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Marchés publics : au-delà de la corruption, la dépendance de l’Algérie

Marchés publics : au-delà de la corruption, la dépendance de l’Algérie

Les marchés publics constituent la voie royale pour la grande corruption en Algérie. La sentence est d’un procureur de la République, celui du tribunal de Sidi M’hamed, principale juridiction de la capitale.

Le fléau a saigné le pays pendant les années fastes de la commande publique. Dans une conjoncture de pétrole très cher (jusqu’à plus de 140 dollars le baril en 2008), l’Etat ne comptait pas ses sous, mais pas seulement.

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Tout était fait, y compris parfois les lois, pour qu’une partie des fonds débloqués pour améliorer l’infrastructure de base du pays finisse dans un réceptacle précis, celui des hommes d’affaires réputés proches du pouvoir de l’époque.

Plusieurs de ces hommes d’affaires véreux sont aujourd’hui en prison et leurs entreprises et biens saisis. D’anciens hauts responsables ont été également lourdement condamnés, dont deux ex-Premiers ministres.

Les chiffres révélés lors des nombreux méga procès anti-corruption qui ont commencé en décembre 2019 sont ahurissants et les Algériens ont été choqués de découvrir l’ampleur de la déliquescence qui a atteint les services de l’Etat.

Les faits jugés portaient principalement sur le non-respect des dispositions du Code des marchés publics dans la conclusion des transactions et l’obtention de gros prêts bancaires, en partie non remboursés. C’était en effet de la grande corruption.

Mais aussi colossaux soient les montants et marchés obtenus légalement ou indument par les Haddad, Kouninef et autres, les projets que leurs entreprises ont réalisés ne constitue qu’une partie de la commande publique pendant ces deux dernières décennies.

Le gros des marchés -du moins les plus importants- a été raflé par des entreprises étrangères, qui ont même contribué en consortiums dans certains grands projets obtenus par des entreprises algériennes. Et c’est sans doute là que se situe la saignée la plus grave causée à l’économie nationale. En plus de la corruption et de la surfacturation, les entreprises algériennes les plus sérieuses se sont retrouvées laminées par le recours excessif aux sociétés étrangères.

Le transfert de savoir-faire n’a pas eu lieu

Dans les derniers grands procès anti-corruption, les grands groupes étrangers présents en Algérie n’ont pas été cités, en attendant peut-être l’ouverture du dossier de l’autoroute Est-Ouest.

Mais on a parlé par le passé de pots-de-vin énormes versés par des étrangers pour obtenir des marchés en Algérie. Dans l’affaire Saipem-Sonatrach, la justice italienne a soupçonné la filiale du groupe ENI d’avoir versé près de 200 millions d’euros de pots-de-vin à de hauts responsables algériens pour l’obtention de marchés dans le secteur des hydrocarbures.

Dans cette affaire précise, il a été dévoilé cette particularité incroyable du marché algérien : les pots-de-vin versés sont payés par l’Etat dans la facture finale, gonflée bien entendu.

Mais les dégâts les plus graves de la gestion de ces vingt dernières années se situent ailleurs et l’Algérie pourrait continuer à en faire les frais pendant longtemps.

Le recours à l’expertise étrangère est censé permettre à tout pays de faire d’une pierre deux coups : pallier le manque de maîtrise des entreprises locales et permettre un transfert de technologie et de savoir-faire pour justement mettre fin à cette dépendance.

C’est dans cette optique qu’une clause a été introduite dans le Code des marchés publics, donnant une préférence nationale 25 % aux entreprises algériennes, ce qui obligeait ou incitait les entreprises étrangères à s’associer en consortium avec des nationaux pour la réalisation de projets importants. Certains soupçonnent aujourd’hui la disposition d’avoir servi au transfert de devises par les hommes d’affaires algériens.

En tout cas, l’objectif déclaré n’a jamais été atteint. La dépendance envers l’étranger pour la réalisation de grands projets dans les travaux publics, l’hydraulique et même le bâtiment est toujours là.

Pendant près de deux décennies, les entreprises étrangères ont presque tout pris en charge et ce sont les Chinois qui ont raflé le gros de la commande publique.

Une dépendance grave vis-à-vis de l’étranger

Une seule entreprise du géant asiatique, la CSCEC, a réalisé plus d’une dizaine de projets d’importance dans divers secteurs : aérogare de l’aéroport d’Alger, Grande mosquée d’Alger, une ville universitaire à Constantine, l’autoroute Bousmaïl-Tipaza, Sheraton club d’Alger, Hôtel Mariott de Tlemcen, 43 000 logements AADL… La seule mosquée d’Alger a coûté 1.5 milliard de dollars.

Cette période faste aurait pu constituer une opportunité pour l’entreprise algérienne pour passer à un autre niveau : acquérir un savoir-faire qui lui permettra de prendre en charge les besoins du pays en infrastructures et même conquérir les marchés internationaux.

Or, on ne peut pas dire aujourd’hui que les Chinois, les Turcs et tous les étrangers qui ont réalisé des projets d’infrastructures en Algérie se sont souciés de transférer la maîtrise à la main d’œuvre locale et aux entreprises algériennes. On a fait venir de Chine, de Turquie et d’ailleurs des ingénieurs, des techniciens et parfois même de simples ouvriers.

Au début des années 2000, quand les entreprises asiatiques commençaient à s’installer en Algérie, elles faisaient profil bas. Leur technique : casser les prix, obtenir des marchés et ensuite faire signer des avenants aux contrats.

Le comble, c’est que cette technique qui a été la source de la corruption dans les marchés publics en Algérie, selon le procureur de Sidi M’hamed, est la même qui a été utilisée pour atteindre un objectif plus stratégique : casser l’outil algérien de production, s’emparer du marché algérien et rendre l’Algérie dépendante aux entreprises étrangères pour réaliser ses projets dans le BTP. Autrement dit : s’assurer d’une présence à long terme sur le marché algérien.

C’est donc tout l’effet contraire qui s’est produit pour les entreprises algériennes de réalisation, incapables aujourd’hui pour certaines de prendre en charge même la construction de logements.

Ce qui est inacceptable. Il y a quelques semaines, la divulgation de la présence de techniciens et travailleurs indiens dans le secteur du BTP a suscité un tollé dans un pays qui a formé des contingents d’ingénieurs depuis l’indépendance.

La dépendance est telle qu’aujourd’hui, même les petits promoteurs immobiliers font appel aux services des Chinois, Turcs et autres qui, soit dit en passant, n’ont plus de raison de brader les prix comme ils le faisaient au début de leur présence en Algérie.

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