent un déferrage immédiat.

Du coup, le métier attire peu. Les jeunes le trouvent “dur et ingrat et ne veulent pas apprendre”, regrette Meddah Larbi, qui ne trouve personne à former.

Outre l’art du ferrage et du parage, le maréchal-ferrant est aussi un peu forgeron et vétérinaire: il doit avoir des connaissances en travail du métal et en anatomie équine.

– “Pas de pied, pas de cheval” –

Aucun centre de formation en maréchalerie n’existe en Algérie: le métier se transmet de maître à apprenti. Mais les deux apprentis qu’il a tenté de former ont abandonné au bout de six mois, regrette M. Larbi.

L’Algérie comptait encore une quinzaine de maréchaux-ferrants il y a une vingtaine d’années, contre seulement six aujourd’hui – outre ceux, militaires, de la Garde républicaine.

Pourtant, le travail ne manque pas. Un éleveur privé a dû engager un maréchal-ferrant venu de l’étranger pour l’avoir sous la main à plein temps.

“Quand le programme est chargé, je peux avoir jusqu’à 200 chevaux par mois”, en majorité de clients privés, indique Meddah Larbi, qui estime être relativement bien payé. Il est au salaire minimum à Chaouchaoua (18.000 dinars mensuels) mais empoche plus d’un million de dinars par an grâce à ses clients privés, soit deux fois le salaire moyen en Algérie.

Il s’inquiète de voir disparaître avec les derniers maréchaux-ferrants du pays tout un pan d’histoire mais aussi un savoir-faire indispensable à la bonne santé des chevaux.

Car comme le dit l’adage, “pas de pied, pas de cheval”, rappelle-t-il.

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