Dans le sillage de la réunion d’Alger et du refus des producteurs Opep et non Opep d’annoncer une augmentation de la production malgré les pressions de Donald Trump, les pronostics sur l’évolution des cours pétroliers sont résolument à la hausse. Beaucoup d’analystes n’hésitent plus désormais à parler d’un baril à 90, voire à 100 dollars, en fin d’année ou au début 2019, notamment avec l’entrée en vigueur de sanctions américaines contre l’Iran.
La situation sur les marchés semble donner raison à ces prévisions et le Brent vient de franchir la barre des 80 dollars pour la première fois depuis 4 ans. Ce mardi matin, il est toujours en hausse à 81,45 dollars.
Bien qu’elle reste encore fragile, cette nouvelle conjoncture pétrolière pourrait donner des marges de manœuvre financières imprévues voici encore quelques semaines aux autorités algériennes. Quel pourrait être leur impact sur les équilibres budgétaires et sur les équilibres externes ? Avec quelles conséquences possibles sur la politique économique du gouvernement ?
Le programme de planche à billets revu à la baisse ?
Une des questions qui vient immédiatement à l’esprit est de savoir si la hausse du baril serait susceptible de régler nos problèmes budgétaires et de rendre caduque en conséquence le recours à la planche à billets qui a fait couler tellement d’encre au cours des derniers mois ?
Pour l’instant, ça ne semble pas du tout être le cas. Pour l’année 2018, la Loi de finances a déjà prévu des dépenses budgétaires en très forte hausse par rapport à l’année 2017. Ces dépenses devraient s’élever cette année à plus de 8 600 milliards de dinars. Dans ces conditions, c’est seulement un Baril à près de 100 dollars en moyenne qui permettrait d’équilibrer le budget de cette année. On est pour l’instant très loin de ce niveau de prix.
La direction de la prévision du ministère des Finances, qui tient à jour le compteur de nos principaux indicateurs économiques, évoque un prix moyen du baril de brut algérien de 71, 8 dollars au cours des 7 premiers mois de l’année (fin juillet).
Les évolutions récentes permettent sans doute d’espérer un prix moyen du baril de l’ordre de 75 dollars sur l’ensemble de l’année 2018 mais certainement pas beaucoup plus. Le déficit budgétaire réel pour cette année s’annonce donc encore important même s’il sera moins élevé que prévu .
On connait la façon dont le gouvernement a décidé de financer l’énorme déficit (près de 11% du PIB) prévu en 2018. Un programme de financement par la planche à billets a été annoncé qui prévoit un peu plus de 1800 milliards de dinars (environ 15 milliards de dollars) de création monétaire au titre de l’année en cours rien que pour le déficit du budget .
En annonçant ces chiffres, le ministre des Finances a cependant assuré devant les parlementaires que le gouvernement « essaiera de faire le moins de financement monétaire possible ».
Compte tenu du niveau actuel de la fiscalité pétrolière et des assurances de M .Raouya, il n’est donc pas impossible et il est même probable que le montant réel de la création monétaire prévu pour cette année soit révisé en baisse ; sous réserve que les cours pétroliers continuent de se comporter de façon aussi favorables.
Un déficit des paiements courant qui restera important
Du fait que le gouvernement avait « pris de l’avance » en matière de programmation des dépenses, les équilibres budgétaires ne seront pas bouleversés par la nouvelle conjoncture pétrolière. Est-ce qu’il en sera de même pour les équilibres financiers extérieurs ?
Les résultats du Commerce extérieur pour les 7 premiers mois de l’année, qui viennent d’être publiés par les douanes algériennes, annoncent des exportations pétrolières d’un peu plus de 23 milliards de dollars à fin juillet. Dans le même temps, le déficit commercial a été réduit à un peu plus de 3 milliards de dollars. Même si l’extrapolation de ces chiffres à l’ensemble de l’année est encore aventureuse, un baril à 75 dollars en moyenne annuelle devrait réduire le déficit commercial dans sa version douanes algériennes à environ 5 milliards de dollars pour l’ensemble de l’année 2018.
La version Banque d’Algérie du déficit commercial (en raison de la prise en compte des importations destinées à la Défense nationale) devrait être plus proche de 8 milliards de dollars et ramènerait néanmoins le déficit des paiements courants dans une fourchette comprise entre 15 et 17 milliards de dollars ; ce qui sera nettement moins que le déficit de plus de 22 milliards enregistré en 2017 mais restera néanmoins encore très important (près de 10% du PIB).
Vers une levée rapide des suspensions à l’importation
En terme de politique commerciale, cette situation plus favorable des échanges extérieurs pourrait plaider en faveur d’une levée rapide des dispositifs de suspension de certains produits à l’importation.
Le ministre du Commerce a déjà évoqué leur remplacement prochain par des mesures tarifaires. Une telle mesure aurait en outre l’avantage de procurer des ressources douanières supplémentaires et d’alléger un dispositif de gestion lourd et bureaucratique qui n’a pas pu éviter de pénaliser certaines filières de production nationales.
Des réserves de change réduites à 85 milliards
Ces évolutions prévisibles n’empêcheront pas dans tous les cas de figure les réserves de change de continuer à diminuer. Elles ont déjà atteint officiellement 90 milliards de dollars dès le mois de mai dernier (contre 97 milliards à fin 2017) suivant les derniers chiffres révélés par le ministère des Finances dans le projet de loi de Finances pour 2019.
Pour la fin de l’année en cours, c’est le seuil des 85 milliards de dollars qui devrait être en vue même en cas de poursuite de la hausse des cours pétroliers.
La probabilité de ce pronostic est renforcé par la hausse du dollar depuis le début de l’année qui devrait provoquer un effet de valorisation négatif de plusieurs milliards de dollars en 2018.
Pour 2019, la planche à billets fonctionnera encore
Les perspectives plus favorables en matière de prix pétroliers ne vont certainement pas inciter le gouvernement à réviser sa copie pour l’année 2019.
Le projet de Loi de finances 2019 qui sera prochainement présenté aux parlementaires est basé, de façon très prudente, sur une prévision de prix du baril de 60 dollars.
Mais en même temps, il table également sur des dépenses de 8.500 milliards de dinars, en très légère baisse de 1,5% par rapport aux 8650 milliards en prévision de clôture de l’exercice en cours.
Principale conséquence de ces prévisions, le ministère des Finances évoque un déficit budgétaire à 2 chiffres et encore légèrement supérieur à 10% du PIB en 2019 contre 10,8 % prévus en 2018. Le besoin de financement du Trésor pour l’année prochaine est encore estimé à plus de 1800 milliards de dinars.
En l’absence d’épargne budgétaire, c’est donc la planche à billets qui devait être sollicitée de nouveau l’année prochaine, toujours dans des proportions importantes, pour financer le déficit du budget de l’État.
Comme en 2018, des prix pétroliers plus élevés que prévu pourraient réduire, l’année prochaine, le montant du déficit réel et le recours au financement de la Banque d’Algérie sans cependant le remettre en cause complètement compte tenu du niveau encore élevé de dépenses envisagé .
Une bonne tenue des prix du baril pourrait également réduire le rythme envisagé très officiellement, pour l’érosion des réserves de change sans inverser la tendance de leur diminution.
Dans ce domaine, le document de présentation de la Loi de finance 2019 élaboré par le ministère des Finances indique significativement que le « prix d’équilibre » du baril qui permettrait d’éliminer le gros déficit de la balance des paiements prévu l’année prochaine se situera à 92 dollars. Un niveau de prix qu’aucun analyste n’est encore assez téméraire pour annoncer en 2019.