Fin du suspense en France. Plusieurs semaines après des élections législatives pas comme les autres, le président Emmanuel Macron a tranché concernant le nom du nouveau Premier ministre.
Michel Barnier a été nommé ce jeudi 5 septembre en remplacement de Gabriel Attal.
Barnier arrive à Matignon en pleine crise avec l’Algérie. Il est connu pour être un partisan d’une politique ferme et intransigeante sur l’immigration. Il est en revanche plus souple sur les autres dossiers qui font la relation bilatérale.
Le scrutin législatif des 7 et 30 juillet derniers n’ayant donné aucune majorité nette, Emmanuel Macron a tergiversé avant de choisir un timonier pour le gouvernement.
Il ne l’a pas choisi dans son propre camp, arrivé deuxième aux élections, ni au sein de la coalition de gauche gagnante, le Nouveau front populaire (NFP).
En nommant Michel Barnier, du parti Les Républicains (LR), Macron a confirmé le virage qu’il a pris à droite depuis les tractations autour de la loi immigration à l’automne dernier, et dans une certaine mesure, le récent alignement sur le Maroc dans le dossier du Sahara occidental. Les LR sont en effet des supporters inconditionnels du royaume.
En obtenant les clés du gouvernement, ils ne pouvaient pas espérer mieux à l’issue d’un scrutin qui les a divisés et réduits au statut de formation politique sans grand poids. En revanche, la gauche de décolère pas.
« En nommant Michel Barnier, le Président refuse de respecter la souveraineté populaire et le choix issu des urnes », a réagi la députée de La France Insoumise (LFI) Mathilde Panot. Le tweet a été partagé par le leader du mouvement Jean-Luc Mélenchon.
Michel Barnier a la caution du Rassemblement national
« Contre ce coup de force inacceptable dans une démocratie », Panot donne rendez-vous aux partisans du mouvement « le 7 septembre dans la rue » et à continuer à faire signer la pétition « Macron destitution ».
Pour Manon Aubry, tête de liste LFI aux dernières européennes, cette nomination est le fruit d’une alliance de fait entre Emmanuel Macron et le Rassemblement national (RN).
Alliance ou pas, il demeure certain que le président compte sur les voix des députés du parti extrémiste pour éviter toute tentative de censure ou de blocage de la gauche.
Le camp présidentiel, le RN et LR totalisent plus de 330 députés à l’Assemblée, largement plus que les 289 nécessaires pour une majorité absolue.
Le RN ne semble pas tenté par un blocage. Son ancienne présidente, Marine Le Pen, a même jeté quelques fleurs au nouveau Premier ministre dès sa nomination.
Sur X, elle a estimé qu’il est « respectueux des différentes forces politiques et capable de pouvoir s’adresser au Rassemblement national ». Il répond donc au « premier critère » que le RN a « réclamé ».
Michel Barnier semble répondre au moins au premier critère que nous avions réclamé, c'est-à dire, quelqu'un qui soit respectueux des différentes forces politiques et capable de pouvoir s'adresser au Rassemblement national, qui est le premier groupe de l'Assemblée nationale. pic.twitter.com/tW7rjULMNA
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) September 5, 2024
Le spectre tant redouté du blocage et d’une France ingouvernable s’éloigne donc pour le moment. Mais l’histoire retiendra qu’Emmannuel Macron l’aura évité au prix d’un autre rapprochement avec l’extrême-droite, après le deal qui a permis de faire passer la loi immigration en décembre dernier. Marine Le Pen avait alors réclamé une « victoire idéologique ».
Cette caution d’un courant hostile à l’Algérie n’est pas faite pour susciter l’enthousiasme à Alger.
Si le RN applaudit l’arrivée de Michel Barnier à Matignon, c’est sans doute précisément pour les positions qui sont les siennes sur la question de l’immigration.
Sans être un extrémiste de la trempe d’un Éric Ciotti, Barnier est classé comme un « dur » vis-à-vis de l’immigration. Aux primaires de la présidentielle de 2022, il avait surpris en proposant un moratoire sur l’immigration.
Il est en politique depuis 1973, il a voté contre la dépénalisation de l'homosexualité, il tient des positions très dures sur l'immigration : faites la connaissance de Michel Barnier, nouveau Premier ministre.
➡️ https://t.co/C40bcZEdXc pic.twitter.com/LrVO3xCC7L
— L'Humanité (@humanite_fr) September 5, 2024
Quel effet sur la relation France – Algérie ?
Pour le reste, il est considéré comme un dirigeant tempéré et l’un des derniers chefs de la droite à jouir d’un certain charisme. À 74 ans, Barnier a un long vécu derrière lui, un demi-siècle de vie politique.
Ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac en 2004-2005, il a été également successivement ministre de l’Agriculture, ministre délégué aux Affaires européennes et ministre de l’Environnement, plusieurs fois commissaire européen, vice-président de la commission européenne et élu plusieurs fois député et sénateur.
Michel Barnier est aussi connu pour ses positions équilibrées s’agissant de la relation avec l’Algérie. S’exprimant en 2021 sur les massacres du 17 octobre 1961, il avait estimé que la France avait « un devoir de vérité après une tragédie de cette nature », tout en mettant en garde contre « un excès de repentance ».
Sur cette question de la mémoire, il a proposé, avec 20 ans d’avance, d’« encourager la recherche des historiens, de part et d’autre, qui doivent pouvoir travailler dans l’objectivité et la pluralité des points de vues ». C’était dans un entretien au quotidien El Watan à l’occasion d’une visite en Algérie en tant que ministre des Affaires étrangères.
S’agissant de la politique maghrébine de la France, Barnier est aussi équilibré. En 2022, il a déclaré que « l’Europe a intérêt à voir le Maroc et l’Algérie dépasser leurs conflits ».
La position qu’on lui connaît sur le Sahara occidental, objet de discorde actuellement entre Alger et Paris, c’est la recherche d’une solution politique conformément aux résolutions des Nations-Unies, alors que le président Macron a apporté fin juillet le soutien de de la France au plan d’autonomie marocain, comme « seule base » pour résoudre le conflit sahraoui.
Sa dernière visite en Algérie remonte à mai 2016, en tant que conseiller aux affaires de défense et de sécurité du président de la commission européenne.
« Alger…heureux de retrouver et de dialoguer avec le ministre d’État, ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra », avait-il tweeté, accompagnant son post de photos avec le chef de la diplomatie algérienne de l’époque.
Aussi tempéré soit-il, il n’est pas attendu que Michel Barnier influe dans un sens ou dans un autre sur la crise actuelle avec l’Algérie, déclenchée par un dossier de politique étrangère qui relève du président de la République.