Le Conseil constitutionnel a mis fin au faux suspense qui prévalait depuis que deux illustres inconnus sont sortis de nulle part pour déposer leur dossier de candidature pour l’élection présidentielle du 4 juillet, faisant perdre au pays une précieuse semaine.
Ce dimanche 2 juin, les deux dossiers ont été invalidés et le scrutin officiellement annulé, faute de candidats. Pour le pouvoir, c’est un camouflet, pour le peuple, c’est incontestablement une autre grande victoire, après avoir empêché le cinquième mandat et mis fin à vingt ans de règne de Bouteflika. Mais une victoire symbolique, sans plus.
Sur l’essentiel, le pouvoir n’a rien cédé et n’a pas montré des signes qui laisseraient penser qu’il s’apprête à faire de sérieuses concessions. La teneur du communiqué du Conseil constitutionnel invalidant les deux candidatures ne laisse pas de doute quant aux intentions du pouvoir pour l’étape à venir. En un mot, le projet n’est pas abandonné.
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« La Constitution prévoit que la mission essentielle dévolue à celui investi de la charge de Chef de l’État est d’organiser l’élection du président de la République », rappelle-t-on d’abord, avant de lever les dernières équivoques autour de l’avenir de Abdelkader Bansalah, le chef de l’État par intérim dont le peuple exige le départ comme un gage de garantie, et de tordre le coup à l’illusion d’une période de transition qui précéderait l’élection. « Il revient au Chef de l’État de convoquer de nouveau le corps électoral et de parachever le processus électoral jusqu’à l’élection du président de la République et la prestation du serment constitutionnel ». L’une des principales revendications de la rue, soit la mise en place d’instances de transition, se trouve donc de nouveau rejetée, cette fois de manière formelle.
La semaine passée, le chef d’état-major de l’ANP avait appelé à « un dialogue sérieux » pour aboutir à l’organisation de la présidentielle dans les meilleurs délais, sans passer par une période de transition, revendication des manifestants et de l’opposition, appuyés par de nombreuses organisations comme l’ONM et les Oulémas.
Dans son communiqué, le Conseil constitutionnel parle aussi de « réunir les conditions adéquates pour l’organisation de cette élection dans la transparence et la neutralité en vue de préserver les institutions constitutionnelles qui concourent à la réalisation des aspirations du peuple souverain ».
Sans préjuger des mesures que pourraient prendre les autorités pour réunir ces « conditions adéquates », il est certain qu’elles feraient l’effet d’un coup d’épée dans l’eau si les visages dont le peuple ne veut pas sont maintenus. Aux mêmes causes les mêmes effets, la nouvelle convocation du corps électoral, si elle est émise par le même Bensalah, risque de déboucher sur l’annulation du scrutin pour la troisième fois. À moins que par « conditions adéquates », il est entendu le remplacement du chef de l’État par intérim et du Premier ministre, ou de l’un des deux.
Même si elle est très peu probable, une telle option est « constitutionnellement » toujours possible : nomination à la tête du Conseil constitutionnel d’une personnalité consensuelle qui assurera les fonctions de chef de l’État après la démission de Bensalah. À défaut, le pouvoir devra se mettre dès maintenant à tenter de convaincre de sa bonne foi et de sa disposition à passer la main en multipliant les mesures d’apaisement et en cessant toute forme de pression sur les manifestants, les médias ou la classe politique.
On le sait, si la crise a autant duré, c’est à cause de ce gros problème de confiance que les autorités n’ont jusque-là rien fait pour dissiper. Si les deux candidats qui viennent de voir leurs dossiers invalidés ont fait perdre une semaine au pays, le pouvoir, par ses tergiversations, ses manœuvres et son obstination à s’en tenir à la lettre d’une constitution de laquelle il ne reste pourtant pas grand-chose, lui a déjà fait perdre trois longs mois.
Continuer à tourner en rond ne servira ni le pouvoir ni le pays. Le premier risque de collectionner les camouflets et le second de foncer droit dans le mur dans une conjoncture économique et sociale très peu favorable.