De « Premier ministre candidat à la présidentielle » il y a encore six mois, Manuel Valls se retrouve aujourd’hui « sans parti fixe » pour les élections législatives. Récit d’une ascension politique arrêtée en plein vol.
Lundi 5 décembre 2016, Manuel Valls officialise sa candidature à l’élection présidentielle depuis Évry, ville dont il a été maire pendant onze années. Quelques jours plus tôt, le président François Hollande avait annoncé qu’il ne briguerait pas un second mandat. Une première dans l’histoire de la Ve République. Le renoncement du chef de l’État ouvre potentiellement une autoroute pour ce candidat de substitution. Il n’en est rien.
À gauche, il est loin de faire l’unanimité. Valls a longtemps parlé de « deux gauches irréconciliables », alors forcément un grand nombre de cadres du PS ironisent sur sa capacité à rassembler. Présent tout au long du quinquennat (d’abord ministre de l’Intérieur puis Premier ministre), il doit en outre porter le bilan d’un président sortant très impopulaire. Malgré tout, il est persuadé d’être en mesure de remporter la primaire de la gauche, condition pour être le candidat du PS. Il est finalement battu fin janvier à l’issue du second tour par Benoît Hamon, ex-ministre frondeur, et candidat « à gauche de la gauche ».
Un traître
Au soir de sa défaite, il promet d’être loyal, de respecter les règles de la primaire et de soutenir le candidat vainqueur. Mais il sèche l’investiture de Benoît Hamon. Puis disparaît des radars médiatiques pour digérer son échec.
En mars, alors que le candidat socialiste dégringole dans les sondages, il enfonce le clou en refusant de lui apporter son parrainage. Valls trahit le règlement de la primaire, auquel il s’était pourtant engagé.
Quelques jours plus tard, il franchit le rubicon et appelle à voter Emmanuel Macron dès le premier tour de l’élection ! Une partie du PS s’indigne, l’accuse d’être un traître et demande son exclusion. Mais à la direction du parti, on préfère -officiellement- calmer le jeu.
Le premier secrétaire du parti Jean-Christophe Cambadélis se contente d’un communiqué laconique dans lequel il se dit « triste » de la décision de Manuel Valls, et appelle « tous les socialistes au calme » et « au respect de leurs principes et de leur cohérence pour une gauche qui gouverne et qui transforme ».
Doublé
Pendant ce temps, Emmanuel Macron a doublé l’ex-Premier ministre depuis longtemps. Il a d’abord lancé son propre mouvement politique en avril 2016, jurant alors que la présidentielle n’était pas sa priorité. Fin août, il a quitté son poste de ministre de l’Économie, puis officialisé sa candidature le 16 novembre. Avec un parti politique qui se veut « ni de gauche, ni de droite », il parvient à faire oublier aux Français une partie de son CV : secrétaire général adjoint à l’Élysée de 2012 à 2014, conseiller du « Prince », puis ministre de l’Économie entre 2014 et 2016. Il réussit là où Valls à échouer : ne pas être tenu responsable du quinquennat Hollande.
Chantage
L’ancien Premier ministre a de quoi être hargneux. S’il récuse la ligne défendue par Benoît Hamon -qu’il juge dangereuse- il a toujours défendu comme Emmanuel Macron une vision sociale libérale. Il assure régulièrement avoir porté les idées que le jeune candidat sans étiquette défend aujourd’hui. Quand il se résout finalement, fin mars, à soutenir son ancien ministre de l’Économie, il est accueilli… fraîchement.
Mais Valls ne se dégonfle pas. Il se sait en danger et doit absolument assurer ses arrières pour les législatives dans sa circonscription. À l’issue du premier tour de la présidentielle, l’ex-locataire de Matignon dit vouloir « participer à cette majorité présidentielle » en cas d’élection d’Emmanuel Macron au second tour le 7 mai face à Marine Le Pen.
Du côté d’En Marche !, on explique que les règles sont les mêmes pour tous. Si Valls veut être investi, il doit abandonner son étiquette PS. « On a eu des désaccords mais si Manuel Valls est prêt à participer à cette majorité présidentielle et à quitter le PS, il le pourra », indique le 2 mai Emmanuel Macron.
Deux jours après la victoire de Macron, Valls tente un passage en force. Invité sur RTL mardi 9 mai, il décide « dans l’intérêt de la France » de se présenter aux législatives sous l’étiquette de La République En Marche, le nouveau nom du parti d’Emmanuel Macron.
Persona non grata
Au même moment, sur une radio concurrente, le porte-parole d’En Marche, Benjamin Griveaux, le recadre. Manuel Valls « n’a pas été investi par la commission nationale d’investiture ou alors sa candidature m’a échappé. La bannière sous laquelle les candidats aux élections législatives En Marche ! iront s’appelle La République en marche. Il aurait dû déposer sa candidature comme chacun (…) Cela veut dire que si vous ne déposez pas votre candidature, vous ne pouvez pas être investi par En Marche ! ».
Puis conclut : « Il lui reste 24 heures ! La procédure est la même pour tout le monde, ancien Premier ministre compris ». Bref, chez En Marche ! il n’y a pas de passe-droit.
Exclusion du PS
Finalement l’état-major d’En Marche ! annonce l’examen de la candidature de l’ex-Premier ministre… avant de la rejeter quelques heures plus tard. « À ce jour, il n’est pas dans les critères d’acceptation de sa demande d’investiture et donc (…) la commission nationale d’investiture que je préside ne peut pas analyser la candidature de M. Valls », détaille, ce mercredi 10 mai, Jean-Paul Delevoye, le président de cette commission sur Europe 1. Pour l’ex Premier ministre, c’est une humiliation.
Dans le même temps, le PS a indiqué qu’une procédure d’exclusion contre l’ancien ministre était en cours. « Manuel Valls est déféré devant la commission des conflits », a déclaré le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, au micro de Beur FM.