Depuis quelques années, le Maroc se trouve être dans une impasse. L’autoritarisme du pouvoir a fini par converger avec la piteuse situation sociale. Première victime : une jeunesse de plus en plus lassée et qui ne voit plus aucun avenir pour le pays
La tension est là, on peut la sentir. Partout où vous allez, la même envie : quitter le Maroc tant qu’il est encore temps. Ceux de la classe supérieure en sont à réfléchir comment déménager leur patrimoine, leurs enfants déjà à l’étranger pour leurs études qu’ils ponctueront d’un CDI leur conférant stabilité et exil volontaire. La classe moyenne, elle, en est à voir s’il y a moyen pour que ses enfants puissent vivre ailleurs, quitte à s’endetter pour les envoyer à l’étranger. Quant à la classe défavorisée, elle en est à braver les mers et l’océan pour un ailleurs trop souvent fantasmé. Donnant un effet grandissant à un phénomène connu au Maroc, les réseaux sociaux ont fait de l’immigration le sujet de tous les Marocains. Certains regrettent qu’autant de jeunes y pensent tout en songeant eux-mêmes au moyen d’en découdre avec leur quotidien marocain. « De toutes les façons, il ne devrait pas y avoir pire ailleurs », semble être le crédo de l’ambition collective de toute une jeunesse, unie par le seul et unique désir : Aller voir ailleurs.
Face à cette ambiance délétère, les grands mots sont de sortie de la part du Palais. Jeunesse accusée de nihilisme, jeunesse à qui on brande la carte du service militaire ou encore jeunesse à qui on finit par faire miroiter la formation professionnelle comme solution à ses maux et à son chômage. Autant d’idées sorties tour à tour durant les discours royaux et qui tendent à se positionner comme solutions à toute une partie de la population lassée de la condition sociale du pays.
A l’origine de cet immobilisme, tout d’abord le laisser-aller institutionnel. Une conséquence directe d’un autoritarisme personnifié par le roi. Dans ce contexte, les institutions ne valent plus rien et se trouvent être paralysés. Un simple retard de nomination ou d’inauguration entrave tout bon fonctionnement. Le Parlement en est également l’exemple traditionnel, dénué de réels pouvoirs d’action, il se trouve finalement être phagocyté par des parlementaires au fait de la dure réalité politique, ne prenant plus la peine d’agir et qui finissent par percevoir leurs indemnités comme une rente.
L’immobilisme de la scène politique se ressent également chez les partis politiques. Décrédibilisés un par un, tenus par des chefs politiques dénués de charisme et moqués par les internautes, ceux-ci se retrouvent à gesticuler actuellement pour tenter d’ébaucher une proposition de modèle de développement qu’ils soumettront au cabinet royal. Rencontres, réunions et colloques internationaux sont organisés pour essayer d’aboutir à une feuille de route du développement du pays. Le tout dans une mise en scène médiatique, ponctuée de déclarations froides en langue de bois. Les formations politiques en sont à faire bonne figure, donnant l’impression de travailler sur un quelque chose sujet à interrogations : quel modèle de développement nous avions précédemment ? Qui l’a élaboré ? Qui en est responsable ? Qui décidera du prochain modèle et qui en sera responsable ? Et que devra changer le modèle de développement, alors même que les « grands chantiers » sont déjà entamés ?
Pourtant, en filigrane, on peut déceler que tout ce beau monde politique est au fait de ce qu’il en sera réellement : leurs propositions concernant le modèle de développement n’auront bien évidemment pas droit de cité dans le programme qui sera finalement élaboré par le cabinet royal lui-même. Celui-ci, comme à son habitude, finira par concocter en catimini ses propres plans pour finalement les annoncer en grande pompe.
Comme pour nous rappeler l’essentiel, l’ADN même du pouvoir : le pouvoir, les décisions, les bonnes nouvelles et les changements, c’est le roi. Et personne d’autre, vu qu’il n’y a que lui qui est pérenne dans ce pays.
Au point que cette suprématie du système monarchique a fini par inculquer au citoyen que seule la personne du roi pouvait résoudre les problèmes du pays. Une arme à double tranchant qui est rapidement devenue un moyen de contestation. En 2016 et 2017, durant les contestations du mouvement du Hirak au Rif, les principaux acteurs ne souhaitaient négocier qu’avec le réel détenteur du pouvoir : le cabinet royal représentant le roi. Exit les différentes délégations gouvernementales, tantôt dirigées par le chef du gouvernement tantôt par le ministre de l’Intérieur. S’il y a un changement au nord du Maroc, selon les acteurs, il ne pourrait venir que du monarque lui-même. Pour cet affront, les principales figures du mouvement finiront par être condamnées à des peines de prison ferme allant de 2 à 20 ans. Certains seront graciés, mais les plus récalcitrants et en vue, continueront à purger leur peine, refusant toujours toute grâce royale et faisant appel.
Autre mouvement, celui des bidonvillois de Ain Sebaâ, au nord de la capitale économique Casablanca. Ses habitants forcés de quitter leurs habitations depuis septembre ont décidé de contester les décisions en organisant marches et sit-in. Première cible : le roi en personne à qui on demande de venir sur place pour résoudre le problème. Le ton n’est plus le même, il est question d’un ordre des habitants, accompagnés de piques à l’adresse du monarque, pointant du doigt son absence du territoire.
En marge de tout cet immobilisme, le constat, amer, est dans la bouche de tous : thuriféraires du régime comme serviteurs, chacun en est à se demander ce qui se passe au sommet du pays. La vie personnelle du monarque semble s’étaler par clichés sur les réseaux sociaux habituellement savamment maitrisés par sa communication, où on voit le roi tantôt en compagnie d’une petite cour d’artistes, de sportifs et de people, tantôt prendre l’avion pour des vacances soudaines sans que sa compagnie ne soit dévoilée. L’absence du monarque est devenue une habitude au point que les médias de la place en sont à prendre comme information en soi, le retour du roi au Maroc, annoncé à chaque fois comme une nouvelle exclusive signe de futurs changements au niveau politique et économique au Maroc.
Les vacances du roi interrogent à deux niveaux. À un moment où les contestations locales se multiplient au Maroc, avec pour premier soucis la condition sociale et l’exclusion de régions entières du Maroc, l’absence du roi est mal vue. Celle-ci pourrait être perçue comme contradictoire par rapport aux déclarations du monarque lui-même qui appelle les partis politiques à une présence assidue au sein de l’Hémicycle.
Le deuxième niveau se caractérise par l’indécence d’un affichage qui n’échappe aux yeux de personne. Les différents déplacements sont questionnés quant à leur nécessité, les petits détails à l’image des montres portés par le roi sont scrutés, leur prix révélé immédiatement sur les réseaux sociaux pour finalement être repris durant des petits sit-in locaux, comme celui de Ain Sebâa.
Les Marocains, les internautes en premier, ne sont plus dupes. Dans un pays où l’accès à l’internet bat des records, les moindres faits et gestes sont scrutés, la compagnie du monarque disséquée et parfois moquée, et enfin la critique virulente est devenue de coutume dans les interfaces des commentaires des différentes pages Facebook et sites d’informations.
Autant d’indications qui ont de quoi inquiéter le pouvoir. La contestation de plus en plus présente au sein du royaume ne trouve pas voix au sein des partis politiques se démenant pour canaliser toute cette énergie mais n’y arrivant pas. Les alternatifs à un changement ne sont pour l’heure qu’embryonnaires, en raison du manque de consistance des différentes oppositions au système. L’avenir du pays semble de plus en plus péricliter, vers un inconnu.
Pour mieux illustrer notre propos, une comparaison entre fiction et réalité pourrait être de mise. Dans une courte série américaine, Ascension, plusieurs personnages vivent enfermés dans un vaisseau générationnel dont le voyage doit durer 100 ans. Une trop longue période qui finit par exaspérer l’équipage, surtout les plus jeunes.
Arrivés à la moitié du voyage, ceux-ci, lassés, commencent à se rebeller et n’hésitent pas à taguer un peu partout dans le vaisseau un message fort en sens, signe le plus patent de leur pessimisme : « No Future ». Contrairement à ce que leur affirment les autorités, plus le temps passe, plus ils en sont à penser qu’il n’y a plus aucun avenir à bord.
La comparaison entre cette série et la réalité marocaine est très tentante. Le discours continue à nous rassurer quant à un avenir de plus en plus improbable. On nous fait miroiter une destination pour nous tous. Alors que dans les faits, et même au sommet de l’Etat, la destination est ailleurs. Mais pour ceux restés sans destination, il n’y aura alors que le pays du « No Future ».
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