Une chaîne de télévision privée, Lina TV, a été fermée hier lundi 16 août par le ministère de la Communication, jugeant que son activité « est en dehors des cadres juridiques en vigueurs ».
Pour Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre de la Communication, « cette « fermeture définitive » résume les ravages que peut provoquer l’effacement de la justice et l’absence de cadre légal dans l’exercice d’une activité sensible livrée à une Administration qui fait fonction d’Etat et à d’influents groupes de pression et d’intérêts ».
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L’occasion pour celui qui a démissionné du gouvernement pour des divergences avec Bouteflika au tout début de son premier mandat sur la question de la liberté d’expression, de revenir sur l’état de cette liberté et des médias en Algérie, plus de 20 ans après. Rahabi pointe du doigt des pratiques qui ont fragilisé les médias algériens, jusqu’à voir la souveraineté de l’Algérie « érodée ».
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« La liberté d’expression a été de tout temps un enjeu de pouvoir chez nous, les gouvernants successifs ont utilisé la répression, le chantage ou la corruption et parfois tout à la fois. Ils ont recouru notamment à l’instrumentalisation politique de la publicité institutionnelle ce qui a fait de cet outil, pourtant sponsor avéré de la liberté d’expression et de la démocratie, un instrument de chantage », écrit Rahabi qui cite le quotidien à El Watan comme dernière victime de ces pratiques, bien qu’il ait « rendu à l’Etat algérien plus de services que beaucoup de ses serviteurs zélés incompétents et corrompus ».
Abdelaziz Rahabi rappelle que Bouteflika avait en septembre 1999 fait bloquer par le Conseil de la Nation une loi sur la publicité, présentée sous Zéroual en 1998 et votée par l’APN.
« Ceci, dénonce-t-il, a eu pour effet de redonner toute la latitude à l’administration et à quelques décideurs de distribuer sans aucune forme de contrôle de l’argent public et à leur guise, plus d’un milliard et demi d’euros en 20 ans ».
« Caisse noire du système », « nid de corruption » et « vecteur de toutes sortes de clientélisme », sont les qualificatifs qu’il utilise pour décrire cette « publicité institutionnelle pervertie » dont le monopole est détenu par l’Anep. « Il est déplorable que cela persiste avec la même victime, la liberté d’expression et la modernisation de l’activité », regrette-t-il.
« L’Algérie nourrit sa mauvaise image »
Il déplore aussi le fait que « des sites algériens sont inaccessibles à partir d’Algérie, leur développement est hypothéqué et soumis à toutes formes de contraintes pour laisser cet espace aux étrangers dans une logique qui défie tout bon sens et fait légitimement douter des véritables intentions de certains donneurs d’ordre ».
Plus clairement, Abdelaziz Rahabi trouve que « l’attitude archaïques des pouvoirs publics réfractaires à toute forme de changement ne sert pas les intérêts de l’Algérie ».
La libre expression, estime-t-il, reste « un marqueur intemporel de l’identité des Algériens qu’il serait vain de nier ou d’entraver en ces temps de la mondialisation et de règne du numérique ».
« Notre pays s’engage souvent dans des combats d’arrière-garde qui multiplient ses fragilités et lui font perdre du temps, des moyens et l’énergie de ses enfants », remarque encre Rahabi.
Pour lui, « notre souveraineté est érodée par notre incapacité à produire des contenus de qualité dans les réseaux sociaux qui façonnent aujourd’hui et souvent de l’étranger notre propre opinion publique. »
« De même que notre système national d’information souffre du manque de crédibilité et de professionnalisme, ce qui réduit son impact national et le rend inaudible à l’international, alors que les pays se nourrissent de leur image, le nôtre nourrit sa mauvaise image », déplore l’ancien ministre de la Communication.