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Magistrats : une grève qui risque de faire très mal

Magistrats : une grève qui risque de faire très mal

Moins d’une semaine après les avocats, les magistrats montent au créneau à un moment crucial pour le Hirak et pour le processus électoral en cours. C’est en effet entre la très forte mobilisation du trente-sixième vendredi et le tsunami annoncé pour le 1er novembre, et le jour même de la clôture du délai de dépôt des candidatures pour la présidentielle, que les juges ont décidé d’adopter une attitude que, franchement, personne n’attendait d’eux depuis qu’ils sont rentrés dans les rangs après l’illusion d’un affranchissement de la tutelle du pouvoir politique qui n’aura duré que le temps de l’euphorie des premières semaines du mouvement populaire.

Hier samedi 26 octobre, leur syndicat national a annoncé une grève illimitée. Le taux de suivi de 96% annoncé ce dimanche matin illustre en fait le ras-le-bol d’une corporation qui, en sus de ses problèmes socioprofessionnels propres, fait face aux accusations infamantes de ne pas être au service exclusif de la loi et du droit.

Dans l’élaboration et l’annonce du mouvement, la tutelle, dirigée par un ancien magistrat qui en connait un bout des interférences du politique dans le judiciaire, a commis une double faute, technique et politique.

Techniquement, le moment est très mal choisi pour muter d’un trait quelque 3 000 juges. Un tel mouvement devait se faire en été ne serait-ce que pour permettre aux concernés de s’occuper du déménagement, de l’inscription de leurs enfants dans leurs nouvelles écoles, d’un éventuel transfert de leur conjoint…

Politiquement, le ministre Belkacem Zeghmati a commis la maladresse de s’être trop mis en avant, annonçant lui-même les détails d’une opération qui relève du ressort exclusif du Conseil supérieur de la magistrature.

Dans sa réplique précipitée à l’annonce de la grève, le ministère a enfoncé le clou en rappelant aux contestataires les dispositions réglementaires qui leur interdisent d’avoir recours à une telle action. Faire un tel rappel, c’est reprocher aux juges d’ignorer la loi ou, plus grave, de l’enfreindre sciemment.

A travers le département de la Justice, c’est tout le pouvoir qui se plante une épine supplémentaire en ouvrant un autre front dont il aurait volontiers fait l’économie dans cette conjoncture tendue.

La grève des magistrats n’est pas une grève comme les autres et risque de faire très mal. Nonobstant l’effet boule de neige qu’elle pourrait déclencher, elle risque de priver les autorités de l’unique bras qui confère encore un semblant de légalité à leur « gestion » du hirak et, surtout, de mettre à mal le déroulement de l’élection présidentielle dont les juges sont un maillon essentiel du dispositif de surveillance.

Sur le plan de l’image, les dégâts de la colère des juges risquent d’être désastreux pour le pouvoir, s’ils ne le sont pas déjà. En mettant en bonne place dans leur plateforme l’exigence de l’indépendance de la justice et en répondant en masse au mot d’ordre de grève, les magistrats font voler en lambeaux le mythe d’une justice « libérée par le hirak » et qui juge en son âme et conscience depuis le départ de la « îssaba ».

Par leur mouvement, les juges se plaignent ouvertement d’interférences dans leur travail et cela sous-entend qu’au moins une partie des jugements rendus ces derniers mois l’a été sur injonction.

Le pouvoir ne doit s’en prendre qu’à ses précipitations inexpliquées. Comme la loi sur les hydrocarbures et toutes les autres décisions lourdes prises par le gouvernement Bedoui, le très vaste mouvement dans le corps de la magistrature pouvait et devait attendre l’avènement d’un nouveau président, en théorie dans un peu plus d’un mois.

Contre tout bon sens, les autorités politiques ont choisi d’agir maintenant, faisant d’un allié jusque-là infaillible, un adversaire supplémentaire et apportant elles-mêmes l’ingrédient qui manquait à un cocktail déjà explosif.

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