En Algérie, les usagers craignent l’été pour les coupures d’eau. C’est particulièrement le cas dans les villes de l’intérieur ne pouvant bénéficier du dessalement de l’eau de mer.
Les autorités doivent déployer des trésors d’imagination pour assurer une distribution régulière de l’eau.
Elles sont souvent prises entre des injonctions contradictoires : assurer les besoins en eau de l’agriculture et celle de l’alimentation de la population en eau potable.
C’est le cas à Tiaret où la cellule de communication de la wilaya a suivi à la mi-août une sortie de terrain du wali, Ali Bougerra, homme d’expérience et réputé pour être proche de ses administrés.
Comme il est de tradition dans ces cas là, les fonctionnaires en charge du secteur de l’hydraulique avaient préparé un exposé sur la situation locale avec de grands tableaux où figurent graphiques et diverses statistiques.
Dès le début de l’exposé, Ali Bougerra arrête l’orateur : « Ces chiffres ne veulent rien dire. Moi, je ne suis convaincu que par la réalité, des chiffres cela peut être manipulé ».
En administrateur averti il ajoute : « Pour le travail que vous avez réalisé dans la commune de Hamadia, je vous félicite. En deux mois vous avez réalisé le travail de 4 mois. À travers moi, ce sont les citoyens qui vous félicitent. »
Dans la commune en question, la distribution d’eau n’était effective qu’un jour sur 15. Un service de camions citerne avait été déployé pour l’approvisionnement en eau.
Manque d’eau dans le chef-lieu de wilaya
Les interrogations du wali concernent ensuite la commune de Tiaret : « Que se passe-t-il concernant le chef-lieu de wilaya. La réalité est que 60.000 habitants n’ont pas d’eau. Tous les jours je reçois à mon cabinet des administrés qui se plaignent du manque d’eau. »
La wali semble étonné, d’autant plus qu’il s’agit là d’un dossier sensible qu’il suit avec attention : « Comment cela est-il possible ? Lors de ma dernière visite sur le site de ce réservoir d’eau nous avons fait ensemble sa mise en eau et vous m’aviez assuré que l’approvisionnement serait assuré pour l’été. »
Délaissant leurs tableaux et graphiques, les deux responsables du secteur de l’hydraulique tentent une explication : « Monsieur le wali laissez nous vous présenter la situation d’ensemble puis le cas du chef-lieu de wilaya. »
Voyant le wali prêt à les écouter, ils poursuivent : « Les besoins journaliers en eau de la wilaya sont de 260 000 m3 mais les disponibilités actuelles ne sont que de 160.000 m3 dont 30.000 fournis par le barrage Ben Khedda et 130 000 m3 par des forages. Nous disposons de 266 forages profonds pour l’Alimentation en Eau Potable (AEP) notamment dans la zone de Mina. Le gros problème de la distribution de l’eau provient d’un déficit conjoncturel de 90.000 m3 qui fait qu’une partie des usagers n’est desservie qu’un jour sur deux ou un jour sur trois. »
Il est alors fait mention du niveau des nappes phréatiques : « Le rabattement de la nappe atteint 25%. D’habitude la pluviométrie moyenne est de 500 mm par an. Depuis deux ans, il n’a plu que 250 mm. Cela a conduit à une baisse des eaux de surface et des eaux souterraines. »
Il conclu par : « C’est un problème national. » À ces mots, le wali sursaute et rétorque : « Non, non, prenez vos responsabilités. En novembre vous aviez promis que ce réservoir d’eau résoudrait les problèmes. »
Le wali, recentre l’échange sur la question des forages : « Nous avons autorisé des forages pour l’agriculture en plus de ceux utilisés par l’AEP. Les forages agricoles ont été autorisés mais selon des conditions. Ont-elles été respectées ? »
Forages agricoles et vol d’eau
En bon connaisseur du dossier, il demande également à quelle profondeur ont-ils été creusés et pour quel diamètre de tubage.
La réponse des deux fonctionnaires quant au respect des normes autorisée est négative. Les forages agricoles dépassent allègrement les capacités allouées.
L’un d’eux indique : « Nous avons donné des autorisations pour des profondeurs de 80 mètres mais elles ont été dépassées. Les débits observés sont de 3-4 litres/seconde, le dernier des forages présente un débit de 10-15 L/s. Certains forages sont illicites et même installés sur les champs captants destinés à l’AEP. »
Le wali insatisfait : « Les avez-vous sanctionné ? Cette responsabilité vous incombe. Quand un forage est installé et équipé, le subdivisionnaire des services de l’hydraulique doit être présent sur les lieux. Dès que le forage est relié au réseau électrique, des essais de débits doivent être réalisés en sa présence. Si chaque agriculteur prélève 10 L/s contre 3 autorisés… Puis normalement il ne doit pas y avoir de forage agricole dans les champs captants réservés à l’AEP. »
Le fonctionnaire précise : « Il s’agit de forages illicites dans les champs captants de Tousnina et Mina. » Le wali s’étrangle d’indignation : « Appliquez le code des eaux, faites intervenir la police des eaux. Faîtes fermer ces puits ! »
À nouveau il déplore l’absence de contrôle de la part des services techniques. Puis, il explique : « Nous ne sommes pas contre faire de l’agriculture, mais cette activité doit être réalisée selon la loi. Nous avons établi des priorités : d’abord satisfaire l’AEP, l’élevage puis les cultures. »
Les explications fournies à Ali Bougerra font apparaître qu’au niveau du champ captant de Mina le niveau potentiel d’eau potable de 3.000 m3/j est nul suite aux captages illicites.
Les deux responsables locaux détaillent leurs efforts pour essayer de combler le déficit en demandant une rallonge de la part des autorités gérant les eaux du barrage ou en se basant sur d’autres forages.
Le déficit en eau sur la commune de Tiaret reste élevé ce qui affecte 17 quartiers de la ville.
Un programme de distribution d’eau par 9 camions citerne est prévu avec les véhicules auparavant affectés à la commune de Hamadia. Les deux fonctionnaires indiquent que d’autres dispositions devraient permettre d’assurer une distribution d’eau un jour sur quatre.
Des citernes pour parer aux coupures d’eau
À nouveau le wali indique qu’il n’est pas convaincu par ces mesures provisoires et s’étonne que des quartiers de la ville aient de l’eau en permanence alors que d’autres non. Il apparaît que la cause est liée à de l’absence de raccordement entre les différents réservoirs.
À l’énoncé que des retards administratifs ont retardé ces raccordements le wali rappelle le conseil qu’il avait auparavant donné : « Réalisez en hiver vos programmes de travaux. »
Il lui est alors répondu que les travaux ont bien été programmés mais que : « Allah ghaleb, des difficultés administratives sont la cause de ces retards. »
À ces mots, le wali rétorque : « L’excuse d’Allah ghaleb concerne les fainéants. »
Il rappelle que ce sont les usagers qui sont juges du bon fonctionnement de la distribution d’eau.
« Les usagers n’ont pas d’eau, cela concerne 17 quartiers et représente 60.000 habitants » s’écrie-t-il. Ajoutant : « Chaque matin vous devriez aller à la radio locale et présenter vos excuses aux usagers. »
L’un des deux fonctionnaires indique que c’est la faute aux entreprises. Celle qui devait procéder au raccordement entre le réservoir d’eau et le réseau a fait faux bond.
Le wali s’irrite : « pourquoi passez vous des appels d’offres pour des projets segmentés ? L’idéal serait de passer des offres englobant la totalité du projet : forage, construction du réservoir et établissement du raccordement. » Les deux fonctionnaires accusent le coup.
Le débat tourne ensuite sur les branchements illicites et les détournements d’eau potable dont un cas de 500 m3/jour qui perdure.
Le vol de l’eau est un crime
« Il faut intervenir » insiste le wali qui fait part à nouveau de son insatisfaction quel que soient les efforts déployés en rappelant que chaque semaine des usagers viennent frapper à sa porte pour lui signaler qu’ils n’ont pas d’eau.
Aux protestations des responsables concernés qui évoquent le déficit de pluie, il comptabilise les torts des services de l’hydraulique : l’absence d’interconnexion entre les réservoirs et une police des eaux non opérationnelle.
Il demande que les forages illicites ou non conformes soient fermés. « Faites moi des propositions » lance-t-il en rappelant que le vol d’eau est un crime. « Faites des constats officiels et on fera poursuivre les auteurs devant la justice. Ils disent on fait de l’agriculture, mais faites de l’agriculture dans le cadre de la loi. »
Lors des échanges, il apparaît que sur les 1.700 forages autorisés au moment de la sécheresse du printemps dernier, 800 sont fonctionnels.
Le wali indique : « Il y aura une enquête, je veux que chacun de ces 800 forages soit contrôlé cas par cas afin de déterminer si leurs propriétaires ont respecté les normes. Et les fonctionnaires qui n’ont pas assuré le contrôle de leur installation devront être sanctionnés. »
Il poursuit : « Je rappelle que la distribution de l’eau est de notre responsabilité et insiste sur le fait que la question ne doit pas souffrir de fausses excuses. Ali Bouguerra demande plus d’allant de la part du service de l’hydraulique indiquant que pour faire avancer les travaux à Hamadia, il n’a pas hésité à réquisitionner la Sonelgaz afin que puissent démarrer des travaux de connexion au réseau avant même que les budgets nécessaires ne soient débloqués.
Injonctions contradictoires
L’entretien se termine par un constat sévère : « Pour les travaux de Hamadia vous êtes félicités, mais pour ce qui concerne le chef lieu de wilaya vous êtes à blâmer. »
Ali Bouguerra demande à ce que le programme de citernage soit renforcé et il insiste : « Informez par divers moyens la communication à l’intention des usagers. »
À travers le travail des cellules de communication qui accompagnent les walis sur le terrain, l’administration locale joue le jeu de la transparence.
Les usagers peuvent prendre la mesure de l’efficacité ou non de certains services, de la lenteur des procédures administratives liées aux appels d’offres et du temps imparti pour le déblocage de budgets complémentaires.
À Tiaret, comme dans d’autres régions, les injonctions sont parfois contradictoires : satisfaire les besoins de l’agriculture et de l’alimentation en eau potable des usagers.
La concurrence entre les différentes utilisations de l’eau montre que celle-ci devient un bien rare et que chaque secteur devra se ré-inventer en développant des techniques plus économes en eau, voire réviser la tarification de l’usage de l’eau.