Le Pr Mohamed Belhocine, membre du Conseil scientifique de suivi du Covid en Algérie, aborde dans cet entretien la situation sanitaire liée au Covid-19 alors que le pays connaît une 4e vague.
Le commissaire en charge de l’enseignement, des sciences, de la technologie et de l’innovation à l’Union africaine, rappelle les recommandations du CDC (organisme de contrôle et de suivi des maladies) de l’UA qui a déconseillé la fermeture des frontières aériennes de et vers les pays touchés par le nouveau variant Omicron.
Quelle est la situation épidémiologique actuellement en Algérie ?
Le nombre de contaminations augmente. On parle du chiffre officiel qui englobe les cas infectés et confirmés par deux tests PCR positifs. Et l’on peut imaginer les tests antigéniques positifs et les personnes qui n’ont pas fait de PCR, le nombre est encore plus élevé.
Il y a maintenant un consensus général selon lequel les chiffres représentent une certaine estimation de la réalité mais pas toute la réalité. Comme au début de la 3e vague, ça augmente doucement et brutalement ça risque d’augmenter d’une façon exponentielle.
C’est ce qui fait que plus vous avez de cas, plus vous avez des formes graves et plus vous avez une pression sur les services hospitaliers et notamment les services de réanimation et les moyens de traitement comme l’oxygène.
Qu’est-ce qui explique cette reprise des contaminations ?
Le relâchement sur les mesures barrières est pour beaucoup dans la reprise des contaminations. On aurait pu les maintenir et nous devons les maintenir aujourd’hui avec l’émergence du variant Omicron.
Tout le monde dit que la seule option qui nous reste ce sont les mesures de santé publique individuelles : le port du masque, le lavage des mains et le respect de la distanciation physique en particulier dans les endroits où il y a du monde.
L’apparition du variant Omicron rebat les cartes de la pandémie dans le monde entier. Qu’est-ce qui a provoqué cette mutation ?
Difficile à dire mais ce qui est certain c’est que l’inégale répartition de la vaccination dans le monde a joué un rôle très important.
Les égoïsmes internationaux autour de la vaccination ne protègent pas leurs auteurs. Si on avait vacciné plus largement partout dans le monde on aurait protégé toutes les populations de la même manière.
Les pays qui pensent qu’ils sont protégés simplement parce qu’ils vaccinent chez eux mais négligent leurs voisins, ils reçoivent aujourd’hui de la même manière les variants nés chez les voisins non vaccinés.
Et s’il s’avère que ce nouveau variant a une sensibilité inférieure au vaccin, il n’aura donc servi à rien d’avoir vacciné 90 % de sa population. Les variants naissent là où on ne vaccine pas suffisamment.
Que sait-on exactement du variant Omicron. Est-il plus dangereux que le Delta ?
Il est très tôt pour le dire encore. Vous avez sans doute lu les déclarations des experts de l’Organisation mondiale de la santé, aussi bien que les spécialistes en Afrique du Sud qui sont plutôt prudents pour l’instant.
Il faut du temps pour mesurer les éléments de ce variant. En revanche, ce que l’on peut dire à l’heure où nous parlons, c’est que ce variant est celui qui a connu beaucoup plus de mutations que ce que l’on a pu voir jusqu’ici.
Et ce à la fois sur sa protéine Spike –utilisée pour la fabrication du vaccin- et aussi dans le génome du virus. C’est ce nombre important de mutations qui a fait que l’OMS a considéré ce variant comme préoccupant.
En l’occurrence, plus il y a des mutations, plus il y a des risques de changement du comportement du virus lorsqu’il touche l’organisme humain. Sur la transmissibilité, on n’en sait rien encore. Il y a eu énormément de cas dans une des régions d’Afrique du Sud où le variant a été détecté mais cela ne veut pas dire qu’il se transmet plus rapidement que le variant Delta par exemple.
Il faut attendre plus d’analyses statistiques et d’études pour se faire une idée sur la transmissibilité de l’Omicron. En revanche et en ce qui concerne les formes cliniques, des premières observations de médecins sud-africains semblent indiquer que ce variant provoque des formes plus légères que celles observées habituellement. Ce qui est rassurant.
La maladie se manifesterait avec beaucoup de maux de tête et une fatigue extrême, pour une durée relativement courte (48 h). D’après les confrères sud-africains, ces formes de la maladie toucheraient surtout les jeunes âgés de moins de 40 ans.
Tout cela reste sous réserve. S’il s’avérait que ce variant provoque des formes légères, eh bien à la limite c’est tant mieux qu’il se dissémine parce qu’il entraînerait probablement une immunité naturelle chez les gens après les avoir infectés.
Aucun cas d’Omicron n’a été détecté pour le moment en Algérie d’après les autorités sanitaires. Quels sont les moyens pour éviter que le variant Omicron arrive sur notre territoire ?
C’est extrêmement difficile à dire. Ce que je peux avancer c’est que le CDC (organisme de contrôle et de suivi des maladies) de l’Union africaine a déconseillé la fermeture des voies aériennes de et vers les pays touchés.
Et a insisté surtout sur le respect des mesures de santé publique, valables quel que soit le variant. Au niveau des frontières, il faut continuer à appliquer le contrôle qui se fait déjà.
Chez nous, chaque voyageur est systématiquement tenu de présenter une PCR négative de moins de 36 h en sus du pass vaccinal. Il faut continuer dans ce sens. Il s’agit également d’éviter les mesures extrêmes comme les confinements qu’on a observés auparavant et qui restent possibles si notre système de santé se trouve submergé par le nombre de cas.
À ces éléments s’ajoute la vaccination qui reste un rempart efficace…
Absolument. La vaccination est très importante d’autant qu’on a aujourd’hui du recul par rapport à cette vague dans les pays européens.
Il est absolument clair que plus le pourcentage de la population vaccinée, dans un pays, est élevé, plus la mortalité due au Covid diminue. Ceci pour dire que si la vaccination ne permet pas de complètement éviter la contamination, elle est efficace contre les formes graves et les décès.
Il se trouve toutefois que le nombre de vaccinés en Algérie contre le Covid est très faible. Ça vous préoccupe ?
L’appel est lancé à tout le monde pour se réveiller et aller se faire vacciner. En se vaccinant, non seulement on se protège soi-même mais encore on peut être moins susceptible d’être contaminé et de contaminer les autres..
Il faut renforcer la sensibilisation et convaincre en mettant à contribution tous les relais sociaux, qu’ils soient enseignants, imams, influenceurs…On a besoin d’une masse critique de gens qui portent le message de la vaccination.
Il est important de faire très attention à ce qui se raconte sur les réseaux sociaux où il y a beaucoup de fausses informations. Beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux pour disséminer des informations sous un emballage pseudo-scientifique pour faire croire notamment que dans les pays qui ont avancé en matière de vaccination, il y a eu quand même une vague épidémique.
Mais quand vous allez dans le détail, la plupart des gens qui sont tombés malades ou qui décèdent sont des non vaccinés. La vaccination reste un outil indispensable même si elle n’est pas suffisante pour stopper la transmission du virus.
Votre message aux autorités ?
Rester vigilant, élargir les capacités de diagnostic et la vaccination en renforçant la sensibilisation pour qu’on ait le maximum de citoyens vaccinés. C’est la seule façon d’éviter la catastrophe qu’on a connue lors de la précédente vague en termes de mortalité.