Dans un futur proche, les progrès technologiques et le recours à l’intelligence artificielle permettront de manipuler l’information de façon quasi-indétectable et de semer le chaos, prévient un rapport officiel français.
Cela risque de permettre à des acteurs étatiques, notamment la Russie, de monter de redoutables campagnes de désinformation “visant à fragiliser ou à déstabiliser le débat démocratique dans d’autres Etats”, estiment les auteurs de cette étude, intitulée “Les manipulations de l’information, un défi pour nos démocraties”.
Ce rapport, réalisé par quatre experts du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères(CAPS) et de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), a été présenté mardi à Paris, lors d’un colloque à l’Ecole militaire, en présence de la ministre des Armées Florence Parly.
Parmi les menaces à venir, les auteurs soulignent l’importance que vont prendre les logiciels d’édition photo, audio et vidéo, qui vont bientôt permettre (certains le font déjà) “de faire dire n’importe quoi à n’importe qui, rendant la désinformation indétectable”.
“Ces +deep fake videos+ consistant à modifier numériquement les visages de personalités afin de leur faire dire ou faire ce que l’on veut sont déjà très crédibles”, assure le rapport. “Ces vidéos altérées ont été identifiées par le département de la Défense américain comme un enjeu des élections de mi-mandat de 2018”.
Dans une démonstration destinée à alerter sur les dangers de ces nouvelles technologies, l’humoriste et réalisateur américain Jordan Peele a récemment mis en ligne une vidéo truquée dans laquelle il fait dire à l’ancien président Barak Obama: “Je ne dirais jamais ce genre de choses, du moins pas en public”.
Coûts nuls, risques faibles
“Un plus grand danger encore, car plus subtil que la création d’un faux, est l’altération discrète d’une partie seulement d’un contenu audio ou video, un discours par exemple”, ajoutent les auteurs du rapport. Il sera aussi possible de truquer un discours, par exemple, et de diffuser une vingtaine de variations, “pour diluer l’authentique dans la confusion”.
“Il faut s’attendre à ce que les manipulations de l’information se généralisent et impliquent toujours davantage d’acteurs: les coûts d’entrée sont nuls, les risques d’être pris très faibles grâce aux difficultés de l’attribution et les gains potentiels très élevés”, poursuivent-ils.
Pour illustrer un autre risque, celui posé par les “personalités fictives”, les experts rappellent le rôle joué, de 2014 à 2017, aux Etat-Unis par Jenna Abrams. “C’était une militante pro-Trump connue, icône de +l’alt-right+ américaine, citée par les grands médias et suivie par 70.000 comptes sur Twitter.
Seul détail gênant, rappelle le rapport : “Jenna Abrams n’existait pas, son compte était une création de l’Internet Reasearch Agency, l’usine à trolls de Saint-Pétersbourg, financée par le Kremlin”.
La Russie est déjà soupçonnée d’ingérence dans l’élection de Donald Trump en 2016, notamment en piratant les ordinateurs du parti démocrate et en menant une campagne anti-Hillary Clinton sur les réseaux sociaux.
Sur l’implication de Moscou, le rapport estime que “ce n’est pas faire preuve de +russophobie+ que de constater que toutes les ingérences récentes dans des référendums (Pays-Bas, Brexit, Catalogne) et des élections (Etats-Unis, France, Allemagne) sont liées, de près ou de loin à la Russie”.
“La désinformation russe – impliquant notamment des interviews de faux experts, des documents contrefaits et des photos et vidéos retouchées – a une longue tradition remontant à la période soviétique. Le mot lui-même vient du russe : +dezinformatzia+”.
Face à cette menace, les auteurs du rapport dressent une liste de cinquante recommandations, aux Etats, à la société civile et aux acteurs privés.
Ils préconisent notamment de “ne pas abandonner le web aux extrémistes”, de “légiférer lorsque nécessaire”, “responsabiliser les plateformes numériques”, de “former les adultes comme les enfants”, de “développer la vérification des faits” ou de “valoriser et mieux rétribuer un journalisme de qualité”.