Les tensions entre l’Algérie et le Maroc ont franchi une étape supplémentaire en cette date du 1er novembre hautement symbolique pour l’Algérie.
L’assassinat par l’armée marocaine de trois chauffeurs de camion algériens, en route pour la Mauritanie, est un acte d’une extrême gravité et dénoncé en tant que tel par la présidence de la République qui a promis en outre qu’il « ne restera pas impuni ».
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Nul ne sait jusqu’où ira l’escalade, mais quelle que sera la conséquence de cette énième provocation, le Maroc en endossera l’entière responsabilité pour avoir mené une politique belliqueuse envers son voisin pendant des décennies et particulièrement pendant les douze derniers mois.
C’est-à-dire depuis que le royaume a signé un accord triangulaire portant sur la normalisation de ses relations avec Israël et la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur les territoires sahraouis occupés.
Le soutien de principe de l’Algérie au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui est aussi vieux que le conflit et il n’y a rien de nouveau dans sa position ou dans les déclarations de ses dirigeants qui puisse expliquer le redoublement subit de l’agressivité marocaine, sinon son sentiment d’impunité depuis qu’il a franchi le pas de signer les accords d’Abraham.
Interviewé par TSA en juin dernier, le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, un connaisseur du dossier du Sahara occidental et des pays du Maghreb, trouvait que « depuis la décision de Donald Trump, le Maroc bombe le torse ».
On était alors en pleine crise entre le royaume et l’Espagne après l’audace du premier de lâcher sa bombe migratoire sur les enclaves de Ceuta et Melilla.
Quelques semaines auparavant, c’était à un géant de l’Union européenne, l’Allemagne, que le Maroc s’en était pris, lui reprochant ses positions dans le dossier du Sahara.
Avec l’Algérie, l’inimitié est chronique et elle est antérieure à l’annexion par le roi Hassan II des territoires sahraouis fraîchement libérés par l’Espagne, au milieu des années 1970.
Dans la déclaration de rupture des relations diplomatiques, lue le 24 août par le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, il a été rappelé les actes belliqueux du royaume envers son voisin de l’Est, dont le plus mémorable est la tentative de Hassan II, en 1963, d’annexer des territoires d’une Algérie qui sortait d’une guerre d’indépendance meurtrière et harassante.
L’ex-ministre de l’Intérieur et président de l’association des anciens du Malg (ministère de l’armement et des liaisons générales), ancêtre des services secrets algériens, Dahou Ould Kablia a dit que les « problèmes avec le Maroc ont commencé en 1957 », à cause des « ambitions territoriales du Makhzen ».
Bellicisme et impunité…
En juillet dernier, la revue de l’ANP, El Djeich, est remontée plus loin dans le temps pour rappeler les « trahisons marocaines », de la livraison de Jugurtha aux Romains il y a 2000 ans jusqu’au détournement de l’avion de cinq chefs du FLN en 1956.
Pour revenir à la crise actuelle, le bellicisme marocain s’est accru depuis la fin de l’année dernière et la signature des accords d’Abraham. La coïncidence est frappante. Il s’est d’abord exprimé par des campagnes de presse acharnées puis par des actes hostiles osés et assumés à partir de l’été.
À la mi-juillet, le représentant du Maroc à l’Onu appelle ouvertement à la partition du territoire algérien en soutenant ce qu’il considérait comme le droit à l’autodétermination du « vaillant peuple kabyle ».
C’est le casus belli qui mènera à la rupture des relations entre les deux pays. Dans la foulée, la presse mondiale révélait que l’Algérie, avec d’autres pays, était la cible d’une vaste opération d’espionnage marocaine, via le logiciel Pegasus, de la société israélienne NSO qui vient d’être classée par les États-Unis sur la liste noire des entreprises interdites parce qu’elles constituent une menace pour sa sécurité nationale.
De hauts dirigeants algériens ont été écoutés par les services marocains. Le 12 août, le ministre israélien des Affaires étrangères est venu menacer publiquement l’Algérie à partir de Rabat.
En septembre, des voix non officielles au Maroc ont accusé l’Algérie d’être derrière la mort de trois routiers marocains au Mali, dans une zone infestée de groupes armés et située à des centaines de kilomètres du territoire Algérien. Moins de deux mois après, autant de camionneurs algériens meurent sous le feu de l’armée marocaine. Plutôt que d’invoquer le hasard, il serait plus judicieux d’y voir une volonté d’escalade que nul ne sait où elle s’arrêtera.
Une agressivité dont la communauté internationale est aussi en partie responsable. Le Maroc n’aurait pas franchi autant d’étapes si les grandes puissances n’ont pas fermé les yeux devant son occupation illégale du Sahara occidental, ses exactions sur les Sahraouis, son entêtement à bloquer le processus de paix et, plus récemment, sur son implication dans le scandale Pegasus, parmi les victimes duquel se trouve le président français en personne.
Un autre pays que le Maroc aurait payé cher une telle audace. Une impunité qui n’est pas sans rappeler celle dont jouit depuis plus de 70 ans Israël, qui s’en est servi pour ne laisser debout pratiquement aucun de ses voisins.