En Algérie, les tensions sur les médicaments anticancéreux persistent. Des tensions qui ont des conséquences parfois dramatiques sur les malades.
Le Pr Kamel Bouzid, président de la Société algérienne d’oncologie médicale, et chef de service oncologie au Centre Pierre et Marie Curie (CPMC), lance un énième cri de détresse.
“Il n’y a jamais eu de situation de pénurie pareille”
Selon le président de la Société algérienne d’oncologie médicale, le manque de médicaments anticancéreux en Algérie n’a jamais été aussi important. “Il n’y a jamais eu de situation de pénurie pareille”, a-t-il dit à TSA.
Un problème “récurrent” qui pousse les spécialistes à devoir “faire du bricolage“. “C’est un constat que tout le monde fait, des pédiatres, des collègues. Nous en sommes à faire du bricolage, à se débrouiller les uns les autres, à acheter des médicaments parfois dans des cabas“, a déploré le Pr. Bouzid.
“On nous dit que nos pharmaciens sont de mauvais gestionnaires. C’est faux. On nous dit que nous n’avons pas de problèmes de budget et d’argent. Mais le constat est que nous sommes dans cette situation“, a-t-il ajouté.
Une situation que les praticiens de la santé et les pharmaciens doivent subir au quotidien. “Tous les jours ils sont soumis à une pression terrible“, a regretté le chef de service oncologie du CPMC.
“Tout manque”
Combien de médicaments anticancéreux sont en rupture de stock aujourd’hui ? Pour le Pr Bouzid, qui indique que “pour des soucis éthiques“, il ne donnerait pas le nom des médicaments actuellement indisponibles il ne faut pas voir le problème de cet angle-là. Le chiffre importe peu car “tout manque“.
“On a parlé de 296 médicaments (en rupture de stock), mais ça ne sert à rien de donner un chiffre”, a-t-il dit, avant de critiquer les députés de l’APN qui se sont déplacés au CPMC pour avoir la liste des médicaments non disponibles. “Que vont-ils faire de cette liste ? Mais cela fait dix fois qu’ils viennent pour inspecter et ils n’ont rien réglé ces représentants du peuple“, a lancé le président de la Société algérienne d’oncologie médicale.
Et d’ajouter: “Il n’y a jamais eu de situation de pénurie pareille. On peut nous expliquer qu’il y a la pandémie, qu’il y a l’Inde (important pays producteur de médicaments) qui n’aime pas les musulmans. Ce n’est pas notre problème, ni celui de la Pharmacie centrale des hôpitaux, ni du mien et encore moins celui des enfants malades ou des gens qui ont un cancer“,
La PCH pointée du doigt
Pour expliquer les causes des ruptures de médicaments anticancéreux en Algérie, le chef de service oncologie au CPMC pointe “un problème de gestion” au niveau de la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH).
“S’il y a un problème de gestion, il est au niveau de la PCH qui a le monopole des médicaments hospitaliers depuis au moins 1994“, a déclaré le Pr Bouzid.
“La PCH a le monopole des importations des médicaments hospitaliers depuis trente ans au moins. Si on se trompe dans les prévisions, ce qui peut arriver, personne n’est infaillible, qu’est-ce que ça coûte à la PCH d’appeler les pharmaciens des hôpitaux, d’appeler les prescripteurs pour discuter avec eux, au lieu de lancer des accusations dans l’air“, a lancé le chef de service oncologie.
Avant d’ajouter: “Il n’y a pas de conflits d’intérêts. Nous n’avons pas d’intérêts cachés ni le pouvoir qu’ils sont en train de nous prêter (aux chefs de services). Ça suffit de jeter l’anathème sur moi et sur mes collègues“.
“Il faut remettre les choses dans le droit chemin le plus vite possible (…) Ils disent tous que 2022 sera l’année du cancer. Le directeur de la PCH a donné le mois de juin comme échéance. Nous sommes déjà à la mi-juin, on verra d’ici la fin du mois“, a déclaré le président de la Société algérienne d’oncologie médicale.
“Les gens vont mourir en ayant mal”
Le Pr Bouzid a tenu à dénoncer la pénurie de médicaments supports. “Actuellement, il n’y a pas de médicaments anticancéreux, mais ce qui est pire, c’est qu’il n’y a pas de médicaments supports pour lutter contre les vomissements, la toxicité hématologique, notamment les facteurs de croissance. Or, quand on utilise ce type de médicaments sans facteurs de croissance, on met en jeu la vie des patients. Pire encore, il n’y a pas de morphiniques. Nous sommes en rupture depuis un bon moment“, a-t-il indiqué.
“Il n’y a plus ces médicaments qui sont contre la douleur. Ce qui veut dire que les gens vont mourir en ayant mal. C’est totalement inacceptable pour les médecins que nous sommes“, a déploré le président de la Société algérienne d’oncologie médicale.
La réponse de la PCH
Interrogé par le journaliste Ahcene Chemache sur la pénurie de médicaments anticancéreux, le DG de la PCH Ali Aoun, a répondu au Pr Bouzid : « Je parlerai mieux de rupture, mais pas de pénurie. Il y a rupture de certains produits, et c’est pris en charge. Les choses vont rentrer dans l’ordre au plus tard fin juin-début juillet », a-t-il dit. « Sur les 15 à 20 produits qui sont en rupture, nous avons des stocks qui peuvent couvrir 10 jours à un mois en attendant de nouveaux arrivages », a ajouté M. Aoun.