Le puissant prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, est arrivé en toute discrétion dimanche pour une visite de trois jours en France, afin de vanter ses réformes et resserrer les liens avec Paris après des tensions liées aux crises régionales.
Le prince de 32 ans, surnommé “MBS”, a atterri aux alentours de 11H00 (09H00 GMT) à l’aéroport du Bourget, près de Paris, et a été accueilli par le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
Dimanche étant une journée de visite privée, le programme et même la localisation du nouvel homme fort de Ryad sont restés mystérieux. Des sources saoudiennes avaient évoqué sa présence au concert de clôture du festival de Pâques de la cité méridionale d’Aix-en-Provence, mais l’AFP n’avait constaté sur place aucun déploiement massif de sécurité peu avant le concert.
Quelques dizaines de militants s’attendant à une visite du président Emmanuel Macron et du prince héritier y ont brièvement manifesté avec pétards et fumigènes. “Stop aux ventes d’armes à l’Arabie saoudite”, pouvait-on lire sur une pancarte alors que plusieurs ONG dénoncent la fourniture à Ryad de matériel militaire utilisé dans la guerre au Yemen, faisant des victimes civiles.
Le mystère restait également entier sur le lieu où le prince réside. Au moins une partie de sa délégation est descendue dans le palace parisien du George V, propriété de la famille régnante, ont constaté des journalistes de l’AFP.
– Relation compliquée –
MBS est en pleine offensive de séduction des Occidentaux pour tenter de donner une image plus moderne de son royaume conservateur au pouvoir autoritaire. Une volonté soutenue par certaines mesures emblématiques en faveur du droit des femmes ou contre la corruption.
Mais si le prince héritier vient de passer pas moins de trois semaines aux Etats-Unis, l’allié historique de Ryad, le programme officiel de l’escale parisienne qui débute lundi s’annonce plus modeste.
Aucun contrat mirobolant n’est attendu, alors que la relation entre les deux pays est longtemps passée par d’importants contrats commerciaux. Les deux capitales ambitionnent désormais d’instaurer une “nouvelle coopération” pour accompagner la transformation sociale et économique de l’Arabie saoudite.
Près de 18 protocoles d’accord dans les domaines du tourisme, de l’énergie et des transports doivent être signés, indique une autre source proche de la délégation saoudienne. Un accord de coopération pour le développement d’Al Ula, où se trouvent d’importants vestiges archéologiques, doit être annoncé, et une visite lundi à la Station F, l’incubateur de start-ups parisien, est prévue avec le Premier ministre Edouard Philippe.
Le volet diplomatique sera lui délicat à gérer compte tenu de la relation compliquée entre Paris et Ryad.
L’Arabie soudite est très active dans les nombreuses crises qui secouent le Proche-Orient, livrant une lutte féroce pour l’influence régionale contre son grand rival iranien, et le positionnement français vis-à-vis de l’Iran est trop modéré au goût de Ryad.
Pour Denis Bauchard, expert du Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (Ifri), “les relations bilatérales ne sont pas bonnes et MBS a eu beaucoup de mal à se laisser convaincre de venir en France”.
“Fasciné par les Américains”, MBS éprouve “une certaine condescendance vis-à-vis de la France”, ajoute-t-il.
L’accord nucléaire iranien, la Syrie, la guerre au Yémen, – où Ryad intervient militairement – et la situation au Liban seront au coeur de sa rencontre mardi après-midi avec le président Macron.
Sur ce premier dossier, les discussions risquent d’être tendues. Le prince héritier mise sur le resserrement des liens avec le président américain Donald Trump, qui a menacé de se retirer de l’accord nucléaire de 2015 avec l’Iran, faute d’améliorations de ce pacte international avant le 12 mai. Une éventualité décriée par les Européens, et M. Macron devrait tenter de convaincre MBS qu’il vaut mieux tenter de sauver un accord.
Au sujet du Liban, M. Macron s’était impliqué personnellement en novembre dans la crise autour du Premier ministre libanais Saad Hariri. Ce dernier, apparemment sous la pression de MBS, avait annoncé sa démission depuis Ryad, où il était resté retenu pendant deux semaines avant de revenir sur sa décision.
Paris souhaite que “le Liban soit aussi stable que possible, ce qui passe inévitablement par un certain accord” avec le mouvement chiite pro-iranien Hezbollah, ajoute Denis Bauchard.
S’agissant du Yémen, des ONG ont l’intention de se faire entendre pendant la visite de MBS pour que Paris cesse ses exportations d’armes vers l’Arabie saoudite.
Autre épine dans le pied des relations franco-saoudiennes, le mandat d’arrêt émis en décembre par la justice française à l’encontre de la soeur du prince héritier, Hassa, soupçonnée d’avoir donné l’ordre à son garde du corps de frapper un artisan à Paris.