Le souverain marocain a adressé, lundi soir, un discours d’aveu et de volonté de relance à l’occasion du vingtième anniversaire de son accession au trône. Il y a reconnu, encore une fois, que le modèle de développement jusqu’ici suivi est en partie un échec, notamment sur le plan social et des inégalités entre Marocains. Mohammed VI a ordonné la mise en place d’une nouvelle commission d’experts, alors que le gouverneur de la banque centrale venait de lui présenter un rapport sombre sur l’état de la nation.
« Nous sommes plus déterminés à maintenir le cap, en capitalisant les acquis obtenus, en parachevant la dynamique de réformes en cours, en corrigeant les dysfonctionnements observés sur le terrain ». Par cette phrase prononcé lors de son discours célébrant ses vingt ans de règne, Mohammed VI reconnaît que le modèle de développement dans lequel le Maroc s’est inscrit depuis deux décennies n’a pas porté les fruits escomptés.
« Nous savons que les infrastructures et les réformes institutionnelles, si importantes soient-elles, ne sont pas suffisantes. Le devoir de clarté et d’objectivité impose de nuancer ce bilan positif dans la mesure où les progrès et les réalisations, d’ores et déjà accomplis, n’ont malheureusement pas encore eu des répercussions suffisantes sur l’ensemble de la société marocaine », a ajouté le souverain.
Il cite ainsi les grandes insuffisances de ce bilan, notamment concernant les « services sociaux de base, la réduction des inégalités sociales, le renforcement de la classe moyenne », malgré les efforts consentis dans « les programmes de développement humain (…) la promotion des politiques sociales pour parvenir in fine à la satisfaction des attentes pressantes des Marocains ».
« Les dernières années ont révélé l’incapacité de notre modèle de développement à satisfaire les besoins croissants d’une partie de nos citoyens, à réduire les inégalités sociales et les disparités spatiales », a souligné Mohammed VI, rappelant à ce titre avoir appelé « à sa réévaluation et à sa réactualisation ».
Il remet ainsi en cause « la pertinence de la création de commissions spéciales, car certains trouvent dans ce procédé le meilleur moyen d’enterrer des dossiers et de passer sous silence les problèmes qui s’y rattachent », a-t-il affirmé.
Malgré ce constat qui rejoint ceux émis par nombre d’instances officielles (HCP, CESE, Bank Al Maghrib…) et chiffré par ailleurs par les indicateurs de développement humain publiés par les organisme internationaux, le roi annonce la mise en place d’une « commission spéciale chargée du modèle de développement »qui sera installée à la rentrée…
Celle-ci, regroupera « différentes disciplines académiques et diverses sensibilités intellectuelles, en y faisant siéger des compétences nationales issues du public et du privé », poursuit le monarque, insistant sur le fait qu’elle « ne tiendra lieu ni de second gouvernement, ni d’institution officielle parallèle. Elle jouera le rôle d’organe consultatif investi d’une mission limitée dans le temps ».
Dans sa feuille de route, cette nouvelle commission se focalisera sur l’enseignement, la santé, l’agriculture, l’investissement et le système fiscal.
Sans pour autant marquer « une rupture », ce nouvel organe temporaire est appelé à établir « un constat exact de l’état des lieux, aussi douloureux et pénible puisse-t-il être », requiert le roi.
En parallèle, Mohammed VI a aussi instruit « le gouvernement à commencer la préparation d’une nouvelle génération de grands plans sectoriels ».
Cette initiative, a indiqué le roi, devra aboutir à recréer la « confiance entre les citoyens, confiance dans les institutions nationales qui les rassemblent, confiance et foi dans un avenir meilleur ».
Mohammed VI a aussi souligné la nécessité de « l’ouverture » de certains secteurs privés et publics à l’investissement international, suivant ainsi les recommandations des institutions internationales dont le FMI et la Banque mondiale. « Ceux qui s’opposent à l’ouverture de certains secteurs -sans vouloir dire lesquels- sous prétexte que cela induirait des pertes d’emplois, ne se soucient guère des Marocains et cherchent avant tout à préserver leurs propres intérêts », a-t-il fait remarquer.
Dans ce sens, le roi aspire à encourager davantage l’initiative privée, « en lançant de nouveaux programmes d’investissement productif et en créant de nouvelles opportunités d’emploi ». Le secteur institutionnel n’est pas en reste puisqu’il appelle à « renforcer l’efficacité des institutions et de faire évoluer les mentalités des responsables ».
« Le secteur public doit, sans tarder, opérer un triple sursaut en termes de simplification, d’efficacité et de moralisation », a-t-il requis.
Enfin, Mohammed VI ajoute « le défi de la justice sociale et spatiale pour parachever l’édification d’un Maroc, porteur d’espoir et d’égalité pour tous ».
Le roi, a pour ce faire, chargé le chef du gouvernement de lui soumettre « des propositions visant à renouveler et enrichir les postes de responsabilité, tant au sein du gouvernement que dans l’Administration, en les pourvoyant de profils de haut niveau, choisis selon les critères de compétence et de mérite ».
Plus tôt dans la journée, le souverain a reçu à Tétouan, Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al Maghrib, qui à l’occasion de sa présentation de son rapport annuel sur l’état de la nation a tiré la sonnette d’alarme sur « des difficultés persistantes que connaît le pays ces dernières années » en matière économique et sociale.
Celui-ci a souligné que « l’atonie des activités non agricoles depuis 2013 commence à devenir préoccupante. La progression de leur valeur ajoutée oscille autour de 2,3 % contre 4,6 % entre 2000 et 2012 et la croissance globale reste rythmée par l’alternance de bonnes et mauvaises campagnes agricoles, avec un taux annuel moyen limité à 3,3 %. »« Ainsi, si cette situation perdure, l’ambition de l’émergence serait difficile à concrétiser même sur un horizon lointain », a-t-il avertit.
Alors que « les perspectives restent incertaines », Jouahri a fait état de la « lenteur et les divergences entourant la déclinaison de la vision 2030 de l’éducation risquent de perpétuer les contre-performances, déjà alarmantes, de notre système d’éducation et de formation et condamner encore des générations de nos enfants et de nos jeunes à l’exclusion économique et sociale ».
Idem pour l’emploi, impacté par « la révolution digitale est en train de rehausser de manière radicale les exigences du marché du travail, rendant l’accès à l’emploi plus difficile pour des pans entiers de la main-d’œuvre peu préparée aux métiers de demain ». Par ailleurs, estime Jouahri, « l’attractivité exercée par les économies avancées sur les compétences des pays émergents et en développement » se traduit par « l’exode de cohortes de diplômés qui se voient offrir de meilleures conditions de travail ».
Pour Abdellatif Jouahri, cette atonie de la croissance et de l’emploi est la résultante du « manque d’investissement privé » et ce malgré de « nombreuses incitations accordées et un système financier largement développé par rapport aux économies de niveaux similaires. » « En dépit de tous les efforts déployés en faveur de notre système productif, force est de constater que son état aujourd’hui reste encore préoccupant », note le gouverneur de la banque centrale qui constate ainsi que le tissu économique est toujours aussi « fragmenté, fragile et affaibli par l’informel, les pratiques déloyales, la corruption et les délais de paiement. »