Lyes Salem, acteur, scénariste et réalisateur franco-algérien, était au 3e Festival d’Annaba du film méditerranéen, venu avec l’équipe du film belge « Je suis mort mais j’ai des amis ».
La Belgique était l’invité d’honneur du festival, clôturé mardi 27 mars. Lyes Salem, qui prépare un nouveau long-métrage après « Mascarades » et « L’Oranais », revient sur sa vision sur le cinéma d’aujourd’hui et dresse un constat critique de la situation actuelle en Algérie. Entretien.
Vous jouez dans le film français « La Finale » de Robin Sykes qui raconte l’histoire d’un joueur de basket-ball (Rayane Bensetti) parti sur la route avec son grand-père (Thiery Lhermitte). Vous enchaînez ces derniers temps les rôles dans les comédies comme dans « Je suis à vous tout de suite » de Baya Kasmi. Visiblement, vous vous plaisez beaucoup à jouer dans les comédies. Une raison ?
J’aime bien la comédie, oui. Quand tout d’un coup, on m’en propose et qu’on me laisse faire, et bien, moi, je prends avec beaucoup de plaisir.
J’ai interprété un rôle dans « Je suis mort mais j’ai des amis » de Guillaume et Stéphane Malandrin. Un film tourné en 2015 à Bruxelles. « La Finale » est une comédie qui sort en ce moment en France. Je joue le rôle du père (Hicham Soualem) incompréhensif envers son fils.
Le père ?
Ah oui, je suis devenu vieux ! « La Finale » est une comédie agréable. Un feel good movie, comme on dit. Il ne faut jamais hésiter à m’appeler, mon premier métier est acteur. C’est la première chose que j’ai commencé à faire et que j’ai voulu faire.
J’ai débuté à Alger en 1988. En fait, j’ai tout fait pour être acteur. Le cinéma, en tant que réalisateur, est arrivé ensuite. C’était lié à ce qui se passait en Algérie dans les années 1990. C’est pour cela que je suis devenu réalisateur. Je le dis toujours : si l’Algérie était un pays qui s’épanouissait normalement, je ne serais jamais devenu réalisateur !
Vous avez donc réalisé « Mascarade », en 2008, puis « L’Oranais » en 2013, deux films portant une critique assez féroce de la société et de l’Histoire de l’Algérie…
J’ai dénoncé dans ces deux films certaines choses qui, à mes yeux, sont un frein pour la société algérienne. J’aime l’Algérie, mais il y a des choses à changer.
Le cinéma est donc, pour vous, un moyen de dénonciation sociale et politique…
C’est le seul outil que j’ai pour le faire. Je ne suis ni un dessinateur ni un politique ni autre. J’ai des idées, j’écris, je réalise, je joue, je fais le clown. Le cinéma est pour moi une arme. Petit, je jouais toujours avec un pistolet en plastique. Mon père me disait alors : l’arme la plus efficace et la plus forte, celle qui peut gagner toutes les batailles sans couler de sang, est le stylo. Je pensais qu’il existait une arme qui s’appelait le stylo, un kabous…
La télévision algérienne n’a pas acheté « Mascarades » après sa sortie en salles en 2008-2009. Existe-t-il une raison ?
Il y a dix ans, un responsable dont je ne me rappelle même pas du nom, m’a dit : « La société algérienne n’est pas encore prête pour ce genre de films ».
Un acte de censure ?
D’autocensure plutôt. La censure aurait été qu’ils me disent ne fais pas ceci ou cela. Ne pas diffuser le film, c’est de l’autocensure. La chaîne privée El Djazaria a diffusé le film. L’ENTV n’a jamais voulu l’acheter. Un jour, Canal Algérie a demandé à ce qu’on lui cède les droits. Ils ne voulaient pas payer !
Et pour L’Oranais ?
Nous n’avons même pas engagé la discussion autour de « L’Oranais ». Si « Mascarades » ne leur a pas plu, qu’en sera-t-il pour « L’Oranais », un film plus politique ?
Comment expliquez vous qu’un imam s’est mêlé du débat autour de votre film, appelant même à son interdiction (Cheikh Chamsseddine, le prédicateur d’Ennahar TV, a qualifié en octobre 2014, le long-métrage de « satanique ») ?
Mais parce que les imams, dans ce pays, se mêlent de tout. Il faut qu’ils arrêtent. Un imam gère sa mosquée.
Il ne faut pas qu’il fasse de la critique cinéma !
Non ! Moi, je ne peux pas assurer Ders (prêche) à la mosquée. Je ne peux pas commenter le Coran. Commenter (interpréter) le Coran est un métier, une pensée et une méditation. Il y a beaucoup de choses. Le cinéma, c’est pareil. On ne peut pas commenter le cinéma à partir du Livre (sacré). C’est impossible.
Vous trouvez que les imams sont envahissants ?
Oui, trop même.
Est-ce pour des raisons politiques ?
C’est la société qui est comme ça. Dans les années 1990, nous leur avons laissé toute la place. Merci la Concorde civile et la Réconciliation nationale. Ils ont gagné la bataille morale.
La Concorde civile est-elle un échec ?
Ce n’est pas un échec, c’est une bombe à retardement. Il faut regarder le film « Il était une fois dans l’Ouest » de Sergio Leonce, ça raconte cette histoire (Ce western qui date de 1968 développe l’idée de la vengeance et de la lutte autour d’un terrain et d’une source d’eau). Quand il y a eu tragédie, crime et mort, la justice aide à vivre mais ne guérit pas.
Une réconciliation sans justice ?
Moi, je le pense oui.
Cela peut-il faire l’objet d’un film ?
Il faudra que ça fasse l’objet d’un film, absolument.
Comment expliquez-vous les réactions par rapport au film « L’Oranais » en 2014 (l’histoire du film se situe durant les premières années de l’indépendance de l’Algérie) ?
Ces réactions m’ont conforté dans ma démarche et prouvent que j’étais juste. J’ai touché là où ça fait mal. Je suis très content de cela. Il n’y a certes pas tout dans « L’Oranais », mais il n’y a pas de contrevérités ni de mensonges. Après, on peut ne pas aimer « L’Oranais », ne pas aimer le scénario du film, la mise en scène, le jeu d’acteur, la lumière, c’est concevable. Mais qu’on ne vienne pas me dire que ce que j’ai raconté dans le film n’était pas vrai. Le public algérien a besoin de voir tout cela.
L’Histoire algérienne n’est pas pire ou plus belle qu’une autre. Toutes les Histoires des pays ont des zones d’ombre, des séquences belles et d’autres moins belles. L’important est de les regarder en face et de les assumer. Nous devons assumer notre Histoire avec toute sa part d’héroïsme et toute sa part de vilenie.
Le cinéma peut donc dévoiler les non-dits, les zones d’ombre dans l’Histoire…
Il est là pour cela, mais ce n’est pas une obligation. Ce qui est intéressant dans el fen, l’art, est que chacun vient avec ce qu’il est. Il y fait écho ou pas. Mais, il n’y a pas de règles précises.
La Guerre de libération nationale est-elle un tabou en Algérie ?
C’est plutôt une chasse-gardée de la fameuse famille révolutionnaire et de l’État qui s’appuie encore dessus, soixante ans après l’indépendance, pour légitimer son action. On s’en sert comme une sorte de rappel de bâton. On nous dit : « Attention, hal aynik, balek »… Khlass, c’est fini. Les hommes et les femmes qui ont fait, participé et mené cette guerre, pour beaucoup, ne sont plus là, certains ont été trahis. Donc, ça suffit, passons à autre chose. Regardons devant, vers l’avenir. Nous avons une jeunesse qui a envie de faire des choses. Il n’existe aucune raison pour que ce pays continue de sombrer dans une situation complexe. Un pays où on ne peut pas prendre des initiatives.
La famille révolutionnaire a-t-elle pris en otage l’Algérie ?
Oui, on peut le dire. J’aurai aimé voir émerger de nouveaux hommes et femmes politiques, pas toujours les mêmes partis.
Dans une interview à l’hebdomadaire français Le Point, en avril 2017, vous avez déclaré : « L’Algérie fonctionne avec des clans; chacun a ses propres leviers pour nuire aux autres. Le plus grand levier est au niveau du pouvoir. Le pouvoir algérien ne construit rien, sauf des mosquées… ». Il n’y a que des mosquées en Algérie, on ne construit pas autre chose ?
C’est une formule, évidemment. On construit d’autres choses, mais quoi ? Des immeubles (logements). Et les hôpitaux alors ? Qu’est-ce qu’on fait avec la santé en Algérie ? On me dit qu’on ne donne pas assez d’argent au cinéma en Algérie. Je réponds que je ne vais pas aller demander de l’argent pour mes films alors que les secteurs de la santé et de l’éducation n’en ont pas. Avec un peuple qui se soigne bien, qui mange bien et qui s’éduque bien, la culture suivra, sans problème. On ne peut pas demander à l’Algérien d’aller au cinéma alors qu’il a mal au ventre ou qu’il est malade et qu’il a besoin de se soigner.
Cette déclaration (faite au Point) était relative à la Grande mosquée d’Alger. En même temps, dans le monde, tous les dirigeants, rois ou présidents, veulent toujours laisser à l’Histoire quelque chose, une trace. On peut laisser une œuvre politique ou de la pierre. Je peux comprendre que le président Bouteflika veuille laisser de la pierre. Ce n’est pas cela que je remets en question. L’Algérie est un pays musulman et peut avoir une belle et grande mosquée, pourquoi pas ? Ok, mais ça ne peut pas être la seule chose. Si on met 14 milliards de dollars dans une mosquée, on doit mettre autant d’argent pour construire des hôpitaux, pour financer l’éducation et pour aider la société.
Vous dites que vous faites des films d’abord pour les Algériens. Pourquoi ?
Les références que je met dans le film viennent de ma culture algérienne. Cela ne veut pas dire que les films ne sont pas destinés aux non algériens. Je veux que tout le monde se retrouve dans mes films. Le sentiment et l’émotion humains sont les mêmes partout en Algérie ou en Suède même si la culture et la langue changent. Une scène drôle fait rire partout dans le monde. Autant pour une scène triste. Les Algériens pleurent ou rient pour des films américains. L’inverse peut être vrai aussi. Il faut donc rester ouvert dans les films pour s’adresser aux humains.
Le film algérien doit être universel. Cela dit, j’ai habité aux États-Unis. Dans ce pays, il y a la country music. C’est une musique typiquement américaine qui s’adresse aux Américains. En Algérie, on a le rai-gasba, ça ne sort pas de chez nous. Ce n’est pas de la musique universelle, mais authentiquement locale.
Votre prochain film ?
J’en dis rien pour l’instant !
Regardez-vous les films algériens actuels ?
À part le dernier film d’Ahmed Rachedi que je n’ai pas vu (« Les sept remparts de la citadelle », projeté au festival d’Annaba), j’ai vu les derniers longs-métrages de Karim Moussaoui (« En attendant les hirondelles ») et de Sofia Djama (« Les bienheureux »). Ne me dites pas si j’ai aimé ou pas. Je ne parle de mes camarades et de leurs films…