La justice a entamé ce qui peut ressembler à une nouvelle « opération mains propres » depuis plus d’un mois à la faveur du mouvement de contestation populaire contre le pouvoir en place.
Sortis réclamer leur indépendance dès les premiers jours du hirak, les magistrats ont la lourde tâche de poursuivre d’anciens hauts responsables et des hommes d’affaires durant une période difficile. Ils doivent éviter « la vengeance », la logique des « règlements de comptes » et « la justice sélective ».
Des pièges qui peuvent rendre nuls les efforts de traquer les corrompus et de retrouver la trace de l’argent public détourné durant les vingt dernières années grâce aux nombreuses couvertures politiques.
La justice, qui aspire à travailler loin de la pression populaire, peine à communiquer avec l’opinion publique. Le jeudi 25 avril, le parquet général de la Cour d’Alger a, dans un communiqué, précisé qu’il accomplissait son action anticorruption « en toute sérénité et avec beaucoup de professionnalisme, sans instigation de quelque partie que ce soit ». Il a rappelé que la lutte contre la corruption est inscrite dans « les priorités » de son action.
Le parquet a promis que la cellule de communication de la Cour d’Alger veillera, « à l’avenir » à fournir « les informations nécessaires et justes conformément à la loi ». Il reconnait de fait que sa politique de communication est défaillante.
Or, dans la situation politique sensible actuelle, ne pas informer l’opinion publique sur les affaires en cours peut renforcer durablement le sentiment d’opacité et le doute sur l’existence d’investigations bâclées. Depuis ce communiqué, le parquet n’a rien fait pour améliorer la communication. Le flou continue d’entourer tous les dossiers.
Peu d’informations, beaucoup d’interrogations
La justice a ordonné la mise en détention des hommes d’affaires Ali Haddad, Issad Rebrab et les frères Kouninef pour plusieurs chefs d’inculpation.
Ali Haddad, PDG du groupe ETRHB, est poursuivi pour « non-déclaration de devises » et « présentation de faux documents », après son arrestation au niveau du poste frontalier d’Oum Tebboul (frontière avec la Tunisie). Est-ce la seule affaire ? Dans ce cas, la détention peut paraitre comme une mesure extrême ? Ou la justice a-t-elle ouvert d’autres enquêtes sur l’ex-président du FCE ? Pour l’heure, nous n’avons aucune réponse à ces interrogations.
Issad Rebrab fait l’objet d’une enquête sur « de fausses déclarations relatives au transfert de capitaux vers l’étranger, surfacturation sur équipements importés et importation de matériel d’occasion alors qu’il avait bénéficié d’avantages fiscaux et bancaires », selon les médias publics qui ont rapporté l’information sans citer de source. Mais pour quelle affaire ? Là encore, le parquet d’Alger n’a pas pris soin de le préciser ni de donner des détails.
Les frères Réda, Noah et Karim Kouninef, dont l’identité et le parcours professionnels restent peu connus des Algériens, sont poursuivis pour « trafic d’influence avec des fonctionnaires publics pour obtention de privilèges, détournement de fonciers et de concessions publiques, blanchiment d’argent et financement occulte de partis ». Mais, dans quelles affaires, quand, avec qui et où ? Qui sont ces partis politiques qui ont bénéficié de « financement occulte » et pour quelle raison ? Le parquet, là aussi, n’a apporté aucun détail qui puisse éclairer les Algériens.
Autre interrogation : si les frères Kouninef ont obtenu des privilèges, la logique voudrait qu’une autre partie, sans doute des décideurs puissants, les aient accordées. Qui sont-ils ? Pourquoi ne sont-ils pas poursuivis dans ce même dossier ?
Manque de transparence
Ahmed Ouyahia, ex-Premier ministre, est, lui, convoqué par la Cour suprême pour des « affaires de dilapidation de deniers publics et de privilèges indus ». Dans le même dossier, figure le nom de Mohamed Loukal, ex-gouverneur de la Banque d’Algérie et ministre des Finances. Là encore, aucune information de la part du parquet d’Alger sur ce dossier non plus.
La convocation simultanée d’un ancien Premier ministre d’un ex-Gouverneur de la Banque centrale peut laisser penser que l’affaire est liée à la planche à billets. Mais la justice peut-elle juger des décisions politiques ? Si la réponse est oui, elle devra aussi convoquer l’ancien président Bouteflika pour ce dossier de la planche à billets, voire pour l’ensemble de son œuvre à la tête de l’État.
Idem pour les nouvelles poursuites engagées par la Cour de Tipaza contre le général major Abdelghani Hamel, ex-directeur général de la sûreté nationale pour « activités illégales, trafic d’influence, détournement de foncier et mauvaise utilisation de la fonction ». L’ENTV, qui a annoncé la nouvelle samedi 27 avril, n’a pas fourni de détails sur ces affaires.
L’immunité parlementaire sera levée pour Djamel Ould Abbes, ex-secrétaire général du FLN et ancien ministre de la Solidarité nationale, et pour Said Barkat, ancien ministre de l’Agriculture, par le Conseil de la nation sans que l’on sache pourquoi. Le parquet d’Alger qui a demandé cette levée n’a pas expliqué la raison, comme si l’opinion nationale n’était pas concernée et que « l’affaire » se « réglait » en cercle fermé.
La lutte contre la corruption ne peut être crédible que si elle est menée dans un cadre transparent et ouvert. La justice ne peut pas avancer, en utilisant le canal officiel de l’ENTV ou de l’APS, des chefs d’inculpations d’une extrême gravité sans donner des détails sur les affaires qui font ou qui ont fait l’objet d’enquête.