Absents de la couverture des manifestations contre le 5e mandat que brigue le président Bouteflika, les médias publics, tous supports confondus, sont pointus du doigt par l’opinion publique, et traversent une ”période difficile”.
Samedi, des journalistes venus couvrir le ‘’phénomène Nekkaz’’ lors de son passage à l’APC d’Alger-centre pour le recueil des formulaires de parrainage de sa candidature, ont été hués et pris à partie par ses sympathisants. Motif : le silence des médias publics, télévision et radios en tête, des manifestations de la veille dans la capitale.
Très critiqués pour avoir ignoré les gigantesques manifestations populaires de vendredi dernier dans 44 wilayas du pays, les médias du secteur public semblent accuser le coup.
La télévision est l’exemple type du refus systématique de couvrir les manifestations de rues contre le 5e mandat. Les manifestations de vendredi et de samedi n’ont pas été couvertes. Sans explications ni égard aux téléspectateurs.
L’Agence officielle, qui a 48 bureaux de wilayas et actuellement deux bureaux à l’étranger, dont celui de Paris, compte au sein de ses rédactions centrales un important service chargé de la couverture des informations locales. Vendredi dernier, elle n’a donné qu’une information biaisée, sibylline, qui a évité de parler de manifestations contre le 5e mandat.
”Pour nous, c’est difficile. Nous traversons des moments délicats”, confie à TSA, sous couvert d’anonymatn, un journaliste de l’agence. ”Oui, nous avons donné une information sur les manifestations, vendredi, et hier dimanche sur la manifestation de Mouwatana”, précise-t-il. Il n’a pas répondu, par contre, sur le nombre important de dépêches données sur la couverture du directeur de la campagne de Bouteflika dimanche à Adrar.
”C’est difficile, nous vivons des moments délicats”, ajoute-t-il. ”L’information donnée vendredi, par rapport au contexte général, est un véritable exploit”, explique un autre journaliste de l’agence, embarrassé par la non-couverture des manifestations contre le 5e mandat.
”Nous, on a fait ce qu’il faut”, explique-t-il. ”Maintenant, c’est à la direction de prendre ses responsabilités”, ajoute le même journaliste, qui précise que ”tout se passe en haut, à la direction générale”.
Meriem Abdou et Radio Soumam montrent la voie
Au sein de la radio nationale, c’est un vent de révolte qui se lève. Dans un communiqué publié ce lundi, des journalistes des Chaîne III, Chaîne II, Chaîne I, RAI, ont affirmé : nous ”témoignons du non-respect de la neutralité dans le traitement de l’information au sein de nos rédactions. La décision de la hiérarchie de passer sous silence les grandes manifestations de ce vendredi 22 février n’est que l’illustration de l’enfer de l’exercice au quotidien de notre métier. Nous refusons le traitement exceptionnel dérogatoire imposé par la hiérarchie au profit du président et de l’alliance présidentielle et restrictif quand il s’agit de l’opposition”. Puis, ils s’interrogent : ”Journalistes étatiques ou de service public, quels journalistes sommes-nous ?”.
Même colère au sein de radio Soumam de Béjaia. Dans un communiqué, les journalistes de cette radio, qui ont interpellé ce lundi leur direction générale sur la non couverture des manifestations anti 5e mandat à Béjaia, ont expliqué : ”Notre conscience professionnelle ne nous permet pas, un jour de plus, de continuer à occulter une couverture objective et neutre des manifestations, qui se passent à quelques mètres du siège de la station en cette période que vit notre pays”.
”Le ratage des derniers événements, indépendamment de notre volonté, a interpellé notre conscience professionnelle”, affirment-ils.
Cependant, c’est la journaliste et désormais ex-rédactrice en chef de la radio Chaîne 3, Meriem Abdou, qui a fait sensation en annonçant samedi la démission de son poste, pour protester contre la non couverture des manifestations contre le 5e mandat.
‘’Quand on se dit journaliste, responsable d’une rédaction, le principe de base est de donner l’info, au moment où elle se déroule, telle qu’elle se déroule avec rigueur et objectivité”, a-t-elle écrit sur sa page Facebook. Hier dimanche 24 février, elle a annoncé que la direction de la radio Chaîne 3 a décidé de mettre fin à son émission hebdomadaire ‘L’Histoire en marche’.
Du côté des journaux publics, notamment El Moudjahid et Horizons, mais également des journaux et des TV privées, on constate la même volonté de ”zapper” ces moments historiques. Pour autant, les journalistes des médias publics commencent à se rebiffer contre cet état de fait.
Un sit-in de protestation est prévu jeudi 28 février par les journalistes à l’appel d’un collectif pour ”défendre ce qui reste de l’honneur de cette corporation”. Le rassemblement est prévu à 11 heures au niveau de la place de la ”Liberté d’expression”, sur la rue Hassiba Ben Bouali, près du foyer des Cheminots de la SNTF. Le collectif a dénoncé la situation des journalistes qui a ”atteint un degré de dégradation sur lequel il n’est plus possible de se taire”.