CONTRIBUTION. La vidéo rassemblant Macron et l’historien Stora offre un spectacle néocolonial remarquable qui ne peut que convaincre ceux d’entre nous qui se berçaient encore d’illusions que la France, non seulement n’essaie pas de se guérir de son mal à l’Algérie, mais qu’elle avoue, publiquement, sans retenue, vouloir intervenir en douceur, évidemment, avec l’aide « efficace, » selon Macron, de ses intellectuels à la Stora, et de son université. Enfin, les masques sont tombés. On parle de l’Algérie comme si elle était une affaire franco-française.
Il est inutile sans doute de rappeler à M. Stora un autre appel passionné de M. Alexis de Tocqueville devant son parlement pour la continuation de la colonisation de l’Algérie. Il est trop tard pour M. Stora d’appeler à une intervention armée. Son appel, libéralisme oblige, est d’un autre ordre.
Néanmoins, il rappelle à M. Macron, plus d’une fois, que la France « est une grande puissance » et qu’en tant que telle, elle ne devrait pas rater l’opportunité de prendre l’initiative d’encadrer les retombées que le mouvement algérien, selon lui, ne manquerait pas d’avoir sur le Maghreb et le Machrek. Autrement dit, la France devrait intervenir maintenant pour agrandir encore sa « puissance », car elle serait appelée à patronner l’avenir que le mouvement algérien ouvrirait à ses voisins.
Bizarrement, président et historien oublient les Gilets Jaunes. N’ont-ils pas droit de participation à cette initiative ? Après tout c’est aussi un mouvement populaire qui exige un changement de gouvernement et de gouvernance. Mais, les Gilets Jaunes n’appartiennent pas à l’empire déchu. Et c’est là que la vidéo revêt la valeur d’un document illustrant la nouvelle dynamique néocoloniale. Le mal des Français que les Gilets Jaunes représentent est curable, mais le mal à l’Algérie est chronique et incurable.
M. Macron s’explique : il est entièrement d’accord avec son historien, mais il est sous contrainte, et de ce fait ne peut intervenir ouvertement. Sans vergogne, il évoque le vrai en le couvrant d’un sarcasme. Il sait « par cœur », dit-il, qu’il serait accusé d’ingérence ! Par qui ? Par le gouvernement algérien ? Par le mouvement ? Mais de quel terme pourrait-on qualifier la recommandation que M. Macron fait à son historien d’utiliser sa plume et à ses universités leur enseignement pour infléchir le cours du mouvement ? Si les armes se sont tues en 1962, l’idéologie véhiculée par le savoir français continuera l’œuvre plus efficacement.
En essayant de faire bouger son président, l’historien égrène les caractéristiques du mouvement qui le rendrait digne de soutien-intervention, telle que la participation des femmes. En tant qu’Algérienne je m’élève contre cette grotesque instrumentalisation des femmes. M. Stora doit avoir oublié que Macron n’est pas un ami des femmes musulmanes françaises ou vivant en France.
Cette vidéo remarquable nous renseigne encore une fois sur les velléités d’appropriation, à la fois réelle et symbolique, d’un mouvement qui dépasse le cadre institutionnel de la mythologie d’un empire culturel qu’exprime, entre autre, la francophonie. Tout ce que cette Algérienne veut, c’est qu’on nous laisse tranquille, qu’on nous laisse LIBRE d’être, sans avoir à vous rappeler, vous, intellectuels et politiciens français, que nous ne vous appartenons pas, que nous ne vous avons jamais appartenu. Occupez-vous donc de vos affaires. L’Algérie n’en est plus une.
*Marnia Lazreg est Professeure de sociologie
Hunter College et Graduate Center, City University of New York
Auteure de « Torture and the Twilight of Empire: From Algiers to Baghdad, » et "The Eloquence of Silence: Algerian Women in Question