“Plutôt la mort que la soumission”: empêchés de manifester dans une ville sous haute sécurité, les habitants de Jerada ont bravé par milliers l’interdit des autorités pour demander une “alternative économique” et la libération de militants récemment arrêtés.
Un agrégat de constructions cubiques sans âme, dispersées dans un paysage rocailleux, accueille le visiteur à Jerada, ancienne ville minière sinistrée du nord-est du Maroc. Une poussière noire enveloppe l’imposant terril qui domine la ville, à quelques encablures d’une centrale thermo-électrique qui crache à longueur de journée sa fumée noire.
Les rues sont dépeuplées, les commerces fermés et plusieurs dizaines de véhicules des forces de l’ordre, de la sûreté nationale, des forces auxiliaires et de l’armée sillonnent la ville.
Commune déshéritée d’un Maroc longtemps qualifié d'”inutile”, Jerada est agitée par un mouvement de protestation né en décembre après la mort de deux mineurs dans un puits clandestin d’extraction de charbon.
Un plan d’action économique proposé par les autorités avait permis une accalmie mais le mouvement a été relancé le weekend dernier, après une série d’arrestations.
– ‘Agitateurs’ –
Pour calmer ceux que les autorités considèrent comme des “agitateurs”, toute “manifestation illégale” a été interdite en début de semaine. Mercredi, des heurts ont opposé forces de l’ordre et manifestants, faisant des blessés et des dégâts matériels.
Vendredi, alors que le centre-ville est bouclé, un petit groupe de manifestants se retrouve dans le quartier “Manar”, où vivent les principaux meneurs du mouvement. Des hommes et des femmes de tous âges, parfois accompagnés d’enfants, les rejoignent après avoir réussi à contourner les barrages.
Bientôt, ils sont plusieurs milliers à marcher en direction de la préfecture, avec des nuées de drapeaux marocains rouge et vert qui détonnent dans la grisaille. Certains entonnent l’hymne national.
“On est patriotes, nous réclamons seulement les droits les plus élémentaires”, lâche un manifestant.
“Ici les gens n’ont rien à perdre, ils sont très pauvres et beaucoup d’entre eux risquent déjà leur vie dans les puits de la mort”, lance Hassan, emmitouflé dans une djellaba marron pour se protéger du froid, bonnet sur la tête.
“Notre mouvement restera pacifique”, dit-il, alors que la foule réclame une “alternative économique” aux puits clandestins et la “libération des détenus”, au nombre de 14 à ce jour.
“ll y a de gros problèmes dans cette région, c’était un devoir de venir”, souligne le député Omar Balafrej, élu à Rabat, la capitale, sous les couleurs de la Fédération de la gauche démocratique (FGD), rencontré à Jerada avant la marche.
– ‘C’est Germinal’ –
“J’ai vu cette ville, j’ai vu les puits. On se croirait au XIXe siècle, c’est Germinal”, dit-il en référence au roman d’Emile Zola sur la misère des mineurs français. “Il y a autant de forces de l’ordre que d’habitants, alors qu’on a des manifestations pacifiques”.
“Pacifique”, s’époumonent les protestataires. Bloqués par les forces de l’ordre, ils changent d’itinéraire et malgré des face-à-face tendus, la marche se termine sans incident.
Avant la fermeture à la fin des années 1990 de la mine, jugée non rentable, l’activité minière à Jerada employait quelque 9.000 ouvriers et constituait alors la principale source économique.
Depuis la fermeture des puits, les jeunes continuent de s’y aventurer pour extraire du charbon à la main et le vendre à des négociants locaux, dotés de permis de commercialisation et surnommés localement les “barons”.
“On sait qu’il y a des barons qui on profité de la situation, qui ont des rentes, qui profitent de la misère des gens (…) Il faut leur demander de rendre des comptes”, estime le député Omar Balafrej.
Jerada est aujourd’hui l’une des communes les plus pauvres du Maroc, selon des données du Haut-Commissariat au Plan (HCP), l’organisme des statistiques marocain.
“Les habitants vivaient des mines, des transferts d’argent des Marocains de la diaspora, et de la contrebande à la frontière avec l’Algérie. Les mines ont fermé, les envois ont diminué et le contrôle a été renforcé à la frontière”, souligne Yahya, 32 ans, au chômage malgré “trois diplômes de technicien”.