Nous sommes à quelques jours du second tour de la présidentielle française. Cette dernière étape du scrutin opposera le président sortant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, à la tête du parti d’extrême droite, le Rassemblement National.
Durant cette élection, les thèmes de l’immigration mais aussi de l’identité française et la place de l’islam ont été centraux. On imagine que l’entre-deux tours sera à nouveau l’occasion pour les deux candidats de rebondir sur ces sujets.
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C’est déjà le cas. Conscients du poids de l’électorat composé de Français issus de l’immigration mais aussi de la part de musulmans, Emmanuel Macron comme Marine Le Pen semblent réviser quelques positions.
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Ces ajustements de dernière minute sont-ils à prendre au pied de la lettre ? Difficile de faire table rase de ce que les deux candidats ont pu déclarer auparavant, ou même appliquer comme politique dans le cas d’Emmanuel Macron.
Marine Le Pen, pas si extrême ?
Marine Le Pen, à travers son parti le Rassemblement National, incarne, depuis le départ de son père de la politique, l’image de l’extrême droite française.
En héritant des combats du Front National, essentiellement basés sur l’exclusion des étrangers, elle est la candidate à craindre sur la question de l’immigration ou encore des droits des musulmans.
Pourtant cette année, Marine Le Pen prend une nouvelle place. Nettement concurrencée par des personnages tels qu’Eric Zemmour, elle a bénéficié d’un adoucissement de son image auprès des Français. On la trouve presque modérée dans le débat.
Aussi, la candidate a clairement soigné l’image de l’extrême droite et a même tenté un rapprochement avec un électorat qu’habituellement elle rejette. Celui composé de musulmans ou encore d’Algériens.
Il y a quelques jours, Marine Le Pen a même révisé l’un de ses principaux arguments de campagne : l’interdiction du voile dans les espaces publics. La candidate expliquait que finalement elle appelait à faire le distinguo entre les jeunes femmes embrigadées et le voile porté par habitude ou tradition. Marine Le Pen a expliqué qu’elle n’en ferait pas une priorité et qu’elle soumettrait cette mesure à un référendum.
Mais mercredi soir lors du traditionnel débat d’entre-deux tours avec Emmanuel Macron, Marine Le Pen s’est prononcée pour l’interdiction du voile dans l’espace public, contrairement au président sortant.
Marine Le Pen, l’ombre d’une traque de l’immigré et du musulman ?
L’attitude de Marine Le Pen est-elle de la poudre aux yeux ? C’est le cas, estiment plusieurs médias en France. Parmi eux, Mediapart s’interroge dans une enquête publiée le 17 avril, sur le sort qui sera réservé aux musulmans si Marine Le Pen est élue.
Le média d’investigation s’inquiète et assure que leur quotidien deviendrait "un cauchemar". Et pour cause, le média français évoque la volonté d’installer tout un système de surveillance et d’exclusion des musulmans.
« Sous couvert de lutte contre »l’islamisme« , le programme de la candidate d’extrême droite dévoile un incroyable appareil à réprimer les musulmans », écrit Mediapart. Le média rappelle ses positions défendues dans son programme, mais aussi dans son contre-projet proposé au moment du vote de la loi contre le séparatisme en 2021, que la candidate trouvait peu courageux à l’époque.
Parmi les multiples mesures, on compte une interdiction du voile dans l’espace public ou encore l’interdiction de l’abattage selon le rite musulman et donc la fin du halal en France.
Ce n’est pas tout, la candidate est allée jusqu’à défendre une atteinte à certains droits fondamentaux. Dans son optique de lutter contre le radicalisme, Marine Le Pen n’hésite pas à promettre l’interdiction de certaines manifestations, la fermeture de mosquées et même s’il le faut, le contrôle de médias, films et livres ayant des liens avec une idéologie dite "islamiste."
Côté immigration, ce n’est pas mieux. Marine Le Pen prône le zéro tolérance. Elle veut mettre un terme à l’immigration extra-européenne vers la France. Par exemple, elle veut réduire drastiquement l’immigration algérienne vers la France, voire la faire disparaître.
Grâce à plusieurs de ses mesures, elle pourrait y parvenir. Elle ambitionne de supprimer l’attribution des visas ainsi que le regroupement familial. Elle envisage aussi le départ massif des médecins étrangers. Alors qu’on sait que l’Algérie envoie chaque année d’importants contingents dans ce domaine.
La candidate martèle son envie de priorité nationale sur les étrangers, notamment sur les prestations sociales, l’aide médicale, ou encore l’accès au travail. De telle sorte que même des enfants binationaux dont les parents n’ont pas la nationalité française pourraient être lésés.
Ce 19 avril c’est au tour de Libération d’imaginer un "récit d’anticipation", si Marine Le Pen est élue dimanche prochain. Le quotidien français tente d’imaginer la France sous son mandat à partir des propositions de la candidate RN.
Le récit est effrayant et dresse les futures conséquences de ses décisions. Il imagine un futur où les centres d’hébergement sont saturés, les réseaux de passeurs renforcés et plus dangereux, la précarisation des étrangers dont l’accès au logement ne sera pas prioritaire.
Le journal prend également l’exemple des médecins étrangers. « Certains des 22 000 médecins étrangers installés en France ont décidé de quitter le territoire. Dans les hôpitaux, des services ne peuvent plus recevoir de patients », écrit Libération.
Alors à quoi ressemblerait une Marine Le Pen présidente ? Sera-t-elle celle qui sourit aux caméras lorsqu’elle prend un selfie avec une femme voilée. Ou celle qui défend les programmes et projets de loi qu’elle élabore avec ses collaborateurs depuis 2011, année où elle a pris les rênes de son parti ?
Emmanuel Macron, une politique migratoire à deux vitesses
Face à l’extrême droite, Emmanuel Macron semble être le choix d’une politique moins restrictive vis-à-vis de l’étranger et des libertés religieuses. On l’a vu s’activer récemment pour apaiser les relations avec les pays envoyant le plus de candidats à l’immigration. On pense à la récente visite de Jean-Yves Le Drian en Algérie pour s’assurer l’amitié franco-algérienne.
Pourtant son bilan présidentiel laisse planer le doute. Le président français n’a pas vraiment fait la promotion de l’immigration, bien au contraire. C’est sous son mandat que la France a réduit de plus de 50% l’octroi de visas aux ressortissants algériens et marocains.
Le Maghreb n’est pas le seul visé. On se souvient de sa réaction au moment de la prise de Kaboul par les Talibans en Afghanistan. Face à l’afflux des demandeurs d’asile, le président français a rappelé qu’il fallait avant tout "se protéger contre les flux migratoires irréguliers importants".
Emmanuel Macron qui a aussi la présidence de l’Union Européenne durant cette année 2022, s’est fait le chantre du tout contrôle des frontières et d’une réduction drastique de l’immigration illégale. Il est celui qui tente de convaincre l’Union Européenne de multiplier les agents Frontex, l’agence chargée de surveiller les frontières extra-européennes.
Le président qui fait fuir les musulmans
De même pour la question de l’islam. Le président français multiplie les sorties où on le voit prôner la liberté de vivre sa religion. Il y a cette vidéo où l’on voit féliciter une jeune fille voilée d’être féministe. Christophe Castaner, proche d’Emmanuel Macron, participe à un iftar dédié à la réélection d’Emmanuel Macron organisé par la Grande Mosquée de Paris. Emmanuel Macron est-il devenu l’ami des musulmans de France ?
Apparemment oui, mais seulement depuis le début de la campagne électorale. Il faut rappeler que le mandat d’Emmanuel Macron a également été marqué par des mesures que l’on peut qualifier d’hostiles envers les musulmans.
On pense au vote de la loi contre le séparatisme durant l’été 2021. Cette réforme normalise la stigmatisation des musulmans de France. Parmi les mesures, doit-on le rappeler, on trouve la surveillance des associations cultuelles avec la possibilité de les dissoudre. L’interdiction du voile dans davantage de lieux publics est encore plus étendue.
Il est aussi à rappeler le nombre d’associations musulmanes soupçonnées d’avoir des liens avec des groupes radicaux qui ont vécu un harcèlement sécuritaire dans le cadre de cette loi. Début mars 2022, l’ONG britannique Cage publiait un rapport relevant un acharnement de la France contre sa minorité musulmane.
En pratique, on peut s’attendre à une poursuite de ce type de politique, qui ostracise une partie de la population musulmane. Une enquête du New York Times publiée en mars dernier rapportait les témoignages de nombreux musulmans qui ont quitté la France à cause du climat délétère et le sentiment qu’ils ne peuvent pas respecter leur culte en toute liberté.
La première campagne d’Emmanuel Macron prônait justement des valeurs d’inclusion de toutes les franges de la société. C’est d’ailleurs sur cette base qu’il avait récolté les voix d’enfants d’immigrés ou encore de musulmans. Face à cette promesse non tenue, rien n’assure un avenir sécurisé pour les immigrés, réfugiés et musulmans résidant en France.
Le second tour représente donc un enjeu considérable pour les musulmans et les Français issus de l’immigration. Ce n’est plus un choix cornélien qui s’impose à eux mais un inévitable scénario catastrophe dans lequel leurs droits seront encore limités.
Si nous interdisons le voile, nous serons le premier pays au monde à le faire. Ce serait un rejet des Lumières et de l'universalisme. #DébatMacronLePen pic.twitter.com/YYZ5k72YlU
— Emmanuel Macron avec vous (@avecvous) April 20, 2022