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Lutte anti-Covid en Algérie : entretien avec le Pr Mohamed Belhocine

Lutte anti-Covid en Algérie : entretien avec le Pr Mohamed Belhocine

Le Pr Mohamed Belhocine, éminent épidémiologiste et expert international surnommé M. Ebola, revient dans cet entretien sur la lutte anti-Covid en Algérie, la réouverture des frontières et les risques qui y sont liées, donne des recommandations pour la rentrée scolaire…

Les élèves du primaire vont reprendre l’école le 21 octobre. Quelles sont vos recommandations pour éviter la propagation de la pandémie de coronavirus ?

Je pense que le consensus international se fait aujourd’hui sur le fait qu’il faut plus apprendre à vivre avec la Covid que bloquer l’économie, la vie sociale et l’apprentissage des générations futures pour cause de Covid-19.

Si bien que l’Unesco, l’OMS, l’Unicef, toutes les agences qui ont à cœur l’intérêt de la santé publique des populations, et aussi l’intérêt du développement en particulier des enfants, nous disent aujourd’hui qu’il ne s’agit pas de bloquer l’apprentissage qui a déjà été passablement affecté par l’épidémie durant l’année scolaire écoulée, et qu’il ne faudrait pas bloquer l’apprentissage des jeunes générations. Bien au contraire. Ce qui veut dire que l’arrêt d’une classe dans un établissement ou l’arrêt de l’enseignement dans une région ne devrait être considéré qu’en dernier recours, et non pas comme une solution de facilité lorsqu’on a une transmission de la maladie.

Ce qu’il faudrait, c’est mettre en place des critères pour savoir comment gérer l’épidémie, comme on l’a fait jusqu’à maintenant de manière graduelle et scientifique, en ne créant pas nécessairement de la panique ou en ne prenant pas des mesures intempestives de limitation des activités économiques et sociales.

« Il faut plus apprendre à vivre avec la Covid que bloquer l’économie… » 

Tout en gardant un œil sur le fait de ne pas se laisser déborder par le nombre de cas de coronavirus. C’est donc le même principe qui va s’appliquer à l’école chez nous, espérons qu’on n’aura pas de gros problèmes, mais les protocoles proposés par le ministère de l’Éducation ont été discutés de façon approfondie au sein du comité scientifique. Ils permettront, nous le souhaitons, d’éviter d’une part les contaminations à l’école, et d’autre part l’arrêt du processus d’apprentissage de nos enfants. Je pense qu’il y aura ici et là des situations où peut-être l’on sera appelé à fermer une classe ou bien un établissement, mais ce sera temporaire et pas pour de longues périodes. A moins qu’on ait une reprise généralisée (de l’épidémie), que nous ne souhaitons pas.

Nous souhaitons que l’accalmie qu’on est en train d’observer continue et que cette rentrée scolaire se fasse dans la sérénité. Mais en gardant toujours en tête que nous sommes vigilants et que nous prenons toutes les précautions qui ont été préconisées par les protocoles édictés par le ministère de l’Education nationale.

Leur succès dépend d’abord des gestionnaires des établissements, des parents, des enseignants et aussi des élèves quand ils ont atteint un âge où on peut les responsabiliser.

« Les enseignants ont une responsabilité majeure »

Comment les enseignants  doivent-ils se comporter avec les élèves ?                    

Les enseignants ont une responsabilité majeure. Je pense que, quelque part, il faudra que les enseignants parlent aux élèves. En s’informant d’abord eux-mêmes et en maîtrisant bien le protocole sanitaire qui a été édicté, et d’expliquer ensuite aux élèves ces mesures qui n’étaient pas appliquées l’année dernière. Par exemple : pourquoi on est obligé de garder une distance physique d’un mètre, pourquoi on doit se laver les mains et pourquoi ne pas emprunter les affaires scolaires du camarade ou du voisin. C’est très important et l’enseignant est le mieux placé pour faire passer ce genre de messages à ses élèves, parce qu’ils ont confiance en lui, il les connaît et eux le connaissent. Si c’est l’enseignant qui le dit, le message passera mieux.

Les directeurs des établissements et les enseignants jugeront de la faisabilité de telle ou telle autre mesure et de leur applicabilité. C’est au cas par cas.

En ce qui concerne le transport interwilayas qui reste suspendu, que recommandez-vous ?

Pour l’instant, il n’a pas été ouvert. Et je pense qu’il faudra attendre les mesures qui seront édictées par le ministère des Transports. En général, tous les secteurs qui ont repris leurs activités ont préparé des protocoles, qui ont été passés en revue par le comité scientifique qui les a discutés, validés, enrichis. En dernier ressort, ce sont les secteurs concernés par la prise en charge des protocoles qu’ils ont eux-mêmes préparés qui sont censés soumettre à l’appréciation et à la validation du comité scientifique.

« Un rôle de bouclier pour l’Algérie »

Les experts préviennent contre la réouverture des frontières au risque de subir une 2e vague. Ces inquiétudes sont-elles justifiées ?

Les transports d’une manière générale ont très clairement joué un rôle majeur dans la dissémination fulgurante de l’épidémie en janvier dernier et on a bien vu toutes ces cartes montrant que l’épidémie s’est diffusée de façon parallèle à l’intensité du trafic aérien. Ce dernier est effectivement un vecteur important de (propagation) de l’épidémie, dans la mesure où tout notre voisinage, que ce soit à l’est et à l’ouest ou bien du nord (de la Méditerranée), connaît une recrudescence (des contaminations au Covid-19) parfois même inquiétante dans certains pays. Je pense que l’absence du trafic aérien avec ces zones hyper infectées joue un rôle de bouclier pour l’Algérie et peut, en partie, expliquer l’accalmie que nous observons.

Cela fait sept mois que l’épidémie de la Covid a fait son apparition. Peut-on aujourd’hui dire qu’on connaît et on maîtrise mieux le virus qui en est à l’origine ?    

Oui et non. Oui, on le connaît mieux parce qu’on en a fait l’expérience et on sait beaucoup mieux traiter les cas infectés  même si on n’a pas le médicament miracle. On dispose quand même de suffisamment d’armes thérapeutiques dans notre trousse pour pouvoir sauver  le maximum de patients y compris les plus graves. On a moins de cas graves qui décèdent aujourd’hui, parce qu’on a appris à utiliser les médicaments qu’il faut et au moment qu’il faut, en fonction de la situation des patients. On sait gérer tout ça. On sait aussi mieux retrouver les contacts (en lien direct avec les personnes infectées, Ndlr), même si la mission est difficile elle reste néanmoins faisable. Là où les gens ont un bon engagement, on arrive à identifier les contacts et on arrive aussi à les encourager à se confiner.

Est-ce que vous connaissez bien le virus ?

Non, on ne connaît pas très bien le virus. Premièrement, parce qu’il s’agit d’un virus qui mute. Ce qui est vrai aujourd’hui, peut ne pas l’être demain. Il y a des variantes du virus qui sont beaucoup plus agressives que d’autres. Les équipes de Marseille (IHU de Marseille du Pr Raoult, Ndlr) disent qu’ils en sont au 4e variant. Les variants peuvent apporter plus de sévérité. Ou moins. C’est pourquoi qu’on est dans l’ignorance, tout en ayant acquis de l’expérience qui nous permet de constater un certain nombre de choses. Que oui le masque et la distanciation physique protègent, que oui on sait traiter les cas dans hôpitaux, que certains cas légers peuvent se confiner, être traités à domicile et guérir. Que dans la majorité des cas, c’est une maladie bénigne et c’est tant mieux. Par conséquent, apprendre à vivre aujourd’hui avec l’épidémie de la Covid est maintenant possible, une fois passés les premiers moments de panique et de blocage général de l’économie avec tous les dégâts qu’elle provoquera à moyen et long terme.

« On ne peut pas rester éternellement bloqués »

Que faut-il faire ?

Il faut recommencer à vivre. On ne peut pas rester éternellement bloqués. Penser cependant qu’on va vivre comme avant la Covid est faux. Il faut apprendre à vivre avec le risque de l’épidémie. Il va falloir se prémunir contre ce risque en respectant les mesures ayant prouvé leur efficacité, comme le port du masque, la distanciation physique, le lavage des mains ou l’utilisation du gel hydroalcoolique. Il faut aussi faire en sorte d’éviter les rassemblements où il y a du monde notamment dans les lieux confinés. Ce sont ces types d’événements qui ont permis la dissémination du virus chez nous, de Blida jusqu’à Oued-Souf (El Oued) et à Mascara. Ce sont les mariages et les enterrements qui ont été des événements de super propagation du virus chez nous. Donc, évitons ces rassemblements autant que faire se peut, voire au maximum, évitons de se rassembler dans les lieux confinés et préférons les rassemblements à l’air libre. Même durant ces rassemblements, le port du masque et la distanciation physique sont extrêmement importants, en attendant l’avènement d’un vaccin qui permettrait de mieux contrôler de la meilleure manière cette épidémie.

Parlons du vaccin justement. Vous disiez à l’instant que le virus mute souvent, pensez-vous que cela va se révéler compliqué ?         

Vous savez, il y a des questions auxquelles les réponses ne sont pas linéaires aujourd’hui. Je vous mentirais en vous disant oui ou non.  Mais de ce que je sais des vaccins qui sont en phase d’essais, la plupart essaient d’utiliser plusieurs protéines du virus ; et donc il faut espérer qu’il y ait une immunité qui soit valide aussi pour les différents variants du virus. Seul l’avenir nous le dira, c’est encore trop tôt y compris pour juger de l’efficacité à 100% des vaccins. Puisque les essais en phase 3 n’ont pas encore été conclus et les résultats on ne les aura pas avant probablement la fin du mois de novembre pour les labos qui ont donné une date de publication de leur vaccin comme c’est le cas pour le vaccin russe.

« C’est une mauvaise nouvelle pour notre système de santé »

L’épidémie de la Covid coïncide cette année avec la grippe saisonnière. Cela vous inquiète-t-il ?

C’est une mauvaise nouvelle pour notre système de santé. Effectivement, l’arrivée que nous redoutions de la saison de la grippe -nous en avions d’ailleurs discuté au sein du comité scientifique- pose des défis supplémentaires pour les services de santé. Les symptômes de la grippe et de la Covid se ressemblent énormément, ça va poser un problème de diagnostic. S’agit-il d’un cas Covid ou d’une grippe, c’est cela la mauvaise nouvelle et il faudra la gérer. Espérons que le vaccin antigrippal soit distribué dès qu’il sera disponible, en privilégiant les personnes vulnérables : personnes âgées, malades chroniques, ou encore les patients qui souffrent de problèmes respiratoires préexistants. Cela va permettre de les protéger au moins partiellement.

La bonne nouvelle c’est que les pays de l’hémisphère sud qui ont déjà passé leur période de grippe, coïncidant avec l’été chez nous, et les informations disponibles font état qu’il y a eu très peu de grippe cette année. Il n’y a pas eu de dissémination de la grippe de façon aussi importante que les années précédentes. C’est grâce au port du masque, au lavage fréquent des mains, et aussi à la conscience accrue des gens qui font de plus en plus attention. Il faut espérer que chez nous, aussi, cette vigilance et le respect des gestes barrières se confirmeront. Ça nous évitera de mettre davantage de pression sur nos services de soins dont ils n’ont pas besoin par les temps qui courent.

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