La journaliste de 28 ans, nièce d’une figure de la mouvance islamiste, a été arrêtée et poursuivie en justice pour « relations sexuelles hors mariage » et pour « avoir avorté ». Son affaire, orchestrée par la presse semi-officielle, est un nouvel épisode de l’utilisation symptomatique par les appareils de l’Etat de la vie privée dans de sombres règlements de compte politiques
Un nouveau scandale mettant en scène la presse, la mouvance islamiste, les interdits sociaux et les libertés individuelles, vient d’éclater dans un scénario devenu récurrent à l’instar des affaires similaires les plus récentes : les « amants du MUR », la députée Mae Al Ainine sans voile devant le Moulin Rouge, le ministre Yatim et sa « fiancée » en escapade à Paris etc…
Hajar Raissouni, journaliste chez Akhbar Al Yaoum a été arrêtée samedi et présentée devant un tribunal en état de détention provisoire au motif de « relations sexuelles hors mariage » et « avortement ».
L’information livrée par Chouf TV, média aux sources policières spécialisé dans le buzz, indique que l’accusée a été interpellée dans une clinique de Rabat avec son compagnon de nationalité soudanaise. Un gynécologue obstétricien, son assistante et un aide-soignant sont aussi poursuivis.
En réplique, l’avocat Saâd Sahli qui assure la défense de Raissouni s’est insurgé contre une arrestation « hollywoodienne » menée « à l’extérieur des locaux de la clinique par des policiers en civil ». Il conteste tout acte d’avortement, affirmant que sa cliente, mariée selon la coutume et qui parachevait sa procédure d’acte officiel, s’est rendue aux urgences de cet établissement pour se faire soigner suite à une hémorragie interne nécessitant un acte chirurgical réalisé par son médecin traitant.
Selon ses dires rapportés par Al Yaoum24, site internet d’Akhbar Al Yaoum, l’avocat qui n’a pu accéder au dossier d’accusation qu’après les 48 heures de garde à vue de sa cliente, affirme que celle-ci a été « stupéfaite par les chefs d’accusation » portés à son encontre.
L’avocat réfute aussi la version de l’affaire publiée par Barlamane.com, site semi-officiel de propagande, selon laquelle la journaliste a avorté sous un nom d’emprunt et que le réanimateur qui aurait assisté le gynécologue dans son acte aurait reçu une somme d’argent en contrepartie. Saâd Sahli se fonde aussi ses les déclarations de sa cliente consignés dans les procès-verbaux établis par la police ainsi que celles devant le juge. Il ajoute pour démentir Barlamane.com qu’aucun aveu n’a été fait par les cinq personnes poursuivies et qu’aucune preuve matérielle n’a été présentée par le ministère public pour inculper les accusés.
Al Yaoum24 a tout aussi réagi en défense de la journaliste en publiant « avec son autorisation », un bulletin de consultation établi à la demande de la police par le CHU Ibn Sina de Rabat le 31 août (soit pendant sa garde à vue) qui attesterait de « l’absence de curetage » et constaterait un « saignement qui pourrait être l’objet de la consultation chez le médecin ».
Le cas de Hajar Raissouni dépasse le simple fait divers. Les ingrédients d’une machination aux relents politiques sont manifestement réunis, tant dans les circonstances de son arrestation que par son pedigree qui la désigne comme cible potentielle. La jeune journaliste de 28 ans, connue pour son activisme notamment en faveur du Hirak rifain, est la figure montante d’un journal connu pour ses liens avec certains milieux islamistes, notamment en cheville avec l’aile réfractaire du Parti de la justice et du développement (PJD). Son fondateur, Taoufik Bouachrine a été lui-même condamné à 12 ans de prison dans une sombre affaire de mœurs, que certains estiment n’être que le prétexte d’un règlement de compte politique…
Hajar Raissouni, qui n’a pas d’appartenance politique affichée, est aussi la nièce d’Ahmed Raissouni, idéologue du Mouvement unicité et réforme (MUR), matrice du PJD, proche du Qatar et dirigeant de l’Union mondiale des oulémas musulmans connu pour ses critiques acerbes à l’endroit de la Commanderie des croyants, pilier de la légitimité de la royauté au Maroc. Fait à souligner, celui-ci s’est fait remarquer lors du débat sur l’avortement en 2015, s’opposant à tout allégement des conditions drastiques à sa légalisation…
Comme pour les affaires précédentes, celle de Raissouni, manifestement montée, est étalée en place publique pour démontrer l’incapacité des tenants de l’islam politique à se conformer à une vision claire de ce qu’ils entendent par « référentiel islamique ». Mais le plus préoccupant est que le procédé pour établir leurs contradictions et souligner l’indigence de leur projet d’ordre moral de façade est symptomatique des atteintes à la vie privée et aux libertés individuelles de la part des appareils de l’Etat à des fins de vengeances politiques.