Au Maroc, la nomination par le nouveau président américain Donald Trump de Marco Rubio, est accueilli avec enthousiasme par les médias proches du Palais royal, en raison de l’historique du successeur d’Antony Blinken avec l’Algérie et sa proximité avec le lobby marocain, mais cela aura-t-il vraiment un impact sur les relations algéro-américaines et d’une façon générale sur la politique étrangère de Washington dans la région du Maghreb ?
Le retour au pouvoir à Washington de Donald Trump est perçu comme une mauvaise nouvelle pour les deux dossiers prioritaires de la diplomatie algérienne, ceux de la Palestine et du Sahara occidental.
La nomination de Marco Rubio comme secrétaire d’État dans le futur cabinet renforce les appréhensions quant à ce que sera la politique américaine vis-à-vis de ces deux questions. Cette nomination devrait toutefois être sans impact majeur pour la relation avec l’Algérie, acteur régional de premier ordre et partenaire économique important des États-Unis.
« Le conflit au Sahara occidental n’est pas une priorité pour les États-Unis »
« Il est très peu probable que la nouvelle administration américaine change quoi que ce soit à sa diplomatie dans la région du Maghreb », estime un spécialiste algérien des relations internationales.
Les États-Unis ont en effet des dossiers beaucoup plus lourds à gérer : les tensions avec la Chine, la guerre en Ukraine et la situation au Moyen-Orient avec la guerre à Gaza et au Liban. « Des dossiers qui concernent directement les intérêts américains. Les priorités de Trump sont la Chine, l’Ukraine et le Moyen-Orient où il fera tout pour préserver les intérêts américains », complète notre source.
Lors de son premier mandat, Donald Trump avait franchi des pas très symboliques aussi bien dans le dossier palestinien que celui du Sahara occidental qui reste toutefois un conflit de basse intensité qui ne menace pas les intérêts américains dans la région.
Il a transféré l’ambassade des États-Unis unis à Jérusalem et reconnu la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental, en contrepartie de la normalisation des relations du Maroc avec Israël en décembre 2020, dans le cadre des accords d’Abraham.
Parmi les architectes de ces accords, se trouvait Marco Rubio, aux côtés de Jared Kushner, le gendre de Donald Trump, rappelle avec beaucoup d’enthousiasme la presse marocaine. Même si, écrit le site Yabiladi, « sa contribution n’a pas bénéficié de la couverture médiatique qu’elle mérite ».
Depuis l’annonce par Trump de sa décision de nommer le sénateur de Floride au département d’Etat, les médias marocains rivalisent de qualificatifs pour mettre en exergue les liens de Marco Rubio avec le royaume.
Yabiladi rappelle que Rubio a saisi le président Joe Biden dès son entrée en fonction en 2021 pour lui demander de maintenir la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental.
Au Maroc, on met encore plus l’accent sur la lettre de Marco Rubio à Antony Blinken, en septembre 2022, réclamant d’actionner une loi de 2017 à l’égard des « alliés de la Russie ».
La loi évoquée est le Countering América’s adversaries trough sanctions act (loi sur la lutte contre les adversaires de l’Amérique par les sanction). « L’Algérie fait également partie des quatre principaux acheteurs d’armes russes dans le monde, culminant avec un accord d’armement de 7 milliards de dollars en 2021 », avait écrit Marco Rubio, en sa qualité de vice-président de la commission du renseignement du Sénat.
L’Algérie, un acteur régional important et difficile à ignorer pour les États-Unis
Six mois après le déclenchement de la guerre en Ukraine, le sénateur avait exhorté le secrétaire d’État de « prendre au sérieux la menace » russe et à « désigner de manière appropriée les parties dont l’achat important de matériel russe permet les actions déstabilisatrices de la Russie ». Mais il n’a pas été suivi.
Simultanément, le passé de Rubio avait resurgi, dévoilant des activités rémunérées pour le compte du Maroc. Autrement dit, le sénateur de Floride a fait du lobbying au profit du royaume.
Avec Ted Cruz, également sénateur, Rubio a travaillé pour le gouvernement marocain à travers la société JPC Stratégies. Des documents de cette société avaient attesté que les deux hommes ont perçu au moins 445 000 dollars du Maroc moyennant leurs actions de lobbying.
Les observateurs avaient noté que la lettre de Rubio à Blinken en septembre 2022 survenait six mois après un appel d’un groupe de parlementaires américains, en mars de la même année, appelant le président Biden à suspendre les livraisons d’armes au Maroc.
« Nous vous écrivons pour exprimer notre préoccupation concernant la politique actuelle des Etats-Unis à l’égard du Maroc et les revendications du Royaume sur le Sahara Occidental », avaient-ils écrit.
Malgré ces faits avérés, les médias et analystes marocains vont un peu vite en besogne en prêtant déjà à Marco Rubio l’intention et la capacité « d’insuffler une nouvelle dynamique à la diplomatie américaine dans la région du Maghreb », et d’effectuer « un virage notable de la diplomatie américaine, notamment en ce qui concerne les relations avec les nations nord-africaines », comme l’écrit le site Hespress.
« Il ne faut pas accorder plus d’importance qu’il n’en faut aux anciennes déclarations du nouveau secrétaire d’État. D’abord, il était dans l’opposition et il l’a fait aussi contre son gouvernement. Ensuite, sa lettre de septembre 2022, a faite à la demande d’un groupe de pression en rapport avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine », analyse le même spécialiste.
Il rappelle qu’u début de ce conflit, les États-Unis avaient cherché à « étouffer la Russie. À ce titre, ils considéraient l’achat d’armements comme une mesure anti-embargo qu’ils ont décrété contre la Russie, donc contre leur politique ». Toutefois, cette « réflexion est dépassée », selon lui.
« L’Occident achète une partie de son pétrole et de son gaz à la Russie. Les États-Unis devraient entrer dans une nouvelle phase de normalisation avec la Russie s’ils veulent être acceptés comme médiateur. Pour la première fois depuis deux ans, le chancelier allemand Olaf Scholz a appelé le président russe Vladimir Poutine samedi pour discuter de l’Ukraine. C’est sans doute le début de la fin de la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient », ajoute-t-il.
« Le Maroc n’a rien à offrir aux États-Unis… »
Pour les États-Unis, le conflit au Sahara occidental « n’est pas une priorité », poursuit le même spécialiste. « C’est un conflit de basse intensité qui n’affecte pas leur sécurité, ajoute-t-il. Au Moyen-Orient, la priorité des États-Unis reste l’Arabie saoudite, le Maroc n’a rien à leur offrir ».
La diplomatie de la première puissance mondiale ne peut être réduite à la volonté d’un seul homme, fut-il le secrétaire d’État. Elle sera d’abord du ressort du président Donald Trump qui, malgré ses positions connues sur les dossiers du Sahara occidental et du Moyen-Orient, se revendique comme un politique pragmatique qui défend avant tout les intérêts de son pays.
Il ne saurait s’aliéner un partenaire économique et sécuritaire de premier ordre comme l’Algérie où les groupes américains sont fortement présents dans l’exploitation des hydrocarbures.
En juillet dernier, l’ambassadrice des États-Unis en Algérie, Elisabeth Moore Aubin, a révélé que les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint 4 milliards de dollars, alors que les États-Unis sont le premier investisseur étranger en Algérie avec des projets totalisant 6 milliards de dollars.