Pour la première visite du nouveau président français à Rabat, l’Elysée a déroulé un storytelling faisant croire qu’il découvrait le royaume et son roi. Si Macron n’avait certes jamais rencontré Mohammed VI en personne, il a été le négociateur personnel du rachat par le groupe Avril, de Lesieur Cristal, filiale de la SNI. Un deal à la croisée du monde feutré des affaires et du lobbying du Maroc sur les bords de Seine.
Le président français n’était pas tout à fait étranger des arcanes du Palais lorsqu’il a gravi les marches de marbre blanc du Méchouar à l’invitation du roi Mohammed VI pour sa première visite « d’amitié et de travail » au Maroc.
L’hebdomadaire Le Point (que cite Economie & Entreprises), rapporte en effet que Macron, lorsqu’il était banquier-associé chez Rothschild a négocié en personne l’entrée en 2012 du géant hexagonal de l’agro-industrie Sofiprotéol dans le capital du spécialiste de l’huile de table Lesieur-Cristal, alors filiale de la holding royale SNI.
Macron avait été mandaté par Philippe Tillous-Borde, fondateur et directeur général du groupe en raison de la particularité de cette transaction à la croisée des affaires et de la haute politique. Le choix s’est porté sur lui, parce-que la sensibilité du deal dans les relations franco-marocaines nécessitait un homme doté d’un sens de la subtilité aiguisé.
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SOUS LES LAMBRIS DU POUVOIR DE LA HAUTE FINANCE
Tillous-Borde et Macron se sont liés d’amitié dès 2007. Les deux hommes ayant fait partie des travaux de la commission Attali dont le futur président de la république française fut le rapporteur. Un passé au sous les lambris du « pouvoir de la finance et des banques » que ses adversaires politiques ont souligné durant la campagne tonitruante d’En Marche ! vers l’Elysée. Attali fut l’une des personnalités du « monde ancien » que le prétendant au mandat suprême de la France avait invité dans l’entre-deux-tours de la présidentielle à La Rotonde…
« Emmanuel a compris qu’il s’agissait d’un dossier à part, à la fois technique et très politique, intimement lié au développement de l’agriculture au Maroc », témoigne aujourd’hui Tillous-Borde.
La discrétion a donc été de mise pour le jeune banquier d’affaires qui s’est déplacé à l’usine de raffinage des oléagineux de Aïn Harrouda afin de cerner les atouts de l’outil industriel qui devait changer de main.
Le rachat sera parachevé en 2012 lorsque Sofiprotéol, rebaptisé depuis Groupe Avril, acquerra 41 % du capital de Lesieur Cristal pour 115 millions d’euros, garantissant à Emmanuel Macron une coquette commission pour sa banque d’affaires.
Mais ce que ne dit pas en revanche Le Point, c’est un autre aspect de ce puzzle dans lequel Macron a été une pièce maitresse, où les liens politiques et les affaires sont davantage entremêlées.
DANS L’OMBRE DE BEULIN, LOBBYISTE ZÉLÉ DU ROYAUME
Si Philippe Tillous-Borde était le directeur général d’Avril, c’est un autre redoutable businessman, brutalement décédé depuis, qui présidait aux destinées du groupe mastodonte de plus de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires qui règne avec ses 9 000 salariés sur une constellation de plus de 150 entreprises disséminées dans une vingtaine de pays : Xavier Beullin, ex-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles de France (FNSEA), le puissant syndicat agricole français, qui avait l’oreille du Président Hollande. Et pour cause, en plus d’être l’homme fort de l’agro-industrie tricolore, c’était en bon cumulard décomplexé qui, de Bruxelles au port céréalier de la Rochelle, en passant par le Conseil économique et social du Centre, la Copa-Cogeca ou le Crédit agricole qu’il avait acquis une stature d’homme incontournable du Tout-Paris.
Avril détient aussi un fonds d’investissement conséquent. Et c’est à travers lui qu’il a pu débarrasser Mohammed VI du poids de Lesieur-Cristal, entreprise phare, mais poussive, longtemps soutenue par une situation de quasi-monopole. Sa vente a été l’une des étapes de la reconfiguration des affaires royales, se délestant des industries vétustes pour se redéployer dans des secteurs plus rentables et porteurs (finance, énergies renouvelables etc.)
Invité régulier au Salon de l’agriculture de Méknès, Beulin s’est lié avec toutes les grosses légumes du royaume, de Aziz Akhannouch, dont il a si souvent vanté le Plan Maroc Vert, à Moulay Hafid Elalamy, Driss Benhima, Mohamed El Kettani d’Attijariwafa bank et bien d’autres patrons du cosy capitalism marocain.
« L’entrisme de Beulin à l’Elysée tient lieu d’une stratégie bien…huilée : Hollande a parrainé la refondation du groupe Avril, et le pragmatique ministre de l’économie, Emmanuel Macron, capable de citer Mao pour défendre un libéralisme échevelé, le conseille habilement depuis qu’il était banquier. Ce qui n’a pas échappé à Rabat, qui, avec une Gauche insaisissable au pouvoir en France, ne ménage aucun effort pour renouveler ses courroies de transmission », écrivait Le Desk en brossant son portraiten février 2016.
Un sillon qu’il a creusé habilement en devenant un des plus zélés lobbyistes du Maroc sur les bords de Seine, car Beulin n’était pas seulement un affairiste, mais un ambitieux homme de pouvoir : Il s’était emparé de la direction de l’IPEMED (Institut de prospective économique du monde méditerranéen), un think tank fondé par Jean-Louis Guigou, mari de l’ex-ministre socialiste Elisabeth Guigou, native de Marrakech, qui ne manque aucune occasion de jouer des coudes pour défendre les intérêts du royaume chérifien, comme cela fut le cas lors de la brouille entre Paris ou Rabat intercédant sous la coupole de l’Hémicycle pour que l’accord judiciaire entre les deux pays soit amendé en faveur du Maroc.
Le défunt patron d’Avril avait aussi été de tous les combats aux côtés du Maroc pour ferrailler contre les députés européens acquis au Polisario dans les dossiers difficiles des accords agricole et de pêche liant le royaume à l’Union européenne.
Macron était donc dans l’ombre de son parrain, au cœur d’un des dossiers les plus intimes du business royal. Ce n’est donc pas en territoire totalement inconnu qu’il est « venu faire connaissance avec le roi Mohammed VI », comme a insisté à dire l’Elysée dans un storytelling inventant au plus jeune président que la France ait connue, une fausse virginité marocaine.
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